L'État a-t-il atteint un degré de sophistication et de complexité tel qu'il ne peut plus être gouverné autrement que par les techniciens de Bercy? Les révélations des Échos sur le produit de l'ISF par Emmanuel Macron après sa réforme prévue en loi de finances pose une nouvelle fois la question....
On sait depuis longtemps qu'Emmanuel Macron veut changer l'assiette de l'Impôt sur la Fortune. Son propos consiste à sortir de l'assiette les éléments de financement de l'économie, comme les valeurs mobilières. L'ambition du candidat président est de recentrer cet impôt compliqué et emblématique sur la taxation de la rente, en "libérant" l'investissement.
Sur le papier, l'intention n'a probablement pas fait l'unanimité, mais elle répond à une cohérence économique qui se défend. Du point de vue intellectuel, elle incarne de façon quasi-pure l'oeuvre de l'imagination fiscale, un sport très prisé des élites françaises: on combine "en même temps" plusieurs objectifs pour inventer un impôt sophistiqué, qui permet de courir plusieurs lièvres à la fois (taxer les riches, être juste, financer l'économie).
Comment l'Impôt sur la Fortune ne rapportera plus rien
Ce faisant, les Échos révèlent que, selon les dernières estimations, le futur impôt concocté par le candidat Macron rapportera moins de 1 milliard€ par an. Il rejoindra ainsi la galerie des impôts et taxes compliqués, coûteux à lever pour une somme insignifiante. C'est l'estimation des valeurs immobilières qui conduit à cette révision de l'estimation: elle montre que la législation fiscale a atteint un degré de complexité tel que seuls quelques spécialistes bien équipés peuvent aujourd'hui la manier.
Du coup se posera bien entendu la question de la légitimité de cet impôt lui-même: pourquoi dépenser autant pour lever si peu ? Le coût de la perception en France est déjà très élevé. Emmanuel Macron a manifestement l'intention de préserver cette tradition très française qui consiste à mettre en branle des marteaux piqueurs pour chasser des moustiques.
La machine étatique est-elle encore maniable?
Au-delà des péripéties qui ne manqueront pas d'intéresser les assujettis, c'est la question de la complexité propre à notre stratégie fiscale qui est en cause. Car l'impôt en France ne vise pas seulement à financer les dépenses publiques. Il cherche aussi à redistribuer les richesses et à favoriser la croissance économique. Trois lièvres à poursuivre pour un seul épagneul! D'où des impôts biscornus, avec des taux très élevés qui tétanisent tous les Occidentaux, mais une foule d'exonérations, d'exceptions, que plus personne ne comprend. Si elles nourrissent très correctement des armées de conseillers et d'experts fiscaux, ces règles incompréhensibles ont deux effets majeurs.
D'abord, elles détournent les Français de leurs impôts, qui sont autant de montagnes infranchissables qui dissimulent l'horizon économique. Ensuite, elles empêchent la bonne gouvernance de l'État. Celui-ci ressemble à une machine complexe dont personne ne connaît vraiment le mode d'emploi, et que seuls quelques spécialistes peuvent approcher sans encourir un danger létal immédiat.
La complexité, premier obstacle au relèvement français?
On comprend pourquoi la Commission Européenne conserve la France dans son viseur. En réalité, le problème français n'est pas économique, ni politique. Il est tout entier concentré dans le blocage de la société et des structures collectives par une élite qui assied son autorité par le recours à des règles incompréhensibles. Ces apprentis sorciers ont rendu le pays ingouvernable. La machine étatique est complexe, et personne n'en connaît le mode d'emploi.