Sécurité routière: « Monsieur le président, vous devez provoquer un sursaut national »

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Par Jehanne Collard Publié le 2 juillet 2015 à 5h00
Accident Route France Morts Volant
@shutter - © Economie Matin
17,6 %Les délits au volant ont augmenté de 17,6 % l'an dernier.

De nouvelles mesures contre l'insécurité routière entrent en vigueur ce 1er juillet. Maitre Jehanne Collard, avocate des victimes de la route, les juge timides et appelle le président à réaffirmer une volonté politique forte.

Monsieur le président de la République,

La sécurité routière traverse une crise majeure et historique. Moins de 3000 morts par an sur les routes françaises: tel est l'objectif que vous aviez fixé pour cette année. Il ne sera pas atteint. 2014 a vu le nombre de victimes repartir à la hausse pour la première fois depuis 12 ans. Et chaque mois de 2015 confirme hélas cette inquiétante dérive. Les quelques mesures que le gouvernement a annoncées n'ont pas entraîné le sursaut espéré et n'auront qu'un effet marginal.

Les conducteurs délinquants, des victimes? Les causes de cet échec sont aujourd'hui connues. La politique de sécurité routière subit une crise de crédibilité qui a des répercussions immédiates sur le comportement de nos concitoyens. Les vitesses moyennes constatées sur les réseaux routiers sont toutes en hausse. Les délits au volant sont en augmentation de 17,6%. La conduite en état alcoolique progresse de 13%. Celle sous stupéfiants de 44%. Pire encore: la volonté d'échapper à la sanction de ses actes se généralise. Les délits de fuite progressent de 23%. Signes des temps, on entend des lobbies d'automobilistes et certains hommes politiques défendre une véritable inversion de nos valeurs. Ils tentent de faire passer les conducteurs délinquants pour des victimes d'un acharnement d'état et la politique de sécurité routière pour l'oeuvre d'ayatollahs rétrogrades.

Cette situation est intolérable. Pour les familles des 3400 personnes victimes d'une mort violente et absurde. Pour les 35.000 blessés qui conserveront des séquelles graves les éloignant définitivement du monde du travail. Pour tous ceux qui prendront la route demain et risquent de croiser un conducteur irresponsable.

Des décisions audacieuses

Monsieur le président, vous avez pourtant le pouvoir d'arrêter cette spirale meurtrière. La sécurité routière est sensible aux décisions politiques audacieuses. En 1973, alors que la France compte 17.000 morts par an sur les routes, le gouvernement de Pierre Mesmer annonce, avant les départs en vacances, des mesures drastiques: première limitations de vitesse sur tous les réseaux, port obligatoire de la ceinture de sécurité et du casque, renchérissement des contraventions et sanction aggravée des principaux délits. Ces décisions provoquent un tollé mais dès les mois suivants et avant même leur mise en oeuvre, le nombre d'accidents et de victimes diminue pour la première fois et amorce une baisse régulière.

Le 14 juillet 2002, alors que l'amélioration de la sécurité routière stagne et que les lobbies des automobilistes exigent l'amnistie des contraventions, le président Jacques Chirac prend l'initiative d'un nouveau sursaut: radars automatiques, dépistage des stupéfiants, permis probatoire, renforcement des sanctions pénales, la sécurité routière devient une grande cause nationale suivie et évaluée à tous les niveaux de l'Etat. Dès les premières semaines suivant cette annonce, le nombre de victimes recule de 12% et continue de baisser pendant dix ans.

Monsieur le Président, vous avez le pouvoir de provoquer un tel sursaut. Le 14 juillet prochain, démentez tous ceux qui spéculent sur une amnistie des délits routiers ou sur une plus grande tolérance en vue des échéances électorales. Réaffirmez une volonté politique forte en annonçant un ensemble de mesures qui rompent avec les hésitations et les timidités des dernières années.

Réduire la vitesse maximale

Il faut réduire à 70 km/h la vitesse maximale autorisée sur les petites routes secondaires de moins de six mètres de large. Il faut limiter à 110 km/h la vitesse maximale des utilitaires dit légers qui, du fait de leur masse, provoquent tant de lésions irréversibles en cas de collision. Il faut soumettre les vélomoteurs au contrôle technique pour lutter efficacement contre le débridage des moteurs qui précipitent nos enfants vers la mort. Il faut réorganiser les contrôles d'alcoolémie pour les programmer aux heures et aux endroits où ils sont nécessaires, en particulier le vendredi et le samedi soit aux approches des discothèques.

Il faut instaurer un fichier des permis supprimés pour conduite en état d'ivresse afin de poursuivre efficacement les récidivistes qui prennent le volant sans permis et menacent chaque jour la vie d'innocents. Il faut d'urgence combler les failles administratives et juridiques des contrôles automatiques par radar. Pour empêcher les plus riches d'échapper, à grand frais d'avocats, à la sanction de leurs excès de vitesse. C'est un devoir d'équité.

Financer les formations des plus pauvres

Par équité encore, on doit permettre aux plus défavorisés d'accéder à une formation complète à la conduite au-delà des heures réglementaires pour passer le permis. Car c'est par manque d'expérience que les plus jeunes payent le plus lourd tribut sur la route. Un système de bourse peut être rapidement mis en place en appelant les assureurs à mettre la main au portefeuille: ils seront les premiers à tirer profit d'une baisse des sinistres.

Il faut instaurer une police de la route ou, à défaut, des objectifs chiffrés dans chaque département en matière de réduction des accidents et de la mortalité routière. Pour convaincre que les conduites dangereuses, les comportements délinquants seront inévitablement repérés et sanctionnés. Enfin, il est aberrant que les infrastructures échappent à la politique de normes et de contrôle que l'on impose aux véhicules et aux conducteurs. Une expertise nationale et un contrôle technique des réseaux routiers doivent être immédiatement mis en place.

Des propositions efficaces

Faites-en sorte que les effets de toutes ces décisions fassent l'objet d'une évaluation régulière tant au niveau local qu'au niveau national. Afin de rendre visible à tous les effets d'une politique et de faire taire les imprécateurs révisionnistes qui moquent aujourd'hui les efforts déployés pour sauver des vies. Ces mesures sont proposées depuis longtemps par les experts et les associations de sécurité routière. Certaines ont déjà fait leur preuve hors de notre territoire. Leur addition choquera sans doute l'opinion, suscitera des levées de boucliers. Mais c'est ainsi que vous provoquerez le sursaut de tous, le changement des comportements, la baisse tant attendue du nombre de victimes.

Un acte de foi

Monsieur le président, je n'ignore pas que notre pays a bien d'autres priorités. Il doit lutter pour son redressement économique et dans la guerre qui l'oppose au terrorisme. Mais est-ce une raison pour abandonner des milliers de Français à la violence routière et renoncer aux ambitions que vous avez vous-même fixées ? Je n'ignore pas ce que ces décisions peuvent avoir d'impopulaires. Qui songe encore à mettre ces ruptures audacieuses au crédit des bilans de Pierre Mesmer ou de Jacques Chirac ? Mais n'est-ce pas à ces actes de foi dans l'intérêt général qu'on reconnait les véritables hommes d'Etat ?

Monsieur le Président, prenez le risque politique de faire de ce 14 juillet 2015 le début d'un nouveau sursaut national en matière de sécurité routière. Nous verrons bien alors qui ose faire passer ses intérêts partisans ou électoralistes avant ceux des Français.

Avec mes souhaits et ma confiance, veuillez agréer, Monsieur le président de la République, l'expression de ma respectueuse considération.

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Jehanne Collard est avocate, spécialisée dans la défense des victimes d'accidents. 

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