Le serpent de mer est de retour : le porte-parole du gouvernement a ces jours derniers remis à l’ordre du jour "l’idée d’aller vers une simplification du recouvrement de l’impôt, avec la mise en œuvre progressive dans le cadre de la simplification des feuilles de paie et du numérique, de la retenue à la source, sans fusion".
Et le Président de la République s’est également prononcé pour un impôt "rendu plus simple dans son prélèvement", formule classique pour désigner la retenue à la source.
Compliquer la vie de l'administration fiscale
On remarquera que la simplicité dont il s’agit est celle du prélèvement, du recouvrement. Autrement dit, le but est sans doute moins de simplifier la vie aux ménages, et encore moins aux employeurs, qu’à l’administration fiscale. Contribuables et entreprises auront en revanche à se mettre en rapport pour des échanges de données – des données le cas échéant confidentielles. Pour établir le taux de l’impôt sur le revenu, il faut connaître toutes les ressources imposables, c’est-à-dire la quasi-totalité des rentrées d’argent, à quelques exceptions près comme les intérêts des livrets A. Il faut également connaître la situation de famille et toutes les opérations qui procurent des réductions ou des crédits d’impôts. Si nous devons communiquer à la direction des ressources humaines de notre employeur, ou directement au patron, dans le cas d’une TPE, nos gains financiers, nos dons aux ONG et nos recours à des employés de maison, l’employeur remplacera Bercy et adieu la confidentialité de nombreux éléments de notre vie privée. Bonjour, en revanche, l’augmentation des frais de fonctionnement des entreprises, obligées d’obtenir et de traiter la plupart des informations aujourd’hui communiquées à l’administration fiscale.
Le seul moyen d’éviter cela serait de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG en une seule et unique "flat taxe", mais il serait assez paradoxal que ce soit une majorité socialiste qui fasse le choix de renoncer à la progressivité de l’impôt direct. Nous devons donc chercher chez les promoteurs de la retenue à la source d’autres motivations. Deux au moins peuvent être envisagées.
Faire disparaître la notion de foyer fiscal
Premièrement, il se pourrait que les détenteurs actuels du pouvoir aient trouvé ce moyen pour rendre inévitable une individualisation complète de l’IR. La notion même de foyer fiscal hérisse le poil des ultra-jacobins, qui ne veulent aucun corps intermédiaire entre l’État et l’individu. Leur désir serait de réduire la famille à un simple rapprochement de personnes sans liens véritables entre elles. Que la cellule familiale soit reconnue par l’État comme une entité pourvue d’une existence et d’une réalité spécifique, comme un ensemble qui n’est pas seulement la réunion de quelques éléments, puisqu’il a en quelque sorte une personnalité fiscale, voilà qui leur est insupportable. Or, une fois mise en place la retenue à la source, les problèmes innombrables et empoisonnants qui en résulteront permettront de dire : une bonne partie de ces problèmes découlent du fait que l’on fait masse des revenus de plusieurs personnes pour calculer l’impôt sur la totalité de ces revenus. Faisons disparaître la notion de foyer fiscal, taxons uniquement des individus, sans se préoccuper de savoir s’ils ont des conjoints et des enfants, et nous aurons résolu une bonne partie du problème. Plus besoin par exemple d’indiquer à l’employeur les revenus du conjoint ou d’un enfant. La première piste d’explication est donc constituée par les dispositions d’esprit fortement antifamiliales d’une partie des détenteurs actuels du pouvoir. Les atteintes déjà portées au quotient familial et aux prestations familiales lui donnent une probabilité non négligeable.
La seconde piste, qui peut le cas échéant se combiner avec la première, est tout simplement la volonté de "balader" les citoyens et les autorités européennes ainsi que les gouvernements étrangers en agitant des projets de changements capables de donner l’impression d’une volonté réformatrice. La retenue à la source de l’impôt sur le revenu est pratiquée dans divers pays, particulièrement ceux qui ont adopté la "flat tax" impôt direct à taux uniforme. Peu au courant des subtilités de la législation fiscale française, les personnes qui dirigent ces pays ou les représentent à Bruxelles peuvent être favorablement impressionnées par l’affichage d’une volonté d’aller dans le même sens qu’eux. Peu importe à ses promoteurs si ce projet, en fin de compte, ne débouche pas sur un "grand soir" fiscal : l’important est d’abuser la galerie, celle des électeurs français et celle des potentiels censeurs étrangers, jusqu’aux prochaines élections présidentielles et législatives.
Article publié initialement sur Magistro