Un Mondrian à 51 millions de dollars, un Giacometti à 141, un Picasso à 180 : les valeurs des artistes explosent à New York. C’est bien que l’art soit célébré. Mais à ce point, c’est surtout la preuve que plus d’argent que jamais est détenu dans très peu de mains et cherche à se placer au plus vite, dans très peu d’actifs, en surfant sur la vague montante des prix.
Pendant ce temps, en effet, les bourses sont au plus haut. Mais que va-t-il se passer si la Chine poursuit sa décrue, si la croissance future déçoit aux Etats-Unis, notamment quand les taux courts commenceront à monter et les taux longs continueront à le faire ? Réponse : une baisse des cours boursiers. Et si on ajoute que les sociétés ont largement racheté leurs actions pour valoriser au mieux leurs titres ? Réponse : un krach boursier. Que vont alors les Mondrian devenir ?
Réponse : pause pour les chefs d’œuvres incontestables, forte chute pour les autres. Pause pour les Mondrian, Giacometti et Picasso : tant d’acheteurs les désirent ! Ils ne sont pratiquement plus Européens, sauf quelques Anglais. Ils restent Américains, bien sûr, rejoints par les Russes. Et voilà les Chinois : eux sont si désireux de rattraper le retard, plaçant ainsi (hors de Chine) une épargne si « longuement » amassée !
D’un point de vue économique (moins artistique donc), c’est parce que la liquidité est partout et surtout dans quelques mains qu’elle peut orner quelques murs et surtout emplir quelques coffres. L’œuvre d’art est un des meilleurs condensés de valeur dans la durée, avec une taxation des plus légères, en supposant de ne pas se tromper. C’est aussi une façon de la transporter et de la transférer, quand le temps se couvre.
Cette envolée des prix des toiles ne trompe pas : une très ample richesse cherche à se placer vite dans quelques actifs. Elle est très récente, c’est pourquoi on assiste à ces emballements. Quelques « vieux riches » cèdent des tableaux acquis il y a une quinzaine d’années, lors du précédent boum de l’art, avant la crise 2007-2008. Ils triplent la mise d’alors, respirent (eux) et vont chercher d’autres investissements pour les trente années qui viennent.
Pause pour les chefs d’œuvre, forte chute pour les autres : le « malheur » des krachs n’est pas celui des plus riches acheteurs des vrais chefs-d’œuvre mais celui des produits de moindre qualité achetés par ceux qui ne sont pas super-riches. Le boum fait monter très haut les prix des meilleurs actifs, mais surtout monter trop haut ceux de moindre qualité. Quand les plus riches se battent pour les grands Mondrian et les superbes Picasso, les moins riches, mais ils sont bien plus nombreux, se battent pour les Mondrian et Picasso de moins bonne facture ou de moins bonne année, en attendant de se rabattre sur du « moins cher », du « moins bon » ou du « moins connu », pensant quand même profiter de la hausse. Mais dans les boums, les différences s’effacent jusqu’au moment où le marché se retourne : la chute est alors très sévère pour qui n’est pas de première qualité.
Ce qui se passe pour l’art se produit pour l’immobilier comme on le voit à New York et Londres. Tous les prix s’envolent, des agrandissements se font partout, avec l’idée que la revente s’accompagnera d’une considérable plus-value, le prix du mètre carré étant supposé constant. Mais quand les très belles maisons de Londres ou les appartements avec vue sur Central Park baisseront un peu, ceux qui ont englouti des fortunes à New York pour embellir des lieux qui ne donnent pas sur Central Park ou, comme à Londres, ont creusé trois niveaux sous le sol dans des quartiers « très bien… mais » risquent d’être très déçus. Les acheteurs d’alors trouveront que c’est sans lumière à Londres, et sans vue à New York !
Moralité : faute d’être très riche (plus d’avoir très bon goût ou d’être très bien conseillé), quand on spécule sur des actifs, il faut savoir que les envolées de prix préparent retournements et désillusions. Aujourd’hui, l’immobilier et l’art sont très hauts, parce que la bourse est très haute. Il faut donc se préparer aux baisses et n’acheter que les meilleures qualités… si on peut bien sûr. Autrement, il faut aller voir les chefs d’œuvre au musée. D’ailleurs ils y finissent tous. Et c’est moins cher.
Article initialement publié sur le blog de Jean-Paul Betbèze et reproduit ici avec l'autorisation de son auteur.