Dans une version réactualisée du livre « Fake news » François Bernard Huyghe analyse les fondamentaux de la désinformation et l’actualité brûlante de « l’infodémie » sur fond de guerre planétaire de l’influence.
Vous venez de publier (téléchargeable en attendant la version papier) « Fake news Manip, infox, infodémie en 2021 ». Tous ces mots n’étaient guère utilisés il y a quelques années ?
On a toujours parlé de mensonge tromperie ou rumeurs. La notion de désinformation (introduire des contre-vérités nocives dans le système médiatique de son adversaire) est connotée très Guerre froide. Mais avec l’élection de Trump et le Brexit, médias et élites ont commencé à employer toutes sortes de néologismes ou d’anglicismes (il y a un glossaire français et anglais dans le livre). Souvent pour exprimer l’idée que, si les foules votaient mal, ce devait être parce qu’elles étaient abusées. Notamment par des agents russes et des extrémistes-complotiste sur les réseaux sociaux. Thèse un peu simpliste, car il faudrait surtout comprendre pourquoi les masses ne croient plus les experts, les dirigeants, les médias, etc. et se laissent séduire par des versions « alternatives » de la réalité.
Au sens strict une fake news ou infox est un document représentant un événement qui n’a pas eu lieu : on truque ou on légende mal une photo, on raconte un incident imaginaire, on fait dire aux gens ce qu’ils n’ont pas dit...
Donc ce n’est pas forcément de la propagande, une thèse idiote (comme certains complotismes), un délire d’interprétation idéologique... Fake sous-entend une fabrication délibérée au départ, même si ceux qui la reprennent, notamment en ligne peuvent être d’une parfaite bonne foi.
Depuis 2016, les dispositifs législatifs (comme la loi française dite « contre la manipulation de l’information de 2018), les vérifications (fact-cheking) par des médias et des ONG, les interventions des grands du Net (avec leurs algorithmes et leurs milliers de modérateurs) ou les simples recherches d’internautes se sont multipliées. Une fausse nouvelle a peu de chances de ne pas être repérée très vite ; mais il y en a énormément, et de plus en plus sophistiquées (faux comptes, faux mouvements d’opinion, fausses sources, fausses vidéos truquées de façon presque indécelable). Et une large part de la population est très sceptique face à toute information ou démenti « officiel ».
Et l’infodémie ?
C’est un terme très récent, introduit, sans doute par l’OMS, pour désigner la vague de mésinformation qui accompagne la propagation du virus. Notamment sur les réseaux sociaux. Et qui peut avoir des conséquences graves. Si vous croyez en de faux médicaments ou vous trompez sur le risque d’être contaminé, cela peut vous coûter la vie. Par ailleurs ce que nous croyons à propos de la responsabilité de la pandémie, des méthodes efficaces, des fautes des gouvernements ou d’acteurs dans l’ombre peut avoir des conséquences politiques le fameux « jour d’après ».
Certaines opérations de manipulation pourraient révéler de grandes manœuvres géopolitiques ?
Des thèses très douteuses - accusant suivant le cas, Trump, un laboratoire français, des militaires chinois fabriquant des armes biologiques, ou Bill Gates et le grand capital - ont circulé très vite.
Mais il y a un front principal. D’un côté la Chine développe d’énormes efforts de séduction et d’influence, à travers ses postes diplomatiques et ses médias, mais beaucoup aussi sur les réseaux sociaux. Elle entend à la fois s’innocenter (le virus est d’origine animale, nous n’avons aucune responsabilité) et imposer comme modèle sa méthode efficace de lutte contre l’épidémie et le système politique qui va avec.. Une sorte d’opération « Routes de la soie idéologique ». De l’autre les Américains et beaucoup d’Occidentaux tirent à boulets rouges sur les mensonges chinois et veulent mener une opération de contre-influence planétaire. À travers ces luttes pour établir partout une croyance en une certaine réalité, cette infoguerre planétaire, l’enjeu est : au lendemain de la crise, qui, de la Chine ou des USA (ne parlons pas de l’Europe) gagnera l’hégémonie en termes de puissance et d’influence.