La sortie de crise : rebond ou renaissance ?
Les Etats-Unis ont dominé l’industrie mondiale pendant un siècle avant d’être dépassés par la Chine en 2010. A l’image de nombreux pays développés, l’économie américaine a vu l’importance de son industrie diminuer au cours des dernières décennies. Plus de 8 millions d’emplois industriels ont été détruits entre l’apogée de 1979 et 2011, sous l’effet d’importants gains de productivité, de l’externalisation d’emplois à des entreprises spécialisées, mais aussi d’une perte de compétitivité vis-à-vis des pays à bas coûts de main d’œuvre et de la vague de délocalisations qui s’en est suivie. En particulier, le déficit commercial par rapport à la Chine dans les produits manufacturés a été multiplié par 31 entre 1990 et 2013 et représente plus des deux tiers du déficit manufacturier américain.
Depuis 2010, la tendance semble s’être retournée. La production industrielle a retrouvé début 2014 son niveau d’avant la crise et quelque 850 000 emplois industriels ont été créés. Ce dynamisme fait de nombreux envieux dans les pays qui, comme la France, assistent au délitement continu de leur industrie. Aux Etats-Unis, le mot « renaissance » a été abondamment repris, avec soulagement et fierté, pour caractériser cette reprise du manufacturing.
Ce terme nous paraît toutefois prématuré voire trompeur : la renaissance suppose en effet une amélioration structurelle durable de la situation de l’industrie. Or la croissance récente compense à peine la saignée qu’a représentée la période 2008-2009, rebaptisée Grande Récession. Par ailleurs, l’embellie n’est pas générale : les secteurs industriels suivent des trajectoires très contrastées, tout comme les différentes parties du territoire américain. Enfin et surtout, c’est à tort selon nous que cette croissance est attribuée à un regain de compétitivité : le sursaut de l’industrie américaine est d’abord un rebond autocentré.
L’invisible regain de compétitivité
L’industrie manufacturière américaine bénéficie, depuis bien avant la crise, d’une excellente compétitivité-coût. Le coût unitaire de la main d’œuvre a baissé de 15 % entre 2002 et 2011, alors qu’il augmentait (en dollars) de 80 % en Italie, 53 % en France, 43 % en Allemagne. Même en tenant compte des effets de change, la modération salariale dans l’industrie manufacturière fut plus importante outre-Atlantique qu’en Allemagne. Les industriels américains bénéficient également de l’abondance d’une énergie bon marché. Aux Etats-Unis, l’électricité est globalement deux fois moins coûteuse qu’en Europe ou au Japon pour les industriels, et ce depuis longtemps. De plus, depuis la mise en exploitation de nombreux gisements de gaz de schiste, le gaz naturel y est lui aussi devenu deux à trois fois moins cher.
Toutefois, contrairement à ce que suggèrent de nombreux commentateurs, la reprise d’après 2008 ne semble pas avoir été le fruit d’une compétitivité accrue. En effet, le déficit commercial dans les biens manufacturés, structurel depuis le début des années 1990, s’est réduit durant la crise avec le ralentissement du commerce mondial, mais il n’a cessé de se dégrader jusqu’en 2014 et représente 566 milliards de dollars[1]. L’augmentation de l’excédent commercial dans les services ainsi que la baisse de la facture énergétique ont eu tendance à masquer cette réalité dans de nombreuses analyses.
En réalité, seuls deux secteurs industriels se distinguent nettement des autres par l’amélioration de leur solde commercial. Il s’agit de l’industrie aéronautique et des produits pétroliers raffinés. Le premier est historiquement un fort contributeur aux exportations américaines grâce à l’implantation d’entreprises comme Boeing. Leur activité a bénéficié du redémarrage du marché mondial et les exportations du secteur ont atteint en 2014 un nouveau record à 137 milliards de dollars. Le second a pour sa part tiré profit d’un récent et impressionnant boom des pétroles non conventionnels. Hormis ces deux exceptions, la quasi-totalité des autres secteurs présentent un déficit commercial qui se dégrade. En particulier, le déficit s’accroît dans des secteurs comme l’automobile, dont la production a pourtant fortement rebondi depuis 2009, ou les produits informatiques et électroniques, qui sont restés très dynamiques sur les dernières années. Au total, la part des importations dans la consommation américaine de biens manufacturés est passée de 27% en 2007 à 29 % en 2013.
Certes, quelques cas de relocalisations font sensation dans les médias et alimentent de nombreuses publications. Pourtant, leur poids n’apparaît pas déterminant. L’estimation, probablement optimiste, de la Reshoring Initiative évalue à 100 000 les créations d’emplois manufacturiers liées aux relocalisations entre 2010 et 2013. Cela compense tout juste les délocalisations intervenues sur la même période. De nombreuses firmes, en particulier dans le secteur des hautes technologies, ont annoncé qu’elles allaient rapatrier des activités sur le sol américain mais n’ont jamais sauté le pas en raison des nombreux obstacles qu’une telle démarche rencontre.
Le propos n’est pas ici de nier que l’industrie américaine soit compétitive mais de contester que le « miracle » récent de l’emploi industriel puisse être attribué à une amélioration drastique de l’offre.
La note "L'industrie américaine : simple rebond ou renaissance ?" sortira le 8 juin 2015.
Retrouvez un extrait puis l'intégralité de la note reproduite ci-dessus à cette adresse : https://www.la-fabrique.fr/Ressource/l-industrie-americaine-simple-rebond-ou-renaissance
Le Think Tank "La fabrique de l'Industrie" organise également une conférence à l'école des Mines de Paris le 15 juin 2015 : https://(www.la-fabrique.fr/Evenement/1/gaz-de-schiste-cout-du-travail-innovation-les-lecons-du-rebond-industriel-americain/