Depuis quelques années ce « refrain » est, j’allais dire sur toutes les lèvres, mais plutôt dans les articles de la plupart des médias : les retraités gagnent trop et doublement trop ! En 2015, le montant moyen de leur pension était de 1376 euros bruts, mais leur revenu moyen global de 2049 euros contre 2062 euros pour les actifs.
Les titres des médias ont fleuri depuis plusieurs années sur ce sujet et pas qu’eux.
La première fois que j’ai entendu ce grief, c’était lors d’une conférence à Lyon, il y a plus de dix ans où le think-tank Terra Nova, par la voix de son Président annonçait qu’il était inadmissible que les retraités se la « coulent douce » avec des pensions égales et même supérieures au revenu des actifs et surtout qu’une majorité d’employés, ouvriers. Sitôt arrivé chez moi, je me suis mis à analyser cette constatation pour vérifier ces dires. L’analyse que j’en ai faite, vous la trouverez ci-dessous plus étoffée après vous avoir présenté d’autres titres de journaux sur ce même sujet :
- La Tribune : Les retraités « grands gagnants par rapport aux actifs »
- Les Echos : Les retraités gagnent plus que les actifs
- L’Expansion/L’Express : Les retraités sont-ils des privilégiés
- Le Nouvel Obs : La moitié des retraités ont un revenu (pension) disponible très légèrement inférieur au revenu médian des actifs, avec leurs acquis immobiliers ils sont bien au-delà.
- L’Opinion : 1) Comment les retraités sont devenus plus riches que les actifs ?, 2) Les jeunes actifs qui ont la trentaine ont perdu 23 points de revenu disponible, relativement à leurs aînés de vingt ans
- Europe 1 : Les retraités gagnent plus que les actifs
- BFM Business : Les retraités ont un revenu supérieur de 5% à celui des actifs
- L’Est Républicain : Les retraités gagnent un peu moins mais sont plus riches que les actifs
- LCI : Les retraités gagnent plus que les actifs, mais vont-ils mieux ?
Le summum : Le Forum-politique.org : Savez-vous que les retraités gagnent + d’argent que les actifs !!!
Exemple de réflexion d’un jeune participant : « Et maintenant qu’ils ont fichu la France dans « la merde » et génité des jeunes qui « bossent deux fois plus avec un rythme plus soutenu » en gagnant beaucoup moins, ils se la coulent douce avec de longues retraites dorées…»
Pourquoi cette non différence de revenu entre des personnes qui travaillent et d’autres qui se « reposent » ?
C’est très facilement explicable sachant toutefois qu’il existe plusieurs raisons.
- Les retraités les plus anciens ont connu des temps d’activité beaucoup plus élevés. Les centenaires n’ont connu que la retraite à 65 ans en ayant commencé beaucoup plus tôt, soit souvent plus de 50 années de travail. Mon père a travaillé 53 années !
- Mais ils ont aussi effectué des horaires de plus de 50 heures par semaine et jusqu’à 65 ans minimum.
- Les autres retraités suivants ont en moyenne travaillé 45 ans et 45 heures par semaine. Personnellement, j’ai commencé à 52 heures par semaine dans un grand groupe international et il était encore possible de faire beaucoup plus d’heures supplémentaires.
- Depuis 1983, la retraite est passée à 60 ans, le temps de travail à 39 heures par semaine.
- Depuis le début des années 2000, le temps de travail est descendu à 35 heures par semaine.
- Le début d’activité ne commence en moyenne que vers 23 ans ½ au lieu de 16 dans les années 45.
- D’autre part, avant 1970 le chômage était presque inexistant, ce qui augmentait le nombre d’heures travaillées.
- Le retard de l’entrée dans la vie active dû à la difficulté de trouver son premier emploi, 7 mois ½ pour les jeunes diplômés et plus longtemps pour les autres.
- Actuellement, la France a encore plus de 6 millions de personnes en chômage total ou partiel, ce qui diminue considérablement le revenu moyen des Français.
- Autre facteur très aggravant, c’est la durée de vie qui augmente toujours de 7 heures par jour, 23 années depuis la dernière guerre. Ce qui a renchérit très fortement le coût du travail.
- Les salaires bruts au lieu d’être amputés de 6,5% en 1960, le sont aujourd’hui à plus de 22%, c'est-à-dire un salaire net très inférieur et donc un pouvoir d’achat en baisse.
- Le nombre de salariés pour un retraité était de 6 après 1945, aujourd’hui, c’est moins de 1,4 pour un. Il faut bien payer les 16,7 millions de retraités d’aujourd’hui à comparer des 2 millions en 1950 !
- Il faut aussi évoquer le temps partiel, qui n’existait pour ainsi dire pas en 1945, ce qui diminue aussi le revenu moyen. Pour information, il est passé de 7% en 1975 à 19% en 2017. Soit 1,8 million à 4,9 millions de salariés aujourd’hui.
Si les retraités s’en sortent dans l’ensemble assez bien, c’est surtout parce qu’ils ont beaucoup plus travaillé que les salariés actuels. Ils ont donc cotisé sur beaucoup plus d’heures, y compris leurs employeurs. Ce qui permettait des comptes équilibrés pour la Sécurité Sociale, l’Etat, de tous les organismes sociaux et augmentait le niveau de vie.
Depuis plusieurs années, tous les organismes crient au manque d’argent, d’investissements, tels la SNCF avec ses près de 50 milliards de déficit, la Sécurité Sociale avec ses 450 milliards cumulés depuis le début, l’enseignement qui manque de professeurs et d’investissements conséquents, les hôpitaux, maisons de retraites, pour la police c’est récurrent depuis de très nombreuses années. La liste est longue et la « grogne » est presque présente partout.
Tout est lié. Si les retraités ont des pensions à ce niveau, c’est bien en raison du temps de travail qu’ils ont effectué. Tous ces salariés qui réclament sans cesse ont très bien accepté toutes les diminutions de travail ! En 1983, 40 à 39h, cinquième semaine de congés, 8 mai redevenu férié et surtout la retraite à 60 ans qui a coûté à l’économie française la « bagatelle » de 300 milliards d’euros par année ! Puis les 35 heures qui ont après coup fait fléchir le niveau économique d’environ 14%. Pour la plupart des entreprises cela a été encore jusqu’à 14% supplémentaires sur les investissements.
Pour ceux qui ne le savent pas, le prix de revient horaire comprend le calcul des investissements. Plus l’entreprise travaille, plus son prix de revient horaire diminue. Prenez un camion, si vous le faites tourner 100 heures par mois au lieu de 200, son prix horaire d’investissement sera doublé. D’où des résultats négatifs. Tout en est ainsi pour l’ensemble des activités, y compris d’État. Il manque vraiment une formation ou tout du moins une information à l’ensemble de nos concitoyens pour qu’ils comprennent comment fonctionne une économie, un État, une entreprise. C’est l’État qui n’a jamais joué son rôle, souvent par idéologie politique, un peu comme dans les pays monarchiques ou totalitaires : moins on en sait, mieux cela vaut pour gouverner. Les pays nordiques ont pris une grande avance sur ce terrain, il y a plus de quarante années qu’ils ont initié toute la population au fonctionnement démocratique, économique, social du pays. Interrogez les gens dans la rue, vous pourrez constater la très grande différence de réponse avec celles de nos pays latins ! C’est flagrant.
Pour revenir aux retraités, ceux-ci n’ont pas voulu du tout la situation actuelle ; gagner plus que les salariés actuels. Si ces derniers avaient continué avec les mêmes horaires, les retraités ne seraient pas obligés de « rogner » sur leur pension pour aider financièrement leurs enfants et même petits-enfants, même si cela peut leur faire plaisir.
Les retraités ne sont pas des nantis, ils perçoivent le retour logique de leur investissement professionnel. Les plus jeunes devraient se poser la question pourquoi cela n’a pas continué ainsi pour eux-mêmes ! Au lieu d’incriminer tout ce qui semble les gêner, les offusquer ; l’internationalisation, le capitalisme, les grandes sociétés qui gagnent trop, les actionnaires, les délocalisations, les campagnes désertiques, les fermetures de lignes, les banlieues et j’en passe…
Il est aussi reproché aux retraités d’avoir des revenus globaux trop importants, de mieux vivre que leurs enfants !
Il semble logique qu’une personne ou un couple de plus de 65 ans ait des revenus plus conséquents qu’à 30 ans. Ayant beaucoup travaillés, ils ont pu thésauriser, placer leur argent, se créer un capital immobilier en commençant par acquérir leur logement et à en louer. Ce n’est pas de leur faute s’ils ont pu bénéficier d’un prix de l’immobilier faible, des remboursements de crédit avantageux compte tenu d’une forte inflation.
Aujourd’hui si les temps de travail et d’activité étaient supérieurs, les salaires seraient plus élevés, les charges, impôts taxes seraient suffisants pour tout payer (sans emprunt) et surtout sans les augmenter ou en créer constamment d’autres. Ce qui a affaibli considérablement l’État, les entreprises, l’ensemble de notre économie et augmenté le taux de pauvreté.
Le chômage, toutes les aides qui en découlent, RSA, etc… coûtent une fortune et amputent d’autant la compétitivité de la France !
En ce qui concerne la durée d’activité et le niveau de vie, cela peut se vérifier assez facilement à quelques exceptions près : les pays nordiques vont mieux, ainsi que l’Allemagne. Aucun n’a baissé la retraite à 60 ans, même s’ils ont tous eu une légère baisse, ils ont ensuite augmenté la durée d’activité.
Les Allemands ont même voté la retraite à 67 ans en 2007 et envisagent de la passer à 69 ans.
La Suède, retraite flexible de 63 à 68 ans pension progressive.
La Norvège 67 ans avec flexibilité de 62 ans à 74 ans, pension progressive.
La Finlande 65 ans avec possibilité de départ entre 63 et 68 pension progressive.
L’Italie 65 ans, 67 ans en 2021
Islande 67 ans
Pologne 67 ans en 2020
L’Islande, 67 ans
Pays-Bas 67 ans en 2021
La Belgique, 65 ans, 67 ans en 2030
La Suisse, 65 ans depuis toujours et une moyenne à 66 ans
L’Espagne, 65 ans, 67 en 2027
Le Portugal, 66 ans depuis 2014.
En France, début 2017, l’âge légal est à 62 ans (dans le privé) mais l’âge moyen de départ en retraite était à 61 ans et 10 mois. (60 ans pour l’OCDE en 2016). La moyenne des pays de l’OCDE était à 65,1 ans.
A titre comparatif, le départ en retraite en Lettonie est à 72 ans, en Corée et au Japon à 70 ans, l’Australie vient aussi de programmer les 70 ans ! Augmenter la durée d’activité d’une année, 62/63 ans, rapporterait 65 milliards de plus par an dans l’économie française. Augmenter l’horaire par semaine d’une heure 35/36 heures ramènerait 22 milliards de plus par année. Alors qu’attend notre gouvernement pour sortir rapidement la France de son enlisement ? Malgré un déficit moindre annoncé en 2017, 2,6% soit 62 milliards, la France est encore un des pays européens à la traîne tant au niveau du déficit que du taux de chômage.