Dans Le Figaro du 11 mai, Lionel Stoléru s’applique à démontrer que la formule de revenu universel correspondant à un impôt négatif est véritablement libérale. Et surtout qu’elle est « bonne pour la France ». J’avoue ne pas avoir été convaincu.
Cette variante du revenu universel consisterait à donner à chacun une certaine somme, par exemple 500 € par mois, soit en créditant son compte en banque, soit en diminuant d’autant son impôt sur le revenu. Celui qui doit plus de 6 000 € au fisc verrait donc son impôt allégé d’autant ; celui qui n’est pas imposable recevrait 500 € chaque mois ; et celui dont l’impôt, calculé selon les règles usuelles, aurait pour montant I compris entre 1 € et 5 999 €, n’aurait rien à verser au fisc, mais recevrait chaque mois le douzième de (6 000 € - I).
Sur le papier, c’est très joli. Mais en pratique ? Remarquons tout d’abord que l’impôt sur le revenu (IR), en France, concerne des « foyers fiscaux », lesquels sont, dans la majorité des cas, des familles. Il faudra donc déduire de IR soit autant de fois 6 000 € que le foyer fiscal a de « parts de quotient familial », soit autant de fois 6 000 € que la famille compte de membres. Pour un foyer fiscal composé d’un couple et 2 enfants, la déduction sera de 18 000 € dans un cas, et de 24 000 € dans l’autre. Il faudrait savoir !
De plus, les allocations familiales, en France, ne sont versées qu’à partir du second enfant, et sont nettement plus élevées à partir du troisième. Est-ce ou non, le bon choix, nous ne trancherons pas ici ce point délicat. Remarquons simplement que, pour le fisc, le premier enfant est pris en compte à l’égal du premier. Remplacer les « alloc » par le revenu universel conduirait donc à modifier substantiellement notre politique familiale, qui coûterait désormais nettement plus cher à la fois parce que le premier enfant ouvrirait droit à ce substitut d’alloc, et parce que pour 2 enfants les 500 € mensuels de revenu universel fiscal n’ont rien à voir avec les 130 € mensuels des dites alloc.
Venons-en au principe même d’un revenu totalement indépendant des problèmes auxquels sont ou non confrontés les personnes et les ménages. En 2010, Serge Guérin a publié (aux éditions Michalon) un ouvrage très roboratif intitulé De l’État providence à l’État accompagnant. Il y préconise, en remplacement d’une partie de notre système d’aides attribuées de façon bureaucratique, une « politique du care ». Celle-ci consiste à prendre soin globalement de la personne ou de la famille en difficulté, pour maximiser ses chances de sortir du trou au lieu de lui permettre simplement de végéter au fond du dit trou. Il veut « passer d’une culture de l’assistance à une logique de l’accompagnement ».
Serge Guérin, militant écologiste qui a soutenu la candidature d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, n’est certes pas un libéral, et je réfuterais volontiers certaines de ses analyses et propositions. Mais son appel à une « logique de l’accompagnement » me paraît avoir une importance névralgique, d’autant plus qu’elle n’est pas étatiste. Il expose par exemple le cas d’une personne ayant atteint un stade assez avancé de la maladie d’Alzheimer. L’entourage familial peut faire des merveilles, économisant à la société un nombre incroyable d’heures de travail professionnel – mais il a besoin de souffler de temps à autre, et d’être conseillé, soutenu. Au lieu d’employer systématiquement du personnel paramédical pour s’occuper entièrement du malade, le care consiste (si c’est possible) à apporter à son entourage ce qui lui est nécessaire – et cela dépend de chaque cas particulier. C’est plus humain, plus familial – et moins lourd pour les finances publiques.
Ce « sur mesure » me paraît autrement approprié que les soi-disant solutions universelles. Celles-ci sont beaucoup plus bureaucratiques que libérales. Le revenu universel est typiquement le produit d’esprits de géomètres qui manquent de ce que Pascal appelait « avoir une bonne vue ». Le vrai libéral se doit d’être inspiré à la fois par l’esprit de géométrie et par l’esprit de finesse, c’est-à-dire de raisonner selon des principes tout en portant la plus grande attention aux réalités multiples et nuancées.