La crise du coronavirus, en dépit de son importance, ne doit pas éclipser tout le reste. Le « reste », c’est notamment la démographie : on en parle moins que de l’économie, mais elle compte beaucoup pour l’avenir à long terme de notre pays.
Nous utiliserons ici les séries statistiques de l’INSEE relatives à la France métropolitaine : en effet, les données relatives à l’Outre-mer sont fournies avec un important délai. Le tableau ci-dessous donne les naissances de chaque mois, depuis mars 2019 jusqu’à mars 2020 inclusivement. Il fournit également le nombre moyen de naissances journalières, indicateur plus pertinent que le nombre de naissances du mois pour observer les évolutions de la natalité : en effet, une natalité identique donne plus de naissances un mois donné si ce mois compte plus de jours. Par exemple, un même niveau de natalité débouche sur environ 3 % de naissances en plus pour un mois de 31 jours, comme juillet, que pour un mois de 30 jours, comme juin ; et si l’on considère le mois de février d’une année non bissextile, par exemple 2019, comme il comporte seulement 28 jours, à natalité égale il enregistre à peu près 10 % de naissances en moins qu’un mois de janvier ou de juillet (31 jours). C’est donc cet indicateur « naissances par jour » que nous utilisons pour suivre les évolutions de la natalité. Le tableau ci-dessous fournit les données sur 13 mois, de mars 2019 à mars 2020.
Naissances en France métropolitaine de mars 2019 à mars 2020
La natalité est sinusoïdale
On remarquera tout d’abord l’ampleur de l’écart entre le mois de l’année le plus fécond (juillet 2019, avec en moyenne 2 084 naissances par jour), et le mois le moins fécond, mars, qui a donné 1 826 naissances par jour l’an dernier, et 1823 cette année : la natalité journalière de juillet dépasse d’environ 14 % celle de mars !
Il convient ensuite d’observer que l’évolution de la natalité au cours du temps a quelque chose de sinusoïdal : de mars à juillet les naissances sont de mois en mois plus nombreuses, et ensuite on assiste à une baisse, depuis le maximum atteint en juillet 2 019 jusqu’au point bas de mars 2020.
Il faut naturellement regarder si cette allure sinusoïdale du nombre du nombre quotidien de naissance au cours d’une période de 12 mois existe depuis de nombreuses années. Pour 2016-2017, par exemple, c’est bien le cas : le point bas initial est cette fois avril 2016, avec 1 910 naissances quotidiennes ; le point haut est atteint en juillet, avec 2 171 naissances par jour (12,7 % de plus) ; et le point bas suivant est en mars 2 017, avec 1 894 naissances mensuelles (baisse de 12,8 % par rapport au point haut).
Mentir, statistiques à l’appui
La première leçon à tirer de ce phénomène sinusoïdal de la natalité française concerne les commentaires des données relatives à la natalité : si l’on veut crier au loup, inquiéter la population ou la classe politique, il suffit de fournir une évolution sur une période de 5 mois, ou 6, ou 7 mois, convenablement choisie, par exemple de juillet 2016 (par jour, 2171 naissances) à janvier 2017 (par jour, 1952 naissances) ; et inversement, en faisant le choix de l’autre semestre, il sera possible de dire que tout va pour le mieux.
Prenons par exemple un homme politique désireux de montrer que tout va bien en matière de natalité grâce à l’excellence de la politique familiale française : il lui suffit de faire la comparaison entre le mois de mars d’une année et le mois de juillet ou de septembre de la même année. Prenons maintenant un représentant de l’opposition : il montera en épingle la baisse survenue de septembre de l’année précédente à mars de l’année en cours.
Le tableau ci-dessous permettra au lecteur de faire lui-même le constat pour l’année 2015-2016.
Le dévoiement de la statistique
En faisant ce constat, vous comprendrez l’avertissement de Michael Ferrari : « Chaque jour, on se fait blouser, abuser, arnaquer et manipuler par les chiffres. La raison est simple : c’est tellement plus facile de mentir avec un calcul orienté qu’avec une argumentation construite. »
Cet avertissement est en quelque sorte une variante contemporaine de la célèbre formule de Virgile dans l’Enéide : Timeo Danaos et dona ferentes (« je crains les Grecs quand ils font des cadeaux »). Les Grecs (Danaos) de l’Enéide sont aujourd’hui ceux qui utilisent les statistiques, sciemment ou par ignorance, de façon scientifiquement incorrecte. Ils sont légion. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », écrivait Camus. Mal utiliser les statistiques est une façon assez courante de mal nommer les choses, de donner un cheval de Troie.