Sauver l’âge pivot en supprimant l’âge légal

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Par Jacques Bichot Publié le 17 décembre 2019 à 4h21
France Retraite Financement Etat Cout
@shutter - © Economie Matin
18%Selon l'IPS, la réforme des retraites pourrait faire perdre plus de 18% de pension à certaines mères de famille.

« Retraites : l’âge pivot au centre du bras de fer », titrait Le Figaro du 13 décembre. Or le dispositif appelé « âge pivot » est, avec les points, le cœur même d’un système de retraites moderne. Sauf à faire complètement machine arrière, le Gouvernement ne peut pas renoncer à cet outil.

Rappelons ce à quoi il sert : dans un système par points, le calcul de la pension s’effectue en deux temps, le premier consistant à multiplier le nombre de points par la valeur de service du point, ce qui donne le montant qui serait celui de la pension si l’âge à la liquidation était l’âge pivot ; et dans un second temps ce montant est multiplié par un coefficient actuariel plus ou moins élevé selon l’espérance de vie du nouveau retraité. Plus la liquidation a lieu avant l’âge pivot, plus ce coefficient est inférieur à 1 ; et plus la liquidation intervient après l’âge pivot, plus le coefficient actuariel est supérieur à l’unité.

Ce dispositif permet le libre choix de l’âge à la liquidation : l’assuré social qui préfère recevoir une pension plus importante diffère la liquidation au-delà de l’âge pivot, tandis que celui qui a hâte de ne plus travailler professionnellement, quitte à disposer d’un revenu plus modeste, liquide sa pension avant l’âge pivot. L’expression « âge d’équilibre » souvent utilisée dans les textes officiels est tout simplement une seconde dénomination du même paramètre.

Le maintien d’un âge légal, en revanche, n’a aucune utilité. Si un assuré social veut liquider tout ou partie de sa pension avant l’âge pivot, cela ne présente aucun inconvénient pour le système. Simplement, il recevra moins chaque mois que s’il avait attendu pour effectuer sa liquidation. Alors pourquoi interdire de liquider avant 62 ans ? Cette interdiction, qui sera évidemment assortie de nombreuses dérogations, manifeste simplement la propension des pouvoirs publics français à mettre en place des règles stupides de façon à donner du grain à moudre aux politiciens qui proposeront des exceptions.

La liberté de choix est très mal vue au pays de la Liberté avec un « L » majuscule, parce qu’elle signifie que Mr Dupont et Mme Durand n’ont pas besoin pour gérer leur vie que les Autorités la corsettent de tous côtés. Et quelle Bérézina ce serait pour le pouvoir en place si une entorse était faite au principe consistant à interdire par principe et à multiplier les autorisations exceptionnelles, dont le changement incessant occupe politiciens et hauts fonctionnaires !

Que nos dirigeants se débarrassent donc de cet état d’esprit désastreux, qu’ils laissent les Français libres de se comporter comme ils le veulent dès lors que leurs actions ne causent aucun préjudice à leurs semblables – et qu’ils suppriment cette relique d’un temps révolu qu’est l’âge légal de la retraite. En revanche, tenons ferme sur l’âge pivot ou âge d’équilibre, comme il plaira à nos dirigeants de le dénommer, qui est véritablement le dispositif central d’un système de retraite moderne, offrant une grande liberté de choix à chacun dès lors qu’il ne lèse en aucune manière ses concitoyens.

Tenons ferme également sur l’utilisation de l’âge pivot comme paramètre permettant d’adapter graduellement le système aux changements démographiques. 64 ans pour commencer, OK. Ensuite, au fur et à mesure que la longévité augmentera, la direction du système unifié de retraites par répartition (disons « France retraites ») augmentera l’âge pivot, pour qu’il continue à mériter son appellation « âge d’équilibre ».

J’insiste pour terminer sur le fait que c’est à la direction de France retraites, et non au Gouvernement ou au Parlement, de procéder aux réglages paramétriques, à commencer par les modifications de l’âge pivot. Il est vital de dépolitiser la gestion de nos retraites par répartition. C’est la direction d’EDF, pas le Gouvernement ni le Parlement, qui décide s’il faut augmenter ou diminuer la production de telle centrale pour répondre correctement à la demande d’électricité. Il doit en aller de même pour France retraites. Que la direction remplisse son rôle, qu’elle soit certes remplacée si elle venait à faillir, mais que les hommes politiques qui ne connaissent rien à la gestion d’un système de retraites par répartition s’occupent de ce dont ils sont responsables.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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