Tsipras en James Dean dans la "Fureur de vivre" sur les hauteurs du Parthénon. Quelle série ! Toujours du nouveau ! Jamais la fin !
Dans la vraie « fureur de vivre » de Nicolas Rey, film sorti en 1955, James Dean est Jim Stark. C’est un jeune homme perdu qui débarque, avec ses parents, dans une ville américaine des années cinquante. Il se cherche, espérant trouver père et repère. Pour cela, rien de tel que d’entrer dans la bande des branchés du lieu ! Mais il y a un rite initiatique. Pour être admis, il faut se lancer au volant d’une auto, avec le chef de la bande, Buzz (Corey Allen) – donc contre lui, rouler vite et freiner le plus près possible du précipice. Autrement, on est une poule mouillée.
Jim/James et Buzz se lancent vers la falaise. Mais voilà que Buzz, coincé par sa manche, ne peut ouvrir la porte et sauter. Il est courageux, tout le monde se doute qu’il sortira le plus tard possible. Mais il ne le peut, et personne ne le sait. La bande de jeunes regarde alors cette course folle, sans comprendre. Angoissé, James Dean roule autant que possible mais préfère passer pour la poule mouillée, une poule courageuse quand même. Il sauve sa peau, saute de la voiture et voit passer Buzz qui roule vers la mort.
Vivons-nous une réplique de ce duel tragique ? Dans une automobile, il y a les responsables actuels du peuple grec. Ils disent vouloir faire des efforts mais veulent obtenir, en même temps, un abandon de dette de la part des autres membres du club, alias la zone euro. Dans l’autre automobile, il y a tous les membres du club euro, hors Grèce bien sûr. Eux, ils veulent d’abord un accord formel des Grecs sur leurs efforts à faire, avant de discuter d’abandons de créances.
« Réformes et abandons de créance » dans l’auto grecque contre « réformes puis abandons » dans celle des autres, c’est ainsi que se pose le débat. Il se complique tout de suite, les Grecs sachant que s’ils obtiennent beaucoup de leurs créanciers dans un premier temps, autrement dit peu d’engagements de réformes de leur part, ils doivent s’attendre à obtenir ensuite peu de réduction de dette dans un second. C’est ce que Tsipras/James Dean ne veut pas. Il veut gagner le maximum dans les deux joutes : le moins de réformes et le plus d’abandon de créances possible, « pour soutenir la croissance et lutter contre l’austérité, sortant ainsi de la spirale de la crise » bien sûr. Pour cela, il décide d’arrêter le jeu le samedi 27 juin et de le dramatiser : c’est l’annonce du référendum. Pour lui, panique, distributeurs de billets vides, hôpitaux sans médicaments arrêtent la logique du donnant donnant que mène la zone euro avec/contre les responsables grecs. Il veut revenir à sa logique « réformes et abandons », quitte à freiner devant la falaise du référendum de dimanche en acceptant des « concessions » le mercredi premier juillet ! Mais la surprise change alors de camp. Devant le changement de règles décidé par Tsipras, les autres membres de l’eurogroupe arrêtent leur voiture. Personne ne pourra les traiter de poules mouillées. Ils regardent passer l’auto de Tsipras. Que lui est-il donc arrivé ? Héroïque, illuminé ou empêtré dans ses jeux ?
Quel cinéma ! Pendant que la crise de l’économie grecque se poursuit, le refus de s’embarquer dans une logique normale domine chez ses chefs politiques actuels. Impossible pour eux d’admettre que la solution, c’est créer et développer des entreprises efficaces qui payent leurs salariés, sans black, qui vendent et achètent à bonne date, sans black, et qui payent leurs impôts, patrons et salariés compris !
Que le résultat du vote soit oui ou non, le premier drame de cette histoire est que la voiture grecque, si fragile, avance en terrain dangereux : Macédoine, Serbie, Albanie, Russie, Turquie, Lybie… au moment où elle s’apprête à ne plus payer ni sa police, ni son armée. Le deuxième drame est d’affaiblir l’euro et d’inquiéter les marchés qui doivent financer Italie, Espagne, en attendant la France, au moment où la zone euro va mieux, au risque de la faire rechuter.
Le troisième drame, c’est qu’il n’y aura alors pas d’autre solution que plus de réformes encore, alias plus de normalité (cadastre et autres), autrement dit plus de propriété étrangère, de privatisations et de suivi que prévu – pour légitimer la réduction à venir de la dette. Plus dur pour ceux qui restent, et Varoufakis sera parti ! Si le non l’emporte, c’est l’Argentine. Si c’est le oui, c’est la confiance à reconquérir. Comme on disait à Delphes : dimanche soir, un grand peuple fera face à son futur.
Article publié initialement sur le blog de Jean-Paul Betbèze