Crise = opportunité ?

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Par Jean-Marie Mercadal Publié le 10 novembre 2018 à 5h01
France Baisse Actionnariat Individuel Bourse
@shutter - © Economie Matin
80%Au troisième trimestre 2018, près de 80% des entreprises qui ont publié leurs résultats ont dépassé les attentes des analystes.

Le mois d’octobre s’achève enfin ! C’est une bonne nouvelle pour les investisseurs ! Sur les actions américaines, il s’agit du pire mois d’octobre depuis 2008 et l’un des pires mois depuis 10 ans avec un repli, du plus haut au plus bas, de près de 10% de l’indice S&P 500 et de 14% de l’indice Nasdaq riche en valeurs technologiques.

Les actions européennes ont également perdu en extrême près de 10%. Et à l’intérieur des indices, nous avons assisté à un mouvement de rotation sectorielle très violent, à deux niveaux : forte baisse des valeurs sensibles à une remontée des taux d’intérêt, avec en corollaire une reprise des secteurs défensifs « visibles », et parallèlement, une désaffection des valeurs « cycliques ». Les petites et moyennes valeurs ont également été très pénalisées avec des replis de plus de 20% en Europe.

Ce contexte très tourmenté a sérieusement affecté les sociétés de gestion qui ont été confrontées à de grosses vagues de rachats : les derniers chiffres issus de « Morningstar » montrent que les investisseurs ont procédé à des retraits pour près de 85 Mds$ des fonds actions au troisième trimestre. Les sociétés de gestion cotées ont vu leurs capitalisations boursières perdre de 20 à 30% dans l’ensemble, ce qui ne paraît pas incohérent au vu des performances affichées : à ce jour, et surtout après octobre, les résultats d’ensemble des gérants ne sont pas satisfaisants.

La part de fonds qui surperforment figure parmi les plus bas niveaux depuis 2001, avec en Europe seulement 31% des fonds en surperformance. Sur la catégorie actions françaises la statistique est encore pire avec seulement 13%, et 25% pour les actions américaines. La moyenne des fonds diversifiés d’allocation flexible affiche une performance très décevante de près de -4,6% entre le début de l’année et fin octobre.

Pourquoi une correction aussi violente ?

Les investisseurs sont confrontés depuis quelques mois à une multiplication de facteurs d’incertitudes, mais au bout d’un moment l’accumulation finit par provoquer des réactions très vives : guerre commerciale, situation politique très compliquée en Europe (Brexit, Italie...), fin des politiques monétaires ultra accommodantes...

Mais, fait nouveau, la saison de publication des résultats des entreprises, si elle n’a pas été mauvaise dans l’ensemble, a mis en évidence quelques « profit warnings » et également des doutes sur les « guidances », c’est-à-dire les perspectives données par les chefs d’entreprises.

Sommes-nous dès lors dans une logique d’auto-réalisation, avec la baisse de visibilité liée au contexte global qui pèse sur la confiance des investisseurs et des chefs d’entreprise ? Les marchés nous annoncent-ils un « hard landing », c’est à dire une forte contraction de l’activité ?

Les instituts de conjoncture internationaux comme l’OCDE et le FMI ont révisé à la baisse leurs perspectives de croissance mondiale. Pour l’instant, cette révision est modérée, passant de 3,9% à 3,7% mais avec la mise en évidence de risques potentiels plus importants, surtout si la guerre commerciale s’intensifie.

Nous notons par ailleurs une divergence de plus en plus manifeste entre les États-Unis et le reste du monde. La Chine serait en première ligne sur le sujet de la guerre commerciale alors que la croissance du pays suscite des interrogations. Mi-octobre, les autorités sont intervenues pour stimuler l’activité en annonçant un assouplissement monétaire alors que les statistiques officielles annonçaient un taux de croissance de 6,5%, ce qui reste convenable. Mais les marchés doutent de ces statistiques officielles et considèrent que si des mesures de soutien sont prises, c’est qu’il y a un problème. La zone Euro pose aussi question. Les dernières enquêtes de conjoncture ne sont pas encourageantes. L’indice PMI manufacturier d’octobre en Allemagne est au plus bas depuis 3 ans. Ce ralentissement de l’activité observé dans toute la zone s’explique par la faiblesse des nouvelles commandes, notamment à l’exportation. Et la consommation risque de ralentir dans les prochains mois sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie. Au final, la croissance pourrait avoir du mal à atteindre 2,0%, contre près de 2,5% attendu en début d’année. Nous sommes cependant, là aussi, loin d’une récession.

Il n’y a donc finalement qu’aux États-Unis où les indicateurs d’activité restent robustes avec une croissance de 3,5% au troisième trimestre. La dynamique reste forte : 250 000 emplois créés encore en octobre, avec une hausse du salaire horaire de 3,1%, ce qui porte le taux de chômage proche des plus bas historiques à 3,7%. L’issue des élections de Mid Term donne une répartition des pouvoirs entre les deux chambres. Il s’agit du scénario attendu qui n’a pas provoqué de réaction négative sur les marchés. C’est une situation presque idéale qui pourrait limiter les velléités quelquefois imprévisibles de Donald Trump sans remettre en cause les acquis des baisses d’impôt et des mesures de soutien de l’économie. Donald Trump risque d’être ainsi limité dans son action domestique. Il peut se focaliser sur la politique étrangère, et les sujets susceptibles de peser ne manquent pas : Iran, Corée du Nord, « guerre commerciale vis-à-vis de la Chine... », les signaux envoyés sont pour l’instant contradictoires et la réaction des marchés est vive à chaque déclaration, ce qui montre qu’il s’agit d’un sujet majeur de préoccupation.

La rencontre entre le Président américain et son homologue chinois le 30 novembre prochain lors du sommet du G20 à Buenos Aires sera très importante : soit une voie de négociation plus constructive s’ouvre, soit Donald Trump peut en profiter pour dénoncer les avantages actuels et le manque de réciprocité de la Chine et appliquer unilatéralement 25% de taxes sur les importations chinoises aux États-Unis. Cette éventualité appellerait probablement des mesures de rétorsion (dévaluation du Yuan, blocages administratifs pour les affaires avec les États-Unis...). Dans ce cas, les réactions en chaîne sur l’économie et les autres pays émergents seraient négatives. Nous continuons à penser que la raison devrait l’emporter et que personne n’a vraiment intérêt à s’engager dans une spirale négative. À suivre.

Enfin, à ces problématiques de fond s’ajoutent les risques conjoncturels consécutifs à la hausse du pétrole. Le cours du baril a plus que doublé lors des 18 derniers mois, ce qui peut avoir un impact. Aux cours actuels, autour de 70 USD le baril, il se situe dans une zone « neutre » idéale qui préserve les intérêts des pays producteurs et qui ne devrait pas trop pénaliser les pays consommateurs. Mais il y a un risque à la hausse du fait de la conjonction d’un certain nombre de facteurs : embargo américain vis-à-vis de l’Iran, problèmes de distribution et de qualité sur le pétrole de schiste aux États-Unis...

Si la macroéconomie donne donc des signes de tassement, mais toutefois pas de récession, les nouvelles provenant de la micro-économie donnent désormais un panorama plus modéré : les résultats d’ensemble publiés par les entreprises restent globalement bons mais il y a eu plusieurs « profit warnings » et les « guidances » apparaissent plus prudentes.

Aux États-Unis, le bilan trimestriel s’avère satisfaisant : près de 80% des entreprises qui ont publié leurs résultats ont dépassé les attentes des analystes, avec une progression moyenne des bénéfices de 23,5% et des chiffres d’affaires en progression de près de 9%. Mais il convient de remarquer que ces nouvelles étaient déjà intégrées dans les cours. Les entreprises qui ont battu les attentes ont vu leurs cours de bourse stagner dans l’ensemble alors que celles qui ont déçu ont enregistré une sous performance médiane de l’ordre de 5%, avec quelquefois des replis de l’ordre de 20%. Les investisseurs semblent donc douter des perspectives futures, les marges bénéficiaires pouvant être affectées par la hausse des coûts de production, la hausse des taux...
Pour l’instant, les analystes anticipent une progression de l’ordre de 9% des bénéfices des entreprises de l’indice S&P 500 en 2019. En Europe, l’image diffère légèrement jusqu’à présent et reflète la dynamique moins porteuse : 40% seulement des entreprises qui ont publié battent les attentes. Pour l’ensemble de l’année 2018, les bénéfices ont été révisés à la baisse et nous attendons une progression en masse de 5% des bénéfices contre près de 10% initialement. Pour l’année prochaine, les perspectives restent positives avec + 10% mais les marchés semblent en douter pour l’instant.

Quel scénario envisager ?

Les marchés craignent donc un « scénario noir », qui combinerait ralentissement économique, hausse de l’inflation, fin des politiques monétaires accommodantes et, de ce fait, hausse des taux d’intérêt. Mais le pire n’est pas certain. Chacun des facteurs de risque pris individuellement a une probabilité d’occurrence qui est largement inférieure à 50% d’après nos analyses. Concernant la « guerre commerciale », nous avons le sentiment que la raison l’emportera comme expliqué ci-dessus. En Europe, les élections européennes risquent d’être difficiles pour les partis pro-européens, mais c’est probablement déjà dans les cours. Le cas de l’Italie retient l’attention actuellement. Au vu des derniers sondages, c’est la Ligue du Nord qui progresse au détriment du mouvement « 5 étoiles », plus franchement hostile à la rigueur budgétaire prônée par Bruxelles. Le scénario qui nous semble le plus probable est celui d’un échec de la coalition actuelle avec, à terme, une nouvelle coalition formée par la Ligue du Nord et le parti de centre droit. Au final, un attelage plus libéral économiquement et attaché à rester dans la zone Euro.

En attendant, il risque d’y avoir beaucoup de volatilité sur la dette italienne au cours des prochains mois, mais il y aura un bon moment pour l’acheter - car nous ne pensons pas que le scénario d’éclatement de l’Euro se produise, même s’il y aura une représentation populiste antisystème accrue au sein du nouveau parlement européen.

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Jean-Marie Mercadal est directeur général délégué en charge des gestions chez OFI Asset Management. Jean-Marie Mercadal a passé 2 ans à la BFT sur l’arbitrage taux/actions et 14 ans à la Banque du Louvre comme Directeur Général de Louvre Gestion. Il a rejoint OFI AM en 2003.

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