L’activité télécom et média de Bouygues dans le viseur d’Orange

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Par Frédéric Ichay Publié le 16 décembre 2015 à 14h15
Fusion Bouygues Telecom Orange Telephonie Secteur Entreprise
@shutter - © Economie Matin
50%Orange détient 50% du marché télécoms en France.

Après des mois de résistance, il semblerait que Bouygues se soit finalement résigné à discuter avec un autre prétendant au rachat, Orange. Si elle était couronnée de succès, cette opération aboutirait à une consolidation plus forte encore du secteur des télécoms français.

Le rachat qui changerait la donne

Depuis quelques jours la rumeur enfle au sujet de tractations secrètes entre le géant Orange et la société Bouygues. En effet, Stéphane Richard (PDG d'Orange) viserait l'activité télécom et média (chaine de télévision TF1) de la société de Martin Bouygues.

Aussitôt, la bourse a plutôt bien réagi puisque l'action Bouygues a augmenté de 1,2% tandis que celle d'Orange a à peine baissé de 0,6%.

Face au souhait de Martin Bouygues de garder un pied dans le secteur des télécoms, l'opération serait réalisée essentiellement en titres. Cela permettrait à Bouygues d'entrer au capital d'Orange en obtenant 22%, tout en sachant que l'Etat avec 25% est actuellement le premier actionnaire, ce qui laisse présager de potentiels futurs conflits de gouvernance entre eux.

En premier lieu, cette alliance répondant au souhait de Stéphane Richard de revenir à un marché de 3 opérateurs permettrait à Orange, qui a souffert de l'arrivée de Free sur le marché en 2012, d'améliorer ses marges via une consolidation de ses offres et une mutualisation de certains couts fixes. Il ne peut être exclu également un petit ajustement à la hausse de sa politique tarifaire. L'opérateur pourrait également mieux jouer sur les économies d'échelle afin de rentabiliser ses investissements dans la 4G et la Fibre optique qui, bien que nécessaires en matière d'innovation, s'avèrent extrêmement couteux.

De plus, avec le rachat du pan Média, Orange pourrait élargir sa gamme d'activités au travers de la poursuite de sa politique de convergence contenants/contenus. En effet, Orange a depuis longtemps entreprit d'acquérir du contenu tout en développant ses propres plateformes comme "la vidéo à la demande d'Orange".

Ce type de regroupement Média/Télécoms est en vogue ces derniers temps, en témoigne l'exemple de Vincent Bolloré avec Vivendi-Canal + et Télécom Italia, et celui d'Altice qui a récemment raflé les droits de diffusion du championnat anglais de foot. En effet, les opérateurs télécoms misent sur des contenus exclusifs, facilités par de telles convergences contenants/contenus, pour réussir à mieux retenir leurs abonnés tout en augmentant leur ARPU (average revenue per user).

En second lieu, ce rapprochement entrainera mécaniquement une diminution des offres concurrentes dans le domaine des télécoms pour les consommateurs. De là à dire que cela favorisera les ententes tarifaires entre opérateurs, il est clairement trop tôt pour le dire même si les autorités de la concurrence européennes veillent au grain.

En outre, le monde des télécoms a vu émerger l'arrivée de nouveaux acteurs (Skype, Viber, WhatsApp...) qui offrent des services de transmission de voix et de données qui étaient auparavant exclusivement le monopole des opérateurs historiques.. Dès lors, il est probable que même si les consommateurs continuent de souscrire auprès des opérateurs historiques pour obtenir un réseau plus fiable et plus sur, il n'en reste pas moins que l'accès gratuit aux offres de voix force les opérateurs à une politique tarifaire très compétitive. Ainsi, on pourrait penser que les meilleurs défenseurs de l'intérêt des consommateurs seront finalement ces nouveaux acteurs de l'internet qui imposent aux opérateurs historiques une pression constante sur les conditions de leur offre.

Une alliance en péril

Néanmoins les jeux ne semblent pas faits en ce qui concerne les beaux projets d'Orange et Bouygues puisque quelques obstacles non négligeables sont à prendre en compte.

En premier lieu, il ne faut pas oublier qu'Orange détient déjà 50% du marché fixe et mobile en France. Or, si l'on ajoute à cela la part de Bouygues, la nouvelle entité se placera alors automatiquement en position dominante sur le marché.

De ce fait, les autorités de la concurrence seront attentives au déroulement de cette alliance. Or si le Président de l'Autorité de la concurrence est favorable à ces consolidations, considérant qu'il n'y a pas de nombre "magique" d'opérateurs, il en va différemment pour la Commission européenne de la concurrence. Effectivement, la nouvelle présidente de la Commission est pour sa part plus réservée sur le sujet et elle a dernièrement contrecarré certains projets de consolidation européenne (Teliasonera et Telenor notamment).

Il semble néanmoins que Stéphane Richard ait anticipé cet éventuel blocage et ait d'ores et déjà contacté SFR et Free. Il les aurait ainsi informés des tractations en cours mais surtout, il leur aurait demandé quels actifs de Bouygues ils seraient disposés à acheter afin de mieux répartir les actifs entre les différents acteurs télécoms. De cette façon la Commission pourrait émettre moins de réserves envers ce projet. Selon certaines sources, il s'agit là d'une particularité du secteur qui veut que pour que l'un des acteurs se "marie" avec un autre, il faut que la "famille" soit d'accord.

Enfin, l'Etat étant actionnaire à 25% d'Orange, il semblerait que les deux sociétés fassent actuellement du lobbying afin que l'opération puisse voir le jour. Coïncidence étrange, Martin Bouygues vient récemment de déposer une réclamation auprès de l'Etat pour obtenir remboursement du préjudice causé par l'arrivée d'un quatrième opérateur en 2012 (Free). Une réclamation d'un montant d'une valeur si importante (2,28 milliards d'euros) que certains y voient une façon pour Bouygues de forcer la main de l'Etat afin qu'il coopère lors de cette opération. Enfin, il faut évoquer la présence potentielle de la chaine TF1 dans la corbeille de la mariée, qui viendrait augmenter la valeur du deal en posant néanmoins la question concernant la participation déjà existante de l'Etat dans sa principale concurrente : France Télévision.

Face aux démentis plus ou moins ambigus des deux principaux concernés, nous ne pouvons que formuler des hypothèses en réponse aux rumeurs. À quand une annonce de mariage officielle?

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Fréderic Ichay est avocat à la Cour admis au Barreau de Paris et associé du Cabinet Pinsent Mansons. Il a travaillé pendant plus de quatre années à Singapour, où il a accompagné de grandes multinationales spécialisées dans les domaines de l’énergie et de la communication, dans leurs opérations de restructurations et d’investissements en Asie du Sud-est.  Spécialiste en Droit des sociétés et dans les Fusions et Acquisitions internationales dans le secteur de l’énergie et de la communication, Frédéric intervient principalement en France, en Afrique et en Asie.  Frédéric conseille principalement des leadeurs mondiaux de l’énergie, de l’Informatique et des Télécoms dans leurs transactions complexes de fusions et acquisitions, en particulier dans les domaines de l’informatique, des jeux en ligne et des énergies renouvelables (biomasse, photovoltaïque).  Frédéric est membre du Power Law Committee  de l’International Bar Association et est classée dans Legal 500 dans la rubrique Corporate and M&A . Frédéric est également référencé dans l’international Who’s Who des Telecoms and Media Lawyers 2014.  Frédéric est membre de l’Association Française de Droit de l’Energie ainsi que coéditeur du Blog Expert "Green Business" Le Figaro, et écrit régulièrement dans des publications internationales.  Frédéric intervient aussi dans les conférences internationales sur les énergies renouvelables et les nouvelles technologies. 

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