Loi travail : on peut encore en sortir

Par Bertrand de Kermel Publié le 31 mai 2016 à 5h00
France Loi Travail Valeur Job
@shutter - © Economie Matin
300 000Selon la CGT, 300 000 personnes auraient manifesté contre la loi Travail jeudi dernier.

Le Premier Ministre campe sur ses positions. La CGT aussi. La suite sera forcément un vaincu, qui va mordre la poussière. La suite suivante sera le résultat des urnes, car la France est une marmite qui ne demande qu’à exploser.

On peut encore en sortir. Comment ? Il faut que plusieurs syndicats et un nombre important de parlementaires acceptent la réforme telle qu’elle est, sous réserve qu’elle soit assortie de bilans annuels pendant par exemple 6 ou 7 ans et que les critères retenus pour ces bilans soient connus à ce jour pour éviter les manipulations. Il faut aussi que l’engagement soit pris de corriger les éventuels effets indésirables de cette Loi.

Si vraiment tout le monde est de bonne foi, et si vraiment cette Loi doit créer du travail et avoir un impact positif, on ne voit pas pourquoi cette proposition serait refusée. Plus glargement, cet épisode doit être l’occasion de modifier fondamentalement notre façon de légiférer, qui est archaïque, et nous mène à la boulimie législative avec tous les effets indésirables que cela comporte. C’est pourquoi le Comité Pauvreté et Politique que j’ai l’honneur de présider, propose depuis 2012, qu’une Loi organique (ou mieux, la constitution) impose :

1 – que tout projet ou proposition de loi soit précédé d’un exposé des motifs contenant deux mesures :
- une étude d’impact décrivant et mesurant l’effet attendu du projet de Loi sur chacun des trois piliers du développement durable (économique, social et environnemental)
- les dates et les outils de mesure (indicateurs) qui permettront de vérifier les effets de la loi projetée dans les trois domaines économique, environnemental et social, notamment son effet sur la baisse de la pauvreté en commençant par les plus fragiles et les exclus.

En l’absence de ces deux dispositions dans le texte, l’exposé des motifs devra exposer les raisons pour lesquelles celles-ci ne sont pas utiles, dans le cas particulier. (Ainsi, le système reste souple)

2 – Que toutes les Lois contiennent une clause de rendez-vous. Il s’agit d’une clause fixant un délai à l’issue duquel la Loi devra nécessairement être réétudiée, voire modifiée si le Parlement le juge utile, et ce, au vu des bilans prévus au point 1 ci-dessus. En l’absence de cette clause dans le texte, l’exposé des motifs de la Loi devra expliquer pourquoi cette clause de rendez-vous n’est pas utile dans le cas particulier. (Ainsi, le système reste souple).

Notre proposition est donc adaptable à toutes les situations et toutes les Lois. Il est clair que la Loi « travail » aurait été mille fois plus acceptable par ses détracteurs, si elle avait bénéficié d’un tel dispositif, honnête et rationnel. Idem pour le CICE. Idem pour la Loi bancaire. On peut multiplier les exemples.

L’un des plus emblématiques est celui de la mal nommée Tva sociale. Elle a été mise en place « à la hussarde », en trois mois et en fin de mandat Présidentiel. Elle a été supprimée dans les mêmes conditions dogmatiques au début du mandat suivant. L’argumentation des deux Présidents ? « J’ai raison. Ayez la foi. Je suis le meilleur ». Voilà exactement ce qu’il ne fallait pas faire.

Il fallait une étude d’impact décrivant et mesurant l’effet attendu de cette Loi sur chacun des trois piliers du développement durable, et prévoir un bilan régulier. Le nouveau Président aurait alors attendu le premier bilan pour décider rationnellement de la suppression ou du maintien de la mesure. Il l’a supprimée, puisqu’aucun bilan n’était prévu, et a déclaré récemment regretter cette suppression. Un vrai gâchis.

Ceux qui récusent cette rigueur objecteront que des dispositifs comparables existent déjà plus ou moins (Evaluation des politiques publiques, par exemple etc..). C’est faux. A notre connaissance, depuis des dizaines d’années, les Lois ne sont jamais auditées et encore moins soumises au Parlement pour correction, amélioration voire suppression. Au surplus, le fait que les critères d’analyse soient prévus dès le départ éviterait toute manipulation politique lors du bilan, et tout procès d’intention. De même, l’existence de ces critères de jugement dès le début permettrait aux politiques de mieux résister aux pressions des lobbies. L’intérêt général serait donc mieux protégé.

Pour les élus politiques, cette démarche fait partie des mesures à prendre pour retrouver la confiance des électeurs. Une Loi peut s’avérer moins bonne que prévu. Tout le monde le comprend. Un politique a le droit de se tromper. Le fait de décider au départ d’en dresser un bilan pour corriger éventuellement ce qui doit l’être, serait un progrès considérable, et la marque de l’honnêteté intellectuelle.

Ne soyons pas la génération qui aura refusé ce dispositif simple et rigoureux, susceptible réconcilier la société civile avec la classe politique. Dans une entreprise, lorsqu’on prend une décision lourde, on regarde toujours le résultat, pour amplifier la mesure si elle est positive, ou la supprimer si elle est négative. Voilà, résumée, notre proposition.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)