Alors que 40 % du PIB de l’Union européenne provient de ses régions côtières, la France possède le deuxième espace maritime du monde par sa superficie (derrière les Etats-Unis). Un atout économique incontestable, quand on sait que le poids de l’économie bleue s’élève à 270 milliards d’euros et représente 14 % du PIB français, soit trois fois plus que l’industrie automobile. Un secteur hautement stratégique, sur lequel le mandat d’Emmanuel Macron ne pourra pas faire l’impasse.
À l’été 2016, la Loi « pour l’Économie bleue » était officiellement promulguée. Après de longues semaines de concertation et d’auditions des acteurs concernés, le Parlement faisait publier au Journal officiel un texte de loi salué à l’époque pour son ambition. L’objectif était alors double : améliorer la compétitivité des entreprises de la mer, et simplifier l’ensemble du dispositif législatif concernant les activités maritimes. Un an et demi après son entrée en vigueur, le texte a fait l’objet d’une évaluation parlementaire. Si des progrès ont été soulignés, de nombreux secteurs, comme les ports, demeurent en difficulté.
Le 5 mars dernier, dans le cadre de cette évaluation, les députées Sophie Auconie et Sophie Panonacle rencontraient justement les représentants de l’UPF, l’Union des Ports français. L’occasion de revenir sur les difficultés d’un modèle économique hérité des années 60, et désormais à bout de souffle.
Simplifier et alléger la fiscalité
Depuis de nombreuses années, les professionnels du secteur tirent la sonnette d’alarme : alors que 80 % des richesses échangées dans le monde passent par la mer, nos ports de commerce restent sur la touche, voire décrochent. Un manque à gagner colossal pour l’économie et une faiblesse stratégique majeure dans la mondialisation. Aujourd’hui un container sur deux qui arrive en France a été déchargé dans un port étranger, comme Rotterdam ou Barcelone. Le plus grand port français, celui du Havre, ne se classe que 62e au niveau mondial.
Une bérézina économique qui n’avait pourtant pas été abordée par les différents candidats lors de la dernière élection présidentielle française. Mais pour soutenir la croissance, le gouvernement ne pourra pas faire l’impasse sur ce secteur essentiel.
Depuis de nombreuses années, les recettes des ports s’amenuisent et les revenus issus des pétroliers et des méthaniers ne suffisent plus à équilibrer le budget des grands ports français (Marseille Dunkerque, le Havre…). En juillet dernier, Bruxelles demandait aux autorités françaises de mettre fin aux exemptions de l’impôt sur les sociétés dont bénéficiaient les ports, disposition accusée d’être une forme d’aide d’État déguisée. Une mesure qui s’ajoute à la suppression par le Conseil d’État de l’exonération de taxe foncière. Bilan : plus d’impôts, moins de revenus, et une impérieuse nécessité de se moderniser… une situation délicate pour les ports français.
Pour revenir au cœur de la mondialisation, les représentants de l’UPF réclament de nouvelles mesures réglementaires, législatives et fiscales : moins de taxes et moins de contraintes, afin de gagner en performance et décrocher de nouveaux clients. Alors que l’exécutif a fait de la simplification réglementaire et de l’allégement de la fiscalité sur l’économie productive une marque de fabrique, les représentants du secteur portuaire ont bon espoir d’être entendus.
L’angle mort des ports de plaisance
Toutefois, les concertations entre les parlementaires et l’UPF ont laissé de côté la question essentielle des ports de plaisance. À la jonction du monde portuaire et du secteur touristique, ils ont longtemps été négligés par les politiques publiques. Interrogé en 2016 par la Caisse des Dépôts, le directeur des investissements Tourisme Loisirs Culture Christophe des Roseaux déclarait ainsi : « Alors que l’économie de montagne a fait de gros efforts, l’économie touristique du littoral est nettement moins structurée. Le littoral français, d’une richesse géographie exceptionnelle, reste peu attractif ». Un manque à gagner pour l’économie locale, puisque les ports de plaisance représentent à eux seuls près de 900 millions d’euros d’activité globale.
Mais en dehors des prestigieuses marinas sur la Côte d’Azur, le bord de mer français est souvent exploité bien en deçà de son potentiel. Pourtant, dans son rapport « l’Économie de la mer en 2030 » publié en mai dernier, l’OCDE décrit le tourisme en mer comme l’un des secteurs « présentant des perspectives de croissance élevée de l’activité et de l’emploi à long terme », avec le transport maritime, la construction navale et l’éolien en mer.
Mais pour l’instant, la France subit la concurrence de ses voisins européens, comme l’Espagne, l’Italie, la Grèce ou Malte. Le marché des bateaux de plaisance, et notamment des yachts, est pourtant essentiel au dynamisme de nos côtes. Près de la moitié de ces luxueux navires voguent en Méditerranée et en 2013, la « grande plaisance » représentait encore une activité évaluée à 1,7 milliard d’euros. La construction, l’entretien et les services proposés pour ces embarcations de prestige emploient près de 20 000 personnes, rien qu’en France. Selon « Actu nautique », « un yacht amarré dans un port de plaisance engendre près de 20 000 euros d’activité par jour pour l’économie locale, soit 10 000 euros directement liés au bateau (taxe, refuel, avitaillement, entretien...) et 10 000 euros dépensés par jour par ses passagers (achats divers, restaurant, taxi, hélicoptère...) ».
Or, depuis 2013, de moins en moins de navires de plaisance battent sous pavillon français ou déposent l’ancre sur nos côtes. La faute à un marché concurrentiel, où la France est à la traine par rapport à ses voisins. La réputation mondiale de la Côte d’Azur aurait-elle provoqué un excès de confiance chez les professionnels du secteur et chez les pouvoirs publics ? Quoi qu’il en soit, les autres pays de la façade méditerranéenne ont développé depuis de nombreuses années des dispositifs attrayants : l’obtention du pavillon maltais permet ainsi de nommer un « représentant » du propriétaire du navire auprès des autorités : un dispositif qui assure la discrétion et l’anonymat au détenteur d’un bateau et empêche la localisation de celui-ci par des paparazzis. Une particularité du droit de la mer maltais dont raffolent les stars et les grands capitaines d’industrie.
La France est aussi moins attrayante que ses voisins sur le plan fiscal : alors que depuis 2016, le ravitaillement en carburant des yachts est taxé à la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), l’Italie et l’Espagne continuent de proposer des pleins de fioul exonérés de taxes, et donc plus attractifs : Selon l’association de professionnels « Riviera Yachting Network », un yacht de 42 mètres ferait aujourd’hui une économie de 21 000 euros par semaine en faisant son plein de gasoil en Italie plutôt qu’en France. Un différentiel qui explique aussi pourquoi la France est de plus en plus évitée par les bateaux de plaisance.
Enfin, la loi française oblige tout propriétaire d’un navire sous pavillon et équipage français à cotiser à l’ENIM, le régime de sécurité sociale des marins. Un surcoût de plusieurs centaines de milliers d’euros par an que peut éviter tout propriétaire d’un navire immatriculé en Grèce par exemple.
À cause d’une législation fiscale et réglementaire inadaptée au modèle particulier des ports et des navires de plaisance, la France perd du terrain sur ses concurrents directs. C’est pourtant un domaine économique essentiel, qui mérite autant d’intérêt que celui des ports de commerce. Dans les deux cas, la France gâche un potentiel économique et stratégique exceptionnel. Pour dynamiser la croissance, Emmanuel Macron devra inévitablement revigorer l’attractivité côtière française. Une nouvelle loi sur « l’Économie bleue », qui complèterait celle de 2016, devrait voir le jour dans les prochains mois et les ports pourraient bien y occuper une place centrale.