Entre l’image d’Epinal que le public peut avoir d’une industrie qui pille les forêts et la réalité d’aujourd’hui, il y a un gouffre. La filière papetière s’est mise au développement durable il y a 20 ans, et les résultats sont là. Tour d’horizon.
Il est loin le temps des bûcherons bourrus dévastant des forêts entières pour alimenter les usines à papier. Ce troisième millénaire est parti sur de nouvelles bases avec un réel enjeu : rendre concrète cette vague de fond estampillée « développement durable », y compris dans l’industrie papetière. Dans ce secteur, la prise de conscience s’est traduite dans les années 90. Le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 et la Conférence ministérielle paneuropéenne d’Helsinki en 1993 pour la protection des forêts ont posé les jalons des normes actuelles. A Helsinki, les pays européens ont ainsi défini sur le papier la gestion durable des forêts. La déclaration finale est limpide, s’appuyant qui plus est sur une vision universelle : « La gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés, d’une manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et dans le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, au niveau local, national et mondial et qu’elles ne causent pas préjudice aux autre écosystèmes. » Depuis, les six grands critères définis à Helsinki se sont généralisés sur le cinq continents. Et pour rendre le tout visible, plusieurs labels de qualité se sont imposés sur le marché.
La certification, une vraie garantie
En France comme ailleurs, les professionnels jonglent avec plusieurs labels et certifications. Les deux plus importants touchent à l’origine et à la traçabilité du papier, et donc des fibres de bois avec lesquelles il a été conçu. Il s’agit des certifications internationales FSC et PEFC, qui font la promotion d’une gestion intelligente et durable des plantations d’arbres dédiés à l’industrie papetière. Le label FSC (Forrest Stewardship Council) a été créé au Mexique en 1994. Le label PEFC (Program for the Endorsement of Forest Certification), créé en 1999 en Suisse, atteste que le bois utilisé vient d’une exploitation forestière respectant un cahier des charges très strict, suivant une chaîne de fabrication et de commercialisation ininterrompue, permettant ainsi une traçabilité à 100%. Dans les deux cas, l’objectif est de garantir au consommateur final, par la présence d’un logo sur les emballages, que le produit issu du bois respecte bel et bien les normes environnementales les plus rigoureuses.
En France, tous les acteurs de premier plan sont passés par la case « papier certifié » durant les quinze années écoulées. Chez Raynard – une filiale du groupe Exacompta Clairefontaine – qui fabrique chaque année 40 millions de produits (calendriers, présentoirs cartonnés…), ce type de certification joue un double rôle : elle garantit une vraie qualité et fournit également un excellent argument commercial. « Nous sommes entrés dans la certification PEFC en novembre 2008, se souvient Philippe Palou, directeur de l’entreprise. A l’époque, cette démarche s’inscrivait dans les gènes et les valeurs de notre groupe. Dans un marché ultra-compétitif comme le nôtre, il faut savoir se démarquer de ses concurrents en sachant mettre en avant nos engagements. Cela nous a même permis de faire pencher la balance en notre faveur lors d’appels d’offre lancés par de grands groupes. » Sa responsable du service qualité et environnement de la société, Céline Loison, précise quant à elle que « le fait d’être écoresponsable et de pouvoir l’attester est une véritable force pour une entreprise. La certification permet de le faire en assurant que nos matières premières sont issues de forêts gérées durablement ».
La constellation d’acronymes ne s’arrête pas à FSC et à PEFC. Des logos « grand public » apparaissent également sur le marché, comme le simple NF Environnement, l’Ecolabel européen (EE) ou encore celui de l’APUR qui indique la proportion de fibres recyclées dans un papier. D’autres labels, très spécifiques, vont encore plus loin, comme l’appellation TCF (Totally Chlorine Free) qui garantit que la pâte à papier a été blanchie sans ajout d’agents chlorés comme c’était le cas par le passé.
Les éditeurs, premiers concernés
Les maisons d’édition françaises, très soucieuses du respect de l’environnement, ont vite pris le train en marche. C’est le cas par exemple du nº1 français du livre et nº3 mondial, Hachette, qui a pris l’engagement de franchir le cap des 80% de papier certifié FSC d’ici 2019 à l’échelle internationale (cap déjà franchi en France avec 84%). L’entreprise, ainsi, réalise tous les trois ans depuis 2009 son propre bilan carbone. De nouveaux process ont alors été mis en place, et les résultats ne se sont pas faits attendre : baisse de 16% des émissions de CO2 lors des trois premières années, puis nouvelle réduction de 10% entre 2012 et 2015. Et l’éditeur le fait savoir, en étiquetant ses livres avec le bilan carbone de chacun de ses ouvrages, et en procédant à des contrôles sur ses chaînes de fabrication. « Nous avons lancé un système de test aléatoire du papier, explique Ronald Blunden, directeur de la communication d’Hachette Livre. Nous sélectionnons des bouquins imprimés au hasard, que l’on confie à un laboratoire indépendant qui les passe au microscope. Puis on vérifie si les fibres correspondent bien à l’engagement pris par le fournisseur de papier. » Cependant, si le niveau d’exigence est aujourd’hui évident dans les domaines de l’industrie papetière et de l’édition, encore faut-il le faire savoir auprès du grand public.
Les préjugés ont la vie dure
Un grand public qui reste souvent attaché à des idées préconçues datant du siècle passé. Pour combattre son image écornée, l’industrie mondiale du papier a décidé de mettre les petits plats dans les grands. Une campagne à l’échelle internationale baptisée Two Sides tente de montrer que le papier n’est pas le pollueur que l’on croit. « De mauvais réflexes se sont installés, déplore Hadrien Cottin, directeur de Two Sides France. S’en prendre au papier comme bouc-émissaire du développement durable est devenu chose courante. Parfois par simple méconnaissance, parfois comme argument dans l’air du temps pour accompagner, par exemple, la vente d’une solution de numérisation de documents. La lutte contre les idées reçues doit être permanente. En recourant au dialogue, à la pédagogie et à la transparence sur ce que sont le papier, le recyclage et la gestion durable des forêts. » La vocation de Two Sides est de pousser les grandes entreprises à épouser un discours plus juste concernant l’utilisation du papier. Et ce à l’échelle mondiale, comme l’explique le président international, Martyn Eustace : « Le papier subit un déficit de confiance en termes d’environnement alors qu’il s’appuie sur une ressource naturelle, renouvelable et recyclable. Les professionnels du marketing ont souvent recours à des allégations environnementales infondées pour, par exemple, persuader les consommateurs de passer de la communication papier à une communication numérique. » Le papier, objet d’une lutte d’influence mondiale ? Les Chinois qui l’ont inventé en l’an 100 de notre ère n’auraient pas pu anticiper un tel destin.