Sentez-vous cette odeur ? C’est celle de l’idylle florale printanière. Celle de ces fleurs qui sont, comme l’écrivait Khalil Gibran, "les rêves de l’hiver, racontés, le matin, à la table des anges". Elles exhalent un doux parfum végétal. Un doux parfum d’oseille. Mais pas de cette plante potagère herbacée dicotylédone de la famille des polygonacées. Non, je vous parle de cette autre feuille, souvent dématérialisée, qui signe, comme une promesse redoutée, la moisson fiscale qui vous attend au sortir de l’été.
Oui, vous l’avez compris, sous des dehors feuillus, je vous parle de votre déclaration de revenus.
L’air de la campagne
Vous pensiez que l’argent n’avait pas d’odeur ? Vous oubliez que l’agent, celui du fisc, ne manque pas de flair. Et il aime le bon air. L’air de la campagne. Qu’elle soit du Bâtonnat de Paris ou des présidentielles. Il aime que l'air soit lourd, électrique, chargé de promesses. Mais pour ce fin gourmet, rien n’est assez beau, rien n’est assez bon. Alors il lui faut toujours de nouvelles recettes. Au point que notre confrère Pierre Véron s’interroge : « pourquoi l’impôt, qui a une assiette, doit-il toujours manger dans la nôtre? » Entendons-nous bien. Je ne cherche pas à éveiller en vous la moindre velléité de sédition envers l'ordre fiscal établi. Anciens et modernes s'accordent en effet pour considérer que, sans recettes, il est bien difficile de prendre sa part du gâteau. Mao Zedong ne clamait-il pas que "payer ses impôts est un devoir glorieux"? A n'en pas douter, sur ce point, le chantre de la révolution culturelle sut faire montre d'un classicisme certain.
Le bâtonnier de Paris, un acteur fiscalement responsable
Il convient donc de s’acquitter de l’impôt. Certes. Mais accomplir notre devoir de citoyen doit-il nous interdire, pour autant, d’interroger sa signification? L'impôt, qu'elle qu'en soit la recette, conditionne la survie de notre régime. Un régime dont les protéines se nomment « liberté, égalité et fraternité ». Il est donc normal de le dénoncer -dans ses carences comme dans ses excès-, dès lors qu'il entrave la liberté ; dès lors qu'il devient vecteur d'inégalité. Il faut donc questionner, conseiller, proposer aux plus hautes instances, la justesse de la mesure et la pertinence desdites mesures. Or, Le Bâtonnier de Paris jouit pour cela d’une place de choix. Il jouit d’une place... capitale.
Corriger les inégalités, pour le particulier
C’est devenu un poncif de dire que les justiciables ne sont pas tous égaux devant l’accès au droit. Pourquoi la fiscalité ne pourrait-elle pas rétablir cette égalité ? Prenons un exemple : Le coût réel des honoraires dus à un avocat diffère selon qu’il s’agit d’une entreprise ou d’un particulier. En effet, l’entreprise peut déduire de sa facture mensuelle la TVA comprise dans les frais d’honoraires dus à son avocat. Le particulier, lui, ne le peut pas. Bien sûr, la TVA est l’apanage de Bruxelles. Mais, il appartient aux avocats de s’unir et de se mobiliser pour défendre une refonte du système favorable au particulier. Cette refonte pourrait s’inspirer de ce qui existe déjà en droit social où une recommandation issue d’une directive européenne l’invite à déduire une partie de ses frais encourus au titre des honoraires d’avocat, lorsqu’il agit devant le conseil de prud’hommes pour recouvrer une partie de son salaire dont un licenciement abusif l’aurait privé.
Corriger les inégalités, pour le professionnel libéral
Parler d’inégalités c’est aussi évoquer celles que subissent les avocats dans l’exercice de leur métier. Est-il normal qu’aujourd’hui nous ne puissions déduire l’ensemble des dépenses exposées pour l’accueil de notre clientèle et pour le traitement des prestations de nos cabinets en France et à l’étranger ? C’est pourtant ce que font les entreprises industrielles, financières et commerciales ! Est-il normal de laisser plafonner à 10% du capital, la déductibilité des dividendes distribués aux associés de sociétés d’exercice libéral ? Ce dispositif retire pourtant à cette structuration son intérêt capital !
La fiscalité, première fenêtre de la liberté
L’avocat incarne souvent la défense de la liberté. Une défense qui s’exerce dans les prétoires. Mais aussi ailleurs. Nombreux sont ceux qui savent que Tronson du Coudray, figure emblématique du barreau de Paris, devait payer de sa personne son dévouement exemplaire devant l’ire révolutionnaire. Mais combien sont ceux qui savent aussi que ce défenseur de la reine laissa dans son bureau, les notes nécessaires à une vraie réforme fiscale de son pays? S’il pouvait en exister une, la morale de cette histoire serait que la noblesse de notre métier réside parfois également en des tâches que nul ne saurait entrevoir. Pour servir notre ordre, pour servir ses avocats, nous devons veiller à n’en oublier aucune. Pour faire de la fiscalité la première fenêtre de la liberté, sur ce terrain aussi, nous devons donc nous engager.