Grèce : les investisseurs étrangers, terreur du gouvernement Tsipras

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Par Aurélie Cazenave Publié le 17 décembre 2015 à 11h42
Grece Tsipras Crise Economique
@shutter - © Economie Matin
24,6%Le chômage a baissé en Grèce, de 24,7 % en août à 24,6 % en septembre

Le gel des privatisations après l'arrivée au pouvoir du parti Syriza en janvier avait donné le mot d’ordre : la Grèce ne fait pas confiance aux investisseurs étrangers. Survivant grâce aux plans d’aide, le gouvernement grec, qui espère encore une relance par le secteur public de l’économie nationale, s’enfonce dans un assistanat peu fécond. Alors que la majorité se délite toujours un peu plus, au fil des scrutins, le pays n’a d’autre choix que d’accompagner les privatisations afin d’enfin sortir de la crise. Une évidence qu’il fait bon rappeler, quand on voit le sort que compte réserver le gouvernement à l’industrie navale, deuxième poumon économique du pays après le tourisme.

Syriza en position délicate

Un nouvel accord a été signé entre la Grèce et ses créanciers, et cette fois sans les remous qui avaient accompagnés les dernières négociations entre le parti au pouvoir Syriza et les créanciers internationaux du pays. Vendredi 11 décembre dans la soirée, le ministre grec des Finances Euclide Tsakalotos a annoncé avoir trouvé un terrain d'entente avec les représentants du « quartet » qui regroupe le FMI, la Commission européenne, la BCE et le Mécanisme européen de Stabilité (MES). Il s'agissait de s’assurer de l’application des 13 mesures que le groupe technique de l'Eurogroupe, l'Euro Working Group, avait établies en contrepartie de la libération de la prochaine tranche d’1 milliard d'euros du programme de soutien financier au pays. Cette signature indolore s’accompagne de bonnes nouvelles : le chômage a baissé en Grèce, de 24,7 % en août à 24,6 % en septembre, le tourisme a réalisé une très bonne saison malgré la crise politique nationale etla consommation des ménages est restée soutenue aux deuxième et troisième trimestres.

Mais cette stabilisation permise grâce au financement massif du pays, sorte de perfusion de capitaux, peine à cacher les graves carences du tissu économique grec, et l’oiseau Grèce ne semble pas prêt de pouvoir sitôt voler de ses propres ailes. L’aide européenne et internationale ne durera pas infiniment, et le gouvernement grec doit accélérer le pas afin de sortir de cette position (sinon mentalité) d’assistanat. Les difficultés structurelles qui ont causé la crise persistent. L’investissement des entreprises a chuté de 7 % au troisième trimestre d’après Natixis, alors que l’économie hellène a reculé de 0,9 %. On peut imputer ce ralentissement à un colbertisme stérile du parti au pouvoir, qui multiplie toujours les signes de méfiance quant à l’investissement international. Avec une attitude très peu accueillante, dictée par une farouche volonté de se relever seul, le gouvernement d’Alexis Tspiras tourne le dos à des aides significatives, et risque de rater le coche de la reprise comme le montrent les derniers chiffres.

Le 3 décembre, la deuxième grève générale en un mois paralysait le pays (le mouvement affectait surtout le secteur public, administrations, hôpitaux et écoles ainsi que les transports). Les syndicats avaient appelé à ce mouvement social afin de protester contre une vaste refonte du système des retraites à laquelle le gouvernement d'Alexis Tsipras doit s'atteler d'ici début 2016. Cette contestation montre à quel point la coalition gouvernementale éprouve des difficultés à maintenir la cohésion depuis la défection de l’aile gauche de Syriza. Lors du dernier vote, les réformes ont été seulement adoptées par 153 voix sur un total de 300 députés. Ce problème de popularité est dû au retour du gouvernement sur ses promesses de tenir tête à l’Union Européenne, ainsi qu’à une absence de résultats probants en contrepartie du sacrifice consenti par Tsipras.

L’industrie navale symptomatique d’un colbertisme mortifère

Pourtant, les moyens de permettre à l'économie grecque de revenir à une trajectoire de croissance durable fondée sur les finances publiques saines, une amélioration de la compétitivité, un taux d'emploi élevé et une stabilité financière ne sont pas sorcier. Seulement, le gouvernement a les pieds froids. Il a pourtant consenti à des efforts de privatisation dans le secteur aérien, avec la cession de 14 aéroports régionaux. Ces derniers lui ont permis de récupérer des fonds importants, et certains commentateurs y ont vu un signe qu’Athènes est en train d’évoluer sur le sujet des privatisations. L’Etat grec ne semble néanmoins pas capable d’admettre que la même opération aurait les mêmes résultats dans d’autres secteurs.

Ainsi en va-t-il du secteur naval, le second du pays en termes d’importance économique après le tourisme. L’industrie navale pèse ainsi 9 milliards de dollars, et contribue à elle seule à hauteur de 4 % au produit national brut (PNB). En incluant tous les marchés liés à cette industrie, ce sont 17 milliards de dollars qui sont en jeu, soit 7,5 % du PNB, pour un total de 192 000 emplois. Problème, si le secteur naval reste puissant, il est de plus en plus mis à mal par la politique de Syriza, qui souhaite mettre fin aux allègements fiscaux dont il bénéficie. Un non sens économique, sachant qu’en parallèle, si le gouvernement entend vendre ses ports à la Chine, il souhaite par ailleurs placer tous les chantiers navals sous l’autorité d’une seule entité publique, ruinant leurs chances de chercher auprès d’investisseurs étranger l’oxygène dont on les prive de plus en plus. Syriza ne s’y prendrait pas autrement s’il comptait saccager l’un de ses secteurs historiques – la Grèce possède la plus grande flotte marchande au monde.

Difficile de comprendre pourquoi la défiance de Syriza quant aux investisseurs ne s’est pas émoussée à la vue du franc succès des quelques ouvertures consenties par le gouvernement – à demi-mot et sous une intense pression des créanciers, certes. En mai dernier, je déplorais que « plutôt que de prendre le taureau par les cornes, le gouvernement grec semble pour le moment plus intéressé par les aides européennes - cher payées en termes de liberté et bientôt peut être d'intérêts - plutôt que par une relance de l'emploi par l'entreprise. » Il est triste de voir que sur le fond, on en est toujours au même point. A moins d’un changement de cap, les difficultés actuelles vont s’intensifier, et la douloureuse question du Grexit se posera à nouveau. Il ne pourra en être autrement.

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Conseillère développement export et implantation d'entreprises à l'international, expertise secteur est-européen et Asie.

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