Ces cotisations patronales qui dissimulent la réalité économique

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Par Jacques Bichot Modifié le 6 juillet 2015 à 7h12
Cotisations Patronales Crise Systeme France EY attractivité investissements étrangers
@shutter - © Economie Matin
13,10 %Les cotisations patronales pour l'assurance maladie, la maternité, l'invalidité, le décès, et la solidarité des personnes âgées et handicapées est de 13,10 %.

Un article de D. Thesmar et A. Landier dans Les Echos du 2 juillet appelle « écran du système social » un phénomène de dissimulation de la réalité économique par notre droit social dont j’essaye en vain, depuis longtemps, de faire comprendre le mécanisme et l’importance. Il s’agit des cotisations patronales de sécurité sociale.

Ces collègues énoncent clairement ce qu’ont compris bon nombre d’économistes, mais qui échappe au grand public, ainsi qu’aux organisations patronales (à moins que celles-ci « ne veuillent pas le savoir »). Laissons-leur la parole : « Comme les cotisations sociales sont directement versées par les entreprises, le consensus est que ce sont les patrons, et non les employés, qui paient pour la protection sociale. Or rien n’est plus faux, ce sont bel et bien les salariés qui sont prélevés à la source ».

La réalité économique est que toutes les cotisations de sécurité sociale, celles qui sont dites « patronales » aussi bien que celles qui sont étiquetées « salariales », font partie de la rémunération du travail, et constituent un prélèvement sur cette rémunération pour payer les assurances sociales. Mais la façon politiquement et, semble-t-il, juridiquement correcte de voir les choses consiste à dire que les salariés supportent uniquement les cotisations salariales, tandis que les entreprises supportent les cotisations patronales et elles seules. Pourquoi cette distorsion, ce fossé entre la réalité économique et ses enveloppes juridique et psychologique ?

Le droit de la sécurité sociale a été façonné par des personnes qui ne comprenaient pas le circuit économique, à savoir que l’entreprise paye tout ce qui bénéficie à ses salariés, et que ceux-ci payent à l’aide de ce revenu tout ce qui finance la sécurité sociale. Les créateurs du droit social ont été impressionnés par le sentiment qu’éprouvaient les premiers patrons, par exemple les « maîtres de forge » du XIXe siècle, de prendre sur leur bénéfice ce qu’ils consacraient aux « bonnes œuvres ».

Ces pionniers patronaux de la protection sociale auraient souvent été en mesure de ne pas accorder l’augmentation de rémunération qu’était en fait un versement à une société de secours mutuel ou à un fonds destiné aux enfants des membres de leur personnel. Ils craignaient – peut-être à juste titre – que des augmentations de salaire pures et simples soient gaspillées en boisson et en futilités au lieu de servir à payer une assurance contre les aléas de la vie. Ils procédèrent donc à des augmentations de rémunération qui ne furent pas des hausses de salaire stricto sensu, mais des achats de services d’assurance pour le compte de leurs salariés. Ce paternalisme patronal, sans doute justifié à une époque où il n’existait pas de paternalisme étatique susceptible de rendre obligatoires les retenues sur salaire au profit des assurances sociales, est devenu inutile, mais il perdure, notamment parce que l’on croit (probablement à tort) que l’existence de cotisations patronales est nécessaire pour justifier la présence des organisations patronales dans les conseils d’administration des organismes sociaux.

Quant aux cotisations salariales, leur origine tient au fait que le patronat « social » tint à ce que les salariés participent à leur protection et à celle de leur famille. Leur paternalisme comportait une composante que l’on peut appeler pédagogique : ils voulaient apprendre à ces ouvriers et employés à se comporter avec sagesse, que ce soit en épargnant ou en contribuant à l’acquisition d’une assurance sociale. Ainsi une retenue sur salaire vint compléter, dans des cas de plus en plus nombreux, ce qui n’était initialement, dans l’esprit des employeurs, qu’une générosité – teintée d’habileté, car bien des chefs d’entreprise ont pris conscience, sans attendre les économistes qui ont élaboré la théorie du salaire d’efficience, que des salariés convenablement traités ont davantage le cœur à l’ouvrage.

Comme nous le montrons dans Le Labyrinthe, le législateur est rarement capable d’opérer une réforme modifiant les bases mêmes d’une institution : il procède, comme la nature, par dépôt de couches sédimentaires successives. C’est ce qui s’est passé pour le financement de la sécurité sociale : Celui-ci a été rendu obligatoire et progressivement augmenté jusqu’à devenir énorme, sans remise en cause de la division des cotisations sociales entre une part patronale et une part salariale, bien que cette division n’ait plus aucune utilité, et engendre au contraire des inconvénients massifs – au premier rang desquels l’illusion dénoncée par Landier et Thesmar comme par moi-même.

Cette illusion a joué, et joue encore, un rôle déterminant dans la croissance exagérée des dépenses de sécurité sociale. En effet, les salariés, à la différence des travailleurs indépendants, ne se rendent pas vraiment compte de ce que cette inflation de dépenses sociales leur coûte réellement. S'il n'existait plus que des cotisations salariales, les salariés manifesteraient les mêmes réticences que les indépendants face à l’augmentation incessante de ces dépenses. Le remplacement intégral des cotisations patronales par une augmentation des cotisations salariales, qui peut être réalisé sans modifier ni le coût du travail pour l’employeur, ni le salaire net, ni les ressources des caisses de sécurité sociale, constituerait la mesure la plus efficace pour inverser la tendance au « toujours plus » de prélèvements obligatoires qui prédomine depuis des décennies et qui finit par plomber l’activité économique et l’emploi.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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