Airbnb n’est plus tout à fait en odeur de sainteté dans l’Hexagone. En témoigne une proposition de loi déposée au palais du Luxembourg, ce mercredi 29 mars, cosignée par des sénateurs de tous bords, et dont l’objectif est « d’instaurer une certaine équité entre la plateforme et les acteurs historiques, notamment sur le plan fiscal ». A l’origine de cette proposition, l’Association pour un Hébergement et un Tourisme Professionnels (Ahtop) et le Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (Synhorcat), qui dénoncent depuis plusieurs années, la « concurrence déloyale » de la plateforme numérique.
Même secteur, règles différentes
Les hôteliers ont été les premiers à faire les frais de l’arrivée d’Airbnb et consœurs en France : baisse de fréquentation (40% rien qu’à Paris), diminution du chiffre d’affaires, gel des embauches, licenciements, etc. En théorie, voir les acteurs historiques d’un secteur souffrir de l’arrivée d’un nouveau concurrent, somme toute très innovant, n’a rien d’anormal ou d’inhabituel. Mais ce n’est pas tant l’émergence de ce nouvel acteur que l’iniquité de la situation concurrentielle qui est à l’origine de la grogne des professionnels de l'hôtellerie.
Il est difficile de jeter la pierre aux pouvoirs publics pour ne pas avoir imposé un cadre légal clair aux plateformes numériques, dès leur émergence, tant leur omniprésence actuelle était difficile à prévoir. Néanmoins, la « concurrence déloyale » que dénoncent les hôteliers depuis quelques années apparaît aujourd’hui comme bien réelle et devrait engendrer un certain nombre de réactions législatives. En tout premier lieu, sur le plan fiscal : de leur côté, les hôtels voient chacune de leur chambre être taxée dès le premier euro tandis que les logements loués sur une plateforme numérique ne sont imposés « qu'à partir de 23 000 euros de revenus annuels ». Pour Quentin Vandevyver, Président de Best Western France, cette différence de traitement fiscal ne peut plus durer, « les responsables politiques ne peuvent continuer à fermer les yeux ».
La « grogne » se propage
Les professionnels de l’hébergement ne sont plus les seuls à exprimer leur mécontentement à l’encontre de l’entreprise californienne. En effet, riverains, petits commerçants, syndic de copropriété… Ils sont de plus en plus nombreux à désormais considérer Airbnb comme une source de problème. Dégradation des parties communes, nuisances sonores, augmentation des loyers, difficulté d’accès au logement… La plateforme « collaborative » semble être à l’origine de bien des maux dans les villes où elle est implantée.
En janvier 2017, Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris chargé du Logement, estimait que, depuis cinq ans, 20 000 logements avaient été perdus à Paris. En cause, les locations temporaires sur la plateforme californienne et autres services similaires. « Nous avons un problème avec des multipropriétaires qui achètent des appartements dans l’unique perspective d’en faire des machines à cash via la location touristique. Ceux-là louent de façon industrielle et frénétique », déclarait alors M. Brossat au journal Le Parisien.
Considérée comme responsable de l’augmentation insoutenable des loyers dans la capitale, la plateforme serait, d’après les maires d’arrondissement, à l’origine du départ de pas moins de 13 000 Parisiens depuis 2012. Mais jusqu'à maintenant, la France et sa capitale, qui est pourtant première mondiale en ce qui concerne le nombre de logements Airbnb, ne semblaient pas s’engager sur la voie de la réglementation. En effet, aux yeux des professionnels du secteur, l’instauration en 2016, à travers la loi sur une république numérique, d’une durée limite de location de 120 nuitées par an, ne peut être considérée comme une « réglementation ». Ces derniers la qualifient, depuis le départ, « d’inadaptée » et « d’absurde», car comme le rappelle le Président de Best Western France : « qui dispose de 120 jours de vacances par an pendant lesquels il peut quitter son logement ? ».
La législation française en passe d’évoluer
À l’instar de la France et la Ville Lumière, plusieurs métropoles du monde se sont trouvées confrontées aux effets pervers de la plateforme, mais celles-ci n’ont pas attendu pour réagir. De New York à Amsterdam, en passant par Londres et Berlin, la plateforme et ses utilisateurs se sont vus imposer de nouvelles règles au fil des années : durée de location limitée, nécessité de s’enregistrer à la Mairie avant de pouvoir louer son logement, déclaration officielle préalable, etc. Toutes ces règles concourent à un seul et même objectif : enrayer les effets néfastes d’Airbnb.
Ainsi, à New York, il est aujourd’hui illégal, de louer un appartement entier pour une durée inférieure à 30 jours. À Berlin, impossible de louer son appartement sans autorisation officielle, au risque d’écoper d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. De leur côté, Londres et San Francisco ont décidé de réduire la durée limite de location à 90 jours, et la ville d’Amsterdam a, pour sa part, choisi d’instaurer un maximum de 60 jours.
Au regard de l’actualité, il semble que ce soit au tour de l’Hexagone de prendre des mesures pour encadrer l’entreprise californienne. La proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat a en effet pour objectif de rétablir une certaine justice fiscale. Ainsi, celle-ci prévoit, entre autres, « de diminuer l’abattement forfaitaire s’appliquant aux revenus bruts tirés des plateformes de 5000 à 3000 € ou encore d’instituer un critère unifié permettant de distinguer plus simplement professionnels et particuliers ».
Les jours de la plateforme, telle que nous la connaissons en France, semblent comptés. La mise en place de nouvelles règles n’est plus qu’une question de temps et paraît inévitable tant les « dégâts » causés par Airbnb sont aujourd’hui pointés du doigt. Et ce n’est pas la récente déclaration du directeur général d’Airbnb France, Emmanuel Marill, au sujet de sa volonté d’instaurer « une limite automatique à 120 nuitées (le maximum légal déjà en vigueur) pour les 50 000 hôtes parisiens » qui changera la donne. Cette proposition est en effet considérée par certains comme une simple tentative « d’esquiver l'obligation d'enregistrement des utilisateurs de la plateforme », demandée par plusieurs élus de la capitale.