D’après un nouveau rapport publié par l’OCDE, l’Union européenne devrait modifier ses politiques relatives à l’immigration légale de travail pour s’assurer une juste part du vivier de talents internationaux.
L’Europe est confrontée à une crise humanitaire sans précédent, à laquelle les États membres doivent répondre à l’unisson, de façon coordonnée et audacieuse. Ce phénomène ne diminue cependant pas l’importance de résoudre les difficultés liées à la gestion de l’immigration légale de travail en Europe. La compétitivité à long terme de l’UE est en jeu, de même que sa capacité à évoluer vers une trajectoire de croissance forte et durable.
D’après le rapport Recruiting Immigrant Workers: Europe, les immigrés dans l’UE sont plus jeunes et moins bien qualifiés que ceux présents dans les autres destinations de l’OCDE. Sur l’ensemble des ressortissants de pays tiers hautement qualifiés qui résident dans les pays de l’UE et de l’OCDE, l’UE en accueille moins d’un tiers (31 %), tandis que plus de la moitié d’entre eux (57 %) se trouvent en Amérique du Nord. La situation s’est quelque peu améliorée ces dix dernières années, la part des individus très qualifiés parmi les immigrés récents ayant considérablement augmenté, passant de 21 % de l’effectif total en 2000 à 36 % en 2011. Cette part reste cependant inférieure à celle enregistrée en Amérique du Nord (41 %) ou en Australie et Nouvelle-Zélande (52 %).
L’UE connaît une diminution du nombre total de travailleurs migrants, dans le sillage de la crise économique mondiale, passant de plus d’un demi-million en 2008 à moins de 250 000 par an depuis 2012. Ces chiffres contrastent avec les flux stables enregistrés vers d’autres destinations de l’OCDE. Mais, surtout, un grand nombre de travailleurs migrants ne viennent pas en Europe dans le cadre de programmes destinés aux travailleurs qualifiés. Parmi ceux qui empruntent cette voie, la plupart relèvent de programmes nationaux, étant donné que le permis européen pour les immigrés très qualifiés, la carte bleue européenne, est difficile à obtenir. Seuls 10 000 nouveaux arrivants environ pouvaient prétendre à la Carte bleue européenne en 2014, et parmi eux, à peine 5 000 l’ont obtenue. Au total, les États membres de l’UE couverts par les politiques européennes d’immigration légale ont reçu par an moins de 80 000 travailleurs migrants hautement qualifiés ressortissants de pays tiers. En comparaison, le Canada et l’Australie enregistrent chacun 60 000 admissions annuelles au titre de leurs programmes d’immigration économique sélective destinés aux travailleurs hautement qualifiés.
L’UE a rejoint les États-Unis en tant que destination des étudiants internationaux, mais la plupart d’entre eux ne restent pas dans l’UE après l’obtention de leur diplôme. En fonction de la méthode de calcul utilisée, entre 16 % et 30 % des étudiants diplômés restent en Europe, une proportion inférieure à celle observée dans les pays de l’OCDE non membres de l’UE, où en moyenne plus d’un tiers des étudiants restent après leurs études.
« La compétitivité de l’UE à long terme est en jeu, de même que sa capacité à évoluer vers une trajectoire de croissance forte et durable », a déclaré Stefano Scarpetta, Directeur de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE. « Les immigrés qualifiés peuvent jouer un rôle important en contribuant à combler les pénuries de main-d'oeuvre, à stimuler l’innovation et à promouvoir la croissance de la productivité. Les employeurs dans la plupart des États membres de l’UE font déjà état de davantage de difficultés pour attirer et retenir les talents que ceux des pays concurrents non membres de l’UE ».
« L’UE doit faire face au déclin démographique et aux pénuries de compétences bien précises. Les talents étrangers peuvent aider l’UE à relever ces défis », a déclaré Belinda Pyke, Directrice de la migration et de la mobilité à la Direction générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne.
Le rapport met en évidence trois stratégies principales par le biais desquelles les instruments de l’UE peuvent contribuer à améliorer l’attractivité de l’Europe dans la course aux talents internationaux.
· Tout d’abord, l’UE devrait adapter ses filières d’immigration de travail pour s’assurer que les talents étrangers choisissent l’Europe au lieu d’autres destinations. Comme le propose aujourd'hui la Commission européenne, le dispositif de la carte bleue européenne devrait être étendu via un abaissement du seuil salarial, notamment pour les jeunes. Un vivier de candidats prêts à bénéficier de la carte bleue européenne (« Blue-Card-Ready »), dont les qualifications ont été reconnues, pourrait également être envisagé à plus long terme. Il devrait être plus facile pour les étudiants qui obtiennent leur diplôme dans l’UE de recevoir un permis de travail dans l’UE. De façon plus générale, les auteurs signalent la nécessité d’assouplir davantage les Directives de l’UE relatives à l’immigration de travail.
· Ensuite, l’UE devrait simplifier les procédures et les processus qui l’empêchent actuellement d’attirer et de recruter des talents. La reconnaissance des qualifications étrangères devrait elle aussi être simplifiée. Les bonnes pratiques nationales existantes, comme les << employeurs de confiance >>, peuvent être incorporées dans les programmes de l’UE et étendues à l’ensemble de l’Europe. Une plateforme unique pour les demandes relevant de l’immigration de travail serait également utile, tout en conservant la prise de décisions au niveau national.
· Enfin, l’UE devrait renforcer et promouvoir le marché du travail unique pour les ressortissants de pays tiers hautement qualifiés. Comme le propose la réforme de la carte bleue européenne, les dispositions relatives à la mobilité intra-UE des talents devraient être renforcées et mises en avant de façon à présenter l’Europe comme un marché du travail unique pour les talents internationaux, et pour aider les employeurs à offrir aux recrues potentielles à l’étranger des conditions globales intéressantes. Les instruments européens de l’immigration de travail doivent s’inscrire dans le cadre d’une action extérieure de l’UE avec les pays tiers (par exemple des projets de formation, de mobilité et de recrutement). L’UE pourrait améliorer sa stratégie d’image en tant que destination unique, mais aussi mieux faire connaître les possibilités d’immigration dont disposent les ressortissants de pays tiers hautement qualifiés.
Le rapport fait partie d’un projet de recherche conjoint de l’OCDE et de la Commission européenne en réponse aux objectifs fixés par M. Juncker à la Commission en 2014, à savoir promouvoir « une nouvelle politique européenne en matière de migration légale [pour] remédier aux pénuries de qualifications spécifiques et attirer des talents afin d’être mieux à même de relever les défis démographiques qui se posent à l’Union européenne [et pour] réfléchir sur l’immigration légale dont l’Europe aura cruellement besoin ». Le rapport examine les défaillances qui ont limité le recours au dispositif de la carte bleue européenne et recense les limites des instruments de l’UE en vigueur pour gérer l’immigration de travail. Ce rapport a fait partie des éléments de discussion en amont de la réforme de la carte bleue européenne présentée aujourd'hui, le 7 juin 2016, par la Commission européenne.