L’entreprise étendue, une entreprise libérée qui s’ignore

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Par Laurent Levy Publié le 29 octobre 2017 à 5h00
France Start Up Entreprises Modele
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3,1 millionsLa France comptait en 2016 3,1 millions de PME.

Avènement de l’ère numérique, quête de sens, nouvelles formes et mutations du travail, nécessité d’innover, capacité de « s’allier avec la multitude » … L’ensemble de ces tendances et enjeux poussent les organisations à se remettre en cause, à évoluer, à s’adapter pour répondre vite et de façon optimale à l’arrivée de nouveaux acteurs agiles et à l’ambition démultipliée par les potentialités du digital.

Cependant, lever le « capot » organisationnel d’une entreprise, c’est ouvrir une boîte de pandore, mettre le doigt dans un engrenage oscillant entre le théorique et le pratique, entre le conceptuel et l’opérationnel. C’est se confronter à l’idée d’agilité, de souplesse dans l’espoir incertain mais bien réel d’atteindre « l’entreprise libérée ». Un modèle paroxystique censé répondre aux maux des organisations et de ceux qui les composent en remettant en cause les hiérarchies et systèmes de contrôle traditionnels dans une logique d’autonomie et de responsabilisation des équipes recentrées sur leur cœur d’expertise.

L’objet de cet article n’est bien sûr pas de clore des débats complexes qui agitent académiques et praticiens mais bien de modestement ouvrir une piste de réflexion sur les voies menant à la « libération » de l’entreprise ! Plus précisément, il s’agit d’émettre l’hypothèse selon laquelle « l’entreprise étendue », - comprise comme un collectif hybride où collaborateurs de l'entreprise et experts externes unissent dans le temps leurs « hyper-expertises » pour délivrer sur le marché un maximum de valeur - peut faciliter l’émergence de « l’entreprise libérée ».

Les mutations du travail imposent aux organisations des transformations rapides qui tendent à se catalyser autour de la notion d’entreprise libérée.

Une transformation des organisations rendue urgente par les nouvelles formes de travail

Les mutations du travail s’accélèrent. Alors que les parcours et trajectoires professionnels sont davantage heurtés, marqués par des changements de statut, de la pluriactivité, de possibles périodes de chômage, on observe en parallèle un renouveau du travail indépendant (entre 2001 et 2008, hors agriculteur, le nombre d’indépendant a augmenté plus vite que celui des salariés : +0,8% par an contre 0,5%) qui devrait s’accentuer sur la prochaine décennie. Par ailleurs, l’émergence des plateformes numériques conduit à une diversification des formes d’emploi.

Dans ce contexte, les organisations traditionnelles sont contraintes de s’adapter aux mutations à l’œuvre et doivent notamment répondre aux aspirations nouvelles d’actifs qui rejettent les structures en place et souhaitent se soustraire à l’inertie et aux pesanteurs d’organisations jugées, à tort ou à raison, comme incapables de répondre aux envolées disruptives de nouveaux entrants « pure players » ayant le numérique dans leur ADN.

L’entreprise libérée, un graal à l’heure de la révolution « start-up »

La révolution « start-up » n’est pas simplement à l’origine d’une révolution des modèles d’affaires. Au-delà du « QUOI ? », elle bouleverse le « COMMENT ? ». Elle casse les codes en interne que ce soit en termes de management, d’organisation ou de gouvernance : abandon de la pyramide hiérarchique, pilotage par la raison d’être et développement de conditions de travail permettant aux salariés d’être eux-mêmes. De fait, l’urgence d’un changement des pratiques organisationnelles résulte de la constatation des coûts directs et indirects du contrôle hiérarchique en termes de démotivation des forces vives, de difficulté à innover dans un environnement de plus en plus complexe et de capacité à attirer des nouveaux talents.

Comme l’écrit Isaac Getz dans Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises, l’entreprise libérée est une « une forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables dans les actions qu'ils jugent bon — eux et non leur patron — d'entreprendre ». Ces traits caractéristiques sont les suivants :
- Principe du « celui qui sait fait »
- Importance de la notion de vision d’entreprise à élaborer de manière collective
- Transparence et valorisation de la diversité de penser
- Acceptation de l’apprentissage par l’erreur

Ainsi, la superposition des valeurs véhiculées par la « révolution start-up » et des valeurs inhérentes à « l’entreprise libérée » est assez intuitive, l’entreprise devant être « libérée » pour relever le défi de la révolution numérique.

Cependant face aux difficultés pour appréhender et incarner l’entreprise libérée, l’entreprise étendue apparaît comme un allié substantiel.

Fantasme, incompréhension et frustration autour de l’entreprise libérée

Là où le bât blesse, c’est que l’ensemble des théoriciens (et leurs thuriféraires) de « l’entreprise libérée », s’ils ont détaillé de nombreux cas d’usage, ne présentent pas une méthode à appliquer pour « libérer » son organisation. Dans la mesure où la réussite de ces transformations dépend de leur appropriation et de leur adaptation en interne, ils n’existent pas de « secret sauce » ou de « recette toute faite ». Bien plus, le risque de dévoiement opérationnel des discours théoriques est réel et source de frustration et d’inefficacité.

Le concept « d’entreprise libérée » est aujourd’hui devenu un « buzz word » mobilisé dans toutes les circonstances sans prise de recul, sans effort de compréhension fine, sans volonté d’appropriation et de contextualisation. En résultent alors utilisations erronées, contre-sens souvent manifestes et désaccords parfois majeurs. Comme le souligne Frédéric Laloux, dans son essai Reinventing organizations – vers des communautés de travail inspirées, l’enjeu des « entreprises libérantes » n’est pas de réduire les hiérarchies, de faire que chaque employé soit l’égal d’un autre mais au contraire de capitaliser sur les compétences pour rendre l’autorité légitime et dynamique. Libérer l’entreprise, ce n’est pas la paralysie de la participation de tous à tout, qui dilue les responsabilités et épuise les énergies.

« L’entreprise étendue », « cheval de Troie » de « l’entreprise libérée »

Comment dès lors relever le défi et tenir la promesse (trop souvent déçue) de l’entreprise libérée ? Et si « l’entreprise étendue » évoquée plus haut constituait un moyen habile d’infuser, d’irriguer, de diffuser ces principes organisationnels ? « L’entreprise étendue », appréhendée comme une entreprise ouverte sur l’extérieur, structurant son ou ses réseaux de confiance, animant et mobilisant les bonnes expertises au bon moment, est nécessairement amenée à adapter son modèle organisationnel.

Elle va de manière très concrète favoriser les relations via notamment la compétence/l’expertise apportée aux autres plutôt que de figer les positions. Elle va permettre à des collaborateurs internes et des experts freelances d’échanger, de collaborer, d’innover ensemble. L’entreprise étendue répond à la question non pas de savoir « comment donner le même pouvoir à tout le monde ? » mais bien à celle plus fondamentale de « comment faire en sorte que chacun ait du pouvoir ? ».

L’entreprise étendue n’est pas plate ou égalitaire, elle ne fait pas disparaître les hiérarchies mais au contraire les rend dynamiques en confiant l’autorité au « sachant », à « l’expert » dans une situation donnée pour faire naître de véritables « communautés de travail inspirées ». Au final, l’entreprise étendue est une entreprise libérée qui s’ignore !

Pour une entreprise, s’organiser à l’heure de la révolution numérique et des mutations du travail, c’est résoudre une équation complexe à plusieurs inconnues : l’inconnu de l’attractivité des meilleurs experts, l’inconnu de l’agilité et de la souplesse, l’inconnu de l’innovation, l’inconnu de la quête de sens. Aujourd’hui, s’approprier la notion d’entreprise libérée apparaît comme un moyen de résoudre l’équation posée. Mais pour éviter les contre-sens et contourner les chausse-trappes, le choix de l’entreprise étendue semble le plus efficace pour ouvrir son organisation, structurer les relations autour de l’expertise, de la connaissance et permettre à chacun, internes comme externes, de délivrer sur le marché un maximum de valeur et innover sans limite !

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Laurent Levy est Président d’INOP’S et fondateur d’XXE.

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