Crise économique, conséquences politiques, géopolitique et défi climatique, Dominique Strauss-Kahn rompt le silence et livre aux colonnes de Politique Internationale sa longue analyse des enjeux présents et à venir de la crise COVID-19.
« Cette récession ne ressemble que très partiellement à celles que nous avons connues parce qu’elle mêle un choc sur l’offre et un autre sur la demande ». Récession : le terme est posé. Dès les premières lignes, l’ancien patron du FMI esquisse les traits d’une situation selon lui « exceptionnelle et si dangereuse ». L’exceptionnelle dangerosité de la situation prend essor dans la « simultanéité des chocs d’offre et de demande », engendrant des millions de pertes d’emplois d’Américains et d’Européens.
Face à ce constat cinglant, l’ancien ministre de l’Économie salue l’action coordonnée des banques centrales qui « jouent leur rôle en inondant le marché de liquidités » et « se sont montrées particulièrement rapides et coordonnées ». L’économiste préconise également l’émission massive de Droits de Tirages Spéciaux (DTS), afin d’éviter l’accroissement des inégalités dont serait vectrice la récession. Le DTS est un avoir de réserve international complémentaire, crée en 1969 par le FMI pour pallier l’insuffisance des deux avoirs classiques – or et dollar – à financer l’expansion du commerce et des flux financiers internationaux. Les avoirs servent aux États à racheter leur monnaie nationale sur les marchés des changes internationaux. Depuis 2016, la valeur du DTS est déterminée par rapport à un panier de monnaies comprenant euro, dollar, yen, yuan et livre sterling.
M. Strauss-Kahn constate que les seuls obstacles aux DTS sont « l’allergie américaine à tout ce qui ressemble à une action multilatérale, allergie que la tiédeur des Européens n’aide pas à contrebalancer ». Pourtant, l’ancien politique estime que « l’allègement des dettes des pays à bas revenus et émission massive de DTS sont aujourd’hui un passage obligé » afin d’éviter une catastrophe économique, qui se transformera pour l’Europe en catastrophe migratoire.
En complément, l’ancien ministre conditionne l’efficacité des mesures monétaires à la mobilisation de mesures budgétaires de soutien à l’offre et la demande. Dès lors, il semblerait que le plan d’urgence français de 110Mds€ aille dans le bon sens, avec notamment 42 Mds€ de financement pour le chômage partiel de 8 millions de salariés, 20 Mds€ destiné à la nationalisation d’entreprises en difficultés comme Air KLM, 4Mds€ de primes pour les soignants, 7 Mds€ alloués au fond de solidarité pour les petites entreprises et indépendants, ainsi qu’une aide exceptionnelle versés à 4 millions de foyers précaires.
« La relocalisation d’une partie de la production aura un coût mais la crise que nous vivons peut suffire à en faire la pédagogie »
La violence de la crise COVID-19 remet en cause des acquis de longue date tels que la mondialisation et la division internationale du travail. Ces remises en cause conduiront « à des formes de relocalisation de la production, régionales sinon nationales », ajoute DSK.
Néanmoins, dans l’ombre de la crise pourraient surgir des opportunités. Empruntant le concept de « destruction créatrice » de Schumpeter, l’économiste note que le renouveau de l’offre peut être rendue possible par les opportunités d’investissements offertes par « l’effondrement d’une partie de l’appareil de production ».
« La crise jette une lumière crue sur la relativité de notre souveraineté. »
Le COVID-19 agit comme un révélateur de faiblesses. Dépendance logistique vis-à-vis de la Chine, dépendance technologique et militaire à l’égard des États-Unis, l’ancien patron du FMI dresse le constat d’une perte de souveraineté de la France et l’Europe. Dès lors, le projet moribond d’intégration européenne a ici l’occasion d’obtenir « sa seconde chance », en devenant le réceptacle des aspirations souverainistes des nations européennes ; nations qui à leur échelle peuvent parfois être « trop faibles pour concourir ».
« Sans doute entrons-nous dans un nouveau monde »
L’ancien dirigeant du FMI adopte enfin une posture visionnaire, projetant notre monde dans une ère nouvelle, sous laquelle les régulations et les institutions internationales devront occuper une place prépondérante, citant notamment l’OMS. L’OMS qui, fustigée pour sa mauvaise gestion de la crise, est sous le feu des critiques, avec notamment les États-Unis mettant leurs menaces à exécution et suspendant leur contribution annuelle de 400 à 500 millions de dollars. Ces organisations à la légitimité écornée devront retrouver le devant de la scène et influencer l’établissement de politiques de prévention efficaces.
Sur l’aspect climatique, l’impact écologique bénéfique du confinement invitera à repenser la question et s’interroger sur « les contraintes budgétaires que nous nous imposons ». Enfin, sur le plan géopolitique, DSK table sur une redistribution des cartes entre les grandes puissances. Dans un contexte où certaines puissances, touchées de plein fouet par la crise, ont de grandes difficultés à exercer « leurs responsabilités régaliennes », d’autres pourraient profiter du contexte pour étendre leur influence internationale, à travers le soutien apporté aux puissances en difficulté ; l’ancien politique prenant ici l’exemple de la Chine et la Russie distribuant des aides médicales aux pays de l’UE.