La société française est décidément fâchée avec le travail, et l’année 2015 l’a prouvé. Elle a même constitué une sorte de record historique dans la désaffection collective pour cette valeur perçue souvent comme dépassée. Les appellations officielles n’ont-elles d’ailleurs pas systématiquement effacé la notion de travail au profit de celle de « l’emploi »?
Le travail et le chômage
C’est évidemment une lapalissade de dire que l’inexorable montée du chômage est le premier coup bas porté au travail. Pour la seule année 2015, la France est passée de moins de 3,5 millions de chômeurs en catégorie A en début d’année à près de 3,6 millions. En tout, le nombre de demandeurs d’emplois dans cette catégorie a augmenté de 90.000 en 12 mois.
Alors que certains de nos voisins (l’Allemagne, par exemple) connaissent des situations de plein emploi, la France connaît une situation de plein chômage, sur laquelle se brise la parole politique. On se souvient ici des annonces récurrentes de François Hollande sur l’imminent retour de la croissance qui devait avoir raison du chômage. Répétées inlassablement depuis début 2013, ces petites phrases permettent de mesurer le naufrage du pouvoir en place.
La France déteste-t-elle le travail?
Mais au-delà de ces terribles pertes d’emplois, c’est le travail lui-même qui semble en souffrance. Peu à peu, la France a sombré dans l’éloge de l’oisiveté et dans l’horreur du travail. Il suffit d’écouter les déclarations gouvernementales qui convergent toutes dans le même sens.
Il y a d’abord cette haine proclamée de l’impôt sur le revenu, qui rend suspects tous ceux qui ont « de quoi » le payer. Tirer un revenu de son activité est, en France, une posture dangereuse et mal perçue par la collectivité. C’est pour cette raison que Manuel Valls a continué la politique de Jean-Marc Ayrault (mise à mal durant les deux premières années du Nantais): diminuer au maximum la part des Français qui acquittent un impôt sur le revenu.
Derrière ce procès, c’est celui de la réussite individuelle, de l’effort, du mérite, qui est instruit. Vouloir sortir de sa condition par le travail est, sous la gauche, une démarche sujette à caution, à surveillance et même à sanction. Il vaut infiniment mieux se contenter du peu que l’on a et ne surtout pas chercher à le faire fructifier.
Du travail, oui, mais de faible qualité
D’ailleurs, l’une des grandes inspirations de la gauche depuis 2012, après la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, a consisté à développer encore les aides pour le travail peu qualifié, tout en pénalisant le travail qualifié. Ainsi, le pacte de responsabilité a accru cette trappe à bas salaires qu’est la baisse de cotisations pour les rémunérations sous 1,6 SMIC. Si cet effet a été quelque peu corrigé en loi de financement de la sécurité sociale, en revanche, la gauche a encore tapé dans le dur des indemnités de licenciement.
Désormais, le seuil de fiscalisation de ces indemnités est fixé à 80.000 euros, au lieu de 160.000: il ne s’agirait pas que certains petits malins imaginent faire un peu de gras grâce à leur travail… ou à leur licenciement.
Il est bien loin le temps où la CGT se vantait d’arracher des indemnités de licenciement colossales dans les plans sociaux. Désormais, toutes ces négociations ne servent plus qu’à engraisser l’Etat, et certainement pas le salarié qui est mis sur le carreau.
Une débutante au Travail
D’ailleurs, dans la hiérarchie des postes ministériels, le maroquin du Travail est désormais considéré comme un simple poste d’apprentissage. Cette rétrogradation explique la nomination de Myriam El-Khomri sur le fauteuil. Son ignorance sur le sujet est abyssale. Mais François Hollande semble s’en porter très bien.
Au fond, la gauche n’a plus rien à dire sur le travail, si ce n’est qu’il est une dimension ingrate de la réalité politique, à laquelle il faut bien se résoudre, que l’on est bien obligé de traiter, même si on n’y comprend absolument rien.
Réformer le travail ou la paresse?
Au final, c’est tout le drame français: le gouvernement s’apprête à réformer une énième fois le Code du Travail, dans un esprit simple: il doit définitivement devenir le code de la paresse, le recueil interminable des droits et protections du salarié contre les bourreaux qui le condamne à perdre sa vie dans des tâches ingrates, forcément stressantes et inhumaines.
On peut évidemment se demander combien de temps encore cette dérive pourra continuer sans un brutal retour de balancier. Car, pendant ce temps, le nombre d’entrepreneurs ne cesse de diminuer en France, le nombre d’usines aussi, et la désespérance grandit.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog