Le 4 novembre, les Calédoniens vont voter pour répondre à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».
Mais le problème calédonien va rester entier. Même s’il y a 70% de « Non » à l’indépendance (les estimations actuelles donnent entre 60% et 70%), les 30% à 40% de partisans de l’indépendance devront être écoutés et entendus.
Lorsqu’un couple se dispute, on ne fait pas voter toute la famille pour ou contre le divorce. Il est préférable d’avoir recours à des conseillers conjugaux. D’accueillir les sentiments et d’écouter les besoins, de comprendre les intérêts et les enjeux profonds.
La situation n’est pas différente dans le couple franco-kanak. Sur cette île située à 24 heures de vol de Paris, peuplée de 280.000 personnes dont 40% de Kanaks, habitants originels, il y a deux visions opposées de l’avenir.
Du point de vue géopolitique, nous allons entendre les mêmes arguments, présentés depuis 50 ans : la Calédonie apporte à la France un immense domaine maritime, une position que certains pensent stratégique dans un Pacifique Sud (pourtant bien éloigné des grandes routes commerciales). On parlera peut être encore d’hydrocarbures, d’une exploitation hypothétique de nodules polymétalliques sous-marins, serpent de mer ressassé depuis 50 ans. Voire de préserver la Polynésie française ou la Corse en freinant les velléités d’indépendance calédonienne.
Le coût de la Calédonie sera évoqué : 1.4 milliard d’euros par an pour le contribuable français. Le nickel (6ème producteur mondial, et 9% de l’extraction du minerai mondial) est sa ressource principale, qui emploie directement ou indirectement 25% des salariés. Depuis un pic à 28.000 $ la tonne en 2011, il oscille depuis 7 ans autour des 12.000$, proche du coût de revient des producteurs locaux, filiales d’Eramet, Glencore et Vale, endettées et déficitaires, et en butte à des tensions locales parfois très fortes.
Des conceptions éloignées
Tous ces éléments économiques et financiers, rationnels, ne permettent pas de comprendre le cœur du problème : une partie de la population ne conçoit son avenir que dans un pays indépendant lors que l’autre n’y voit qu’une aventure risquée et sans fondement économique.
Les Kanaks n’ont pas la même perception du temps que les Européens. En l’absence d’écriture, leur tradition orale leur confère une mémoire des dates très longue. La prise de possession de 1853 par la France, pour eux, c’est hier. Avec elle, la perte de leurs repères, une nouvelle langue, une nouvelle religion, les pertes de terres, l’oblitération de leur culture. Une plaie qui ne s’est pas refermée.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis 30 ans. Mais chaque communauté a cheminé dans une direction différente : les Kanaks ont majoritairement vécu ce temps comme une préparation à l’indépendance, leur objectif final, en développant autant que possible la province Nord, pendant que les autres communautés ont géré la partie Sud.
Le « vivre ensemble » mis en avant dans l’Accord de Nouméa en 1998 n’a pas pu se matérialiser, compte tenu d’une telle différence de conception.
60-70% des votants resteront attachés à un niveau de vie élevé, à une stabilité et à une sécurité politique et juridique, au sein de la République, associés à un certain contrôle du pouvoir économique par les communautés européennes, océaniennes et asiatiques… Tandis que les Kanaks indépendantistes en feront une affaire de principe, de dignité, afin de retrouver ce qu’ils ont perdu en 1853. Quel qu’en soit le prix à payer sur le plan économique. Beaucoup sont prêts, implicitement, à une sorte de « remise à zéro », et l’argument de l’impossibilité d’une indépendance économique ne peut pas avoir de prise sur un peuple qui a été indépendant pendant 3000 ans, même si la Calédonie n’a jamais été un véritable Etat unifié.
A nouveau, la médiation ?
De telles différences de conception, avec un arrière-plan émotionnel aussi prégnant, rendent la négociation quasi impossible dans l’immédiat. Les déclarations de l’UC depuis quelques semaines sont sans équivoque à ce sujet.
Comme en 1988, c’est l’approche de la médiation qui pourra, peut-être, patiemment dénouer les fils de l’écheveau calédonien, qui se sont de nouveau emmêlés.
Une approche centrée sur la compréhension de la vision de chacun, de ses besoins réels, de ce qui est acceptable pour chacun, et de ce qui ne l’est pas.
Le mot « indépendance » n’existe pas dans les langues kanakes, il est traduit par une périphrase qui évoque le fait de retrouver sa dignité. C’est sans doute la piste la plus prometteuse à explorer pour avancer sur ce dossier qui peut devenir brûlant pour peu que les grands enjeux des indépendantistes ne soient pas bien perçus. Étonnamment, ils sont les mêmes que ceux de beaucoup de français.
Alors qu’en France la thématique de l’immigration a poussé le FN à 30% en métropole aux dernières élections présidentielles, avec une population de moins de 10% d’immigrés, du côté Kanak, c’est aussi le contrôle de l’immigration qui les obsède, depuis qu’ils sont devenus minoritaires (dans les années 60). Malgré les efforts réalisés depuis 30 ans, la crainte de voir leur culture se dissoudre dans la société occidentale est toujours forte.
Alors que les parents en France métropolitaine se demandent quelle sorte de travail leurs enfants pourront obtenir, avec un taux de chômage des jeunes de 23%, les parents Kanaks se demandent aussi quel sera l’avenir de leurs enfants, avec un taux de chômage des jeunes de 36%, encore plus élevé chez les jeunes Kanaks.
Au bout du compte, il faudra bien aller chercher ce qui est derrière ce mot de « dignité », de façon concrète, et en veillant bien à mettre à jour ce qui se cache derrière les conflits sur les symboles, pour lesquels on s’entretue trop facilement. Le chemin parcouru ces 30 dernières années a été considérable, il appartiendra aux parties de trouver la meilleure façon de le poursuivre.