Élections américaines : fraudes électorales, une fake news de plus ?

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 6 novembre 2020 à 22h10
Fraude Electorale Etats Unis
@shutter - © Economie Matin
16Dans 16 États américains, il est possible de voter sans pièce d'identité !

Les accusations de fraude électorale dont Donald Trump se fait régulièrement l'écho depuis des semaines et des mois, et qu'il utilise maintenant pour contester l'hypothèse de la victoire de son adversaire, sont elles une fake news de plus, l'incarnation d'un coup d'État, ou... une hypothèse sérieuse ? Éléments de réponse, dépassionnés.

Pour comprendre un peu mieux ces accusations de fraudes électorales, qui paraissent hautement improbables quand on parle des États-Unis, pays roi de la technologie, il faut d'abord commencer par regarder notre propre nombril : la France (comme bien d'autres démocraties) n'est en réalité pas à l'abri de la fraude électorale. Les dernières élections municipales françaises de 2020 ont été suivies de près de 3.000 recours en annulation. 24 heures avant les élections américaines (mardi 3 novembre), le commissaire du gouvernement demandait justement l'annulation des élections municipales dans la ville du Chesnay (30.000 habitants), en grande banlieue parisienne, en raison d'irrégularités constatées, et parce que l'écart de vote final n'était que de... 74 voix.

Parmi les techniques de fraude connues et largement documentées, y compris donc par les tribunaux, on connaît celle consistant à endommager des bulletins valides, en les déchirant au sortir de l'enveloppe, ou encore en les raturant avec une mine cachée sous l'ongle. Plus grave et plus audacieux, parfois, un scrutateur, mais parfois aussi un assesseur, parvient à remplacer un paquet de dix enveloppes posé sur la table au moment du dépouillement d'une enveloppe de 100.

Autrement dit, la fraude électorale fait partie intégrante de la démocratie, comme un mycose dont on ne parvient jamais totalement à se débarrasser mais qui peut être aussi bien totalement invisible, insignifiante et indolore, et donc, sans effets sur sa santé, ou au contraire envahissante, dégradante, inquiétante, quand elle n'étouffe pas totalement le sujet, comme dans les régimes communistes et les républiques bananières.

La fraude électorale fait partie de la démocratie, y compris aux États-Unis.

Mais alors, si la fraude électorale est somme toute largement répandue, mais contrôlée dans les pays occidentaux, pourquoi ne pas envisager qu'elle puisse influencer le résultat des élections présidentielles américaines, comme le voudrait Donald Trump ?

La première approche possible, c'est de regarder la carte qui illustre cet article, et qui montre les États dans lesquels une pièce d'identité avec photo est exigée, les États dans lesquels une preuve de votre identité est exigée (une facture de téléphone mobile suffit), et les États dans lesquels vous... débarquez dans le bureau de vote et prenez un bulletin. 16 États, dont, une partie de ceux encore en ballotage aujourd'hui. Au Wisconsin, l'un des États clefs de cette élection, il est même possible de s"inscrire sur les listes électorales directement dans le bureau de vote, le jour du scrutin, avec un simple justificatif de domicile, et de voter dans la foulée. Alors que les données ne sont encore que partielles, on sait que ces inscriptions de dernière minute n'ont rien de marginales, mais se chiffrent en centaines de milliers. Si beaucoup sont légitimes (déménagement non signalé par exemple), d'autres paraissent plus suspectes. Et en tout cas, ce mécanisme ne garantit nullement la sincérité du scrutin, ce qui justifie en France l'intervention d'un juge pour être inscrit le jour même de l'élection, dans un nombre de cas très précis et très particuliers, strictement encadrés par la loi. A l'échelle d'une ville de 100.000 habitants, cela concerne moins d'une dizaine d'électeurs en moyenne... Dans le Wisconsin, c'est 100 fois plus ! Et cela donne par endroits des taux de participation absolument hallucinants, dépassant les 90%.

Si vous ajoutez à cela les bulletins de vote qui peuvent, dans certains États et en particulier ceux qui font l'objet de recours, soit être envoyés par la Poste, avec un risque réel de substitution en cours de trajet (le fer à vapeur est toujours redoutablement efficace pour décoller les enveloppes cachetées), soit les bulletins de vote sont collectés par des tiers qui vous proposent de les déposer dans l'urne avec d'autres bulletins afin de vous rendre service, on peut comprendre qu'il y ait en effet un risque de fraude électorale massive et organisée, et non pas seulement improvisée par un militant isolé.

La fraude électorale est enseignée dans des manuels et sur Internet

Si vous doutez encore que cela soit possible d'organiser la fraude électorale, une simple recherche sur les affaires de fraude jugées dans l'Hexagone ces dernières années suffit à dresser les cheveux sur la tête. Alors que notre système est pourtant ultra sécurisé, avec des listes électorales bouclées des semaines à l'avance, un contrôle strict de l'identité (sauf dans les petites communes), un dépouillement organisé avec assesseurs scrutateurs, décompte du nombre de voix sur le cahier d'émargement et sur l'urne équipée d'un compteur, paquets de 10 enveloppes rassemblées dans des enveloppes de 100, etc..

Malgré toutes ces mesures de sécurité, on fait toujours voter des gens à leur insu en France, on fait aussi voter des morts, des gens qui ont déménagé, essentiellement grâce aux fausses procurations. Et on bourre aussi et encore les urnes, notamment en remplaçant habilement des paquets d'enveloppes, ou encore en détruisant des bulletins valides de l'adversaire, ce qui revient finalement au même.

Une fois que l'on sait que cela existe, en France donc, patrie des Lumières et modèle de la démocratie dans le monde (ce qui est dit ici sans ironie, il suffit pour s'en persuader de regarder combien de pays dans le monde arborent un drapeau tricolore, calqué sur le drapeau français), on peut donc raisonnablement envisager que cela peut aussi exister aux États-Unis.

Mais qui prendrait ce risque ? Probablement pas des yuppies éduqués de la côte Est, dont on peut espérer que le cursus universitaire et la foi en la démocratie sont supérieurs à l'envie de voir leur candidat gagner.

En revanche, le camp démocrate rassemble aussi par la force des choses et du bipartisme des ultra-gauchistes, qui n'ont rien à envier aux communistes et à leurs méthodes éprouvées dans de nombreux pays, y compris des démocraties occidentales, et bien entendu, y compris la France.

Et pour ces gens-là, le respect des règles démocratiques et de l'éthique n'a que peu d'importance quand il s'agit de faire battre celui qu'ils détestent pas dessus tout, et plus que n'importe quel président républicain avant Trump.

Bien entendu, tout ce que je viens d'écrire sur le camp démocrate et son hétérogénéité vaut à l'identique pour le camp républicain. Des militants de l'extrême-droite américaine sont également parfaitement prêts à tout pour empêcher Biden de gagner, notamment parce que eux aussi savent très bien qui se cache (aussi) derrière le candidat démocrate.

Le problème, c'est que depuis mercredi soir, au fur et à mesure du décompte et du dépouillement, les résultats ne changent que dans un sens : que dans des États républicains, dans lesquels des îlots démocrates, fort curieusement, dépouillent en retard sur tous les autres. On nous explique que ce sont des villes avec de gros bureaux, ou donc encore qu'il s'agit de bulletins de vote par anticipation (donc, dont le dépouillement était anticipable) ou envoyés par la Poste (mais ils n'ont que quelques kilomètres à parcourir et non des centaines ou des milliers). Il n'empêche : tout cela ne fait pas du tout sérieux.

Élections américaines : pourquoi seuls certains résultats sont contestés ?

Une simple analyse objective des faits permet de se demander pourquoi les résultats ne sont pas contestés dans la plupart des États, avec des décomptes effectués très rapidement et validés dès le soir de l'élection, et pourquoi dans une poignée d'autres, pourtant stratégiques, les résultats se font attendre, et surtout, changent d'heure en heure et même de minute en minute ! À chaque fois qu'un journaliste américain zoome sur une carte d'un des États qui pose problème, (vous pouvez le faire vous-même sur les sites de CNN, d'ABC ou de Fox News pour ne citer qu'eux), on découvre un puzzle de comtés uniformément rouges, avec quelques petites taches ou bandes bleues correspondant aux grandes villes.

Alors bien sûr, intellectuellement, quand vous vous trouvez "encerclé", mais en même temps dans un "bastion", il est parfaitement compréhensible voire "normal" d'envisager aider, forcer la chance, surtout quand on se sait soutenu par l'immense majorité des médias et que l'on se persuade d'incarner le camp du bien. Sur le plan pratique, il est également beaucoup plus simple d'organiser une fraude dans son fief, là où les complicités sont aisées à susciter, et là où l'on peut aussi isoler facilement ses opposants, ou en tout cas les tenir à l'écart.

Autrement dit, et en résumé :

- La fraude électorale est un phénomène connu, avéré, dans toutes les vraies démocraties (laissons de côté les dictatures ou les démocraties de façade).

- Elle n'est pas l'apanage d'un camp, mais il est admis que l'extrême-gauche, l'ultra-gauche, a fait un peu partout dans le monde de la fraude électorale un moyen privilégié d'action politique, codifié dans ses manuels d'instruction et aujourd'hui sur des sites internet militants, enseigné dans certaines "universités d'été". L'extrême-droite préfère les coups de force à la fraude électorale, notamment parce qu'elle recrute plus facilement par nature chez ceux qui peuvent exercer cette force (milices ou forces armées constituées), mais aussi parce qu'elle habille souvent ce mode d'intervention d'un voile de légalité et de légitimité juridique, voire, constitutionnel.

- Plusieurs États américains disposent encore d'un système électoral totalement désuet, qui n'a pas pour objectif de garantir la sincérité du vote, mais d'abord de permettre au plus grand nombre de citoyens de l'État de voter, et ce le plus facilement possible, sans quasiment aucun contrôle. Souvent, c'est un héritage de temps anciens, où l'on se déplaçait à cheval pour voter dans les villes, et où l'on collectait les votes de ceux qui étaient éloignés des bureaux. Des systèmes conservés quasiment en l'état, en partant du principe qu'un système sans contrôle auto-corrige ses travers, puisque tout le monde connaît les règles et peut donc aussi bien les protéger que les contourner.

Élections américaines et fraude électorale : des semaines de procédures judiciaires ?

Que va-t-il se passer maintenant ? Sans doute allons nous avoir droit à des semaines de procédures judiciaires, bloquant l'annonce de résultats dans suffisamment d'États, empêchant par contrecoup l'annonce de résultats définitifs. C'est déjà arrivé, notamment en l'an 2000.

Dans chaque bureau de vote, les listes électorales vont être comparées aux votes comptabilisés, et dès qu'il y aura plusieurs irrégularités sur un bureau, les avocats de Trump demanderont l'annulation des votes dans ce bureau, et chaque fois qu'un juge accédera à leur demande, ce seront des dizaines de voix d'avance qui seront enlevées à Biden. Car bien évidemment les avocats de Trump ne s'intéresseront qu'aux bureaux plaçant Biden en tête, et surtout ceux plaçant Biden largement en tête. L'équation est simple : parvenir à faire annuler les résultats d'un bureau dans lequel 800 personnes ont voté, apportant 500 voix à Biden et 280 à Trump (il y a d'autres candidats marginaux dans certains États), c'est faire reculer Biden dans le total de l'État.

Et si, malgré tout, un seul des cinq États encore en ballotage vendredi 6 novembre décidait de valider ses résultats, et d'accorder ses grands électeurs à Biden, la messe ne serait pas pour autant dite. Sauf si Trump reconnaît sa défaite, ce qui semble peu probable...

En réalité, c'est le 14 décembre que le collège électoral des grands électeurs doit se réunir pour désigner le 46e président des États-Unis (Designated President). Les avocats du Donald Trump disposent donc d'un grand mois devant eux, pour faire invalider des dizaines de milliers de bulletins de vote, ou les résultats de centaines de bureaux de vote.

Est-ce que tout cela affaiblit la démocratie en général, et la démocratie américaine en particulier ? En réalité non, et c'est même plutôt l'inverse. Le fait que des scrutins soient mis en doute est finalement plutôt sain, puisqu'il est évident que toutes les mesures possibles et imaginables seront prises afin de valider ceux qui doivent l'être, et à l'inverse, écarter du scrutin ceux qui sont manifestement douteux, voire, frauduleux. Purgé de toutes manipulations, irrégularités ou maladresses accidentelles, et, on l'espère, de certains archaïsmes anachroniques, les résultats finaux n'en seront que plus forts et légitimes.

À lire sur les modes de scrutin aux Etats-Unis, ce site gouvernemental :
https://share.america.gov/fr/faut-il-une-piece-didentite-pour-voter-aux-usa-cadepend-ou-vous-habitez/

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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