L'entrepreneur considère souvent la gouvernance comme une contrainte, un cadre qui limite son autonomie et son pouvoir de décision et, de façon générale, un sujet qui concerne davantage les grands groupes cotés que les autres organisations.
Au cours des dix dernières années, les lois et codes de gouvernance ont largement contribué à développer l’image d’une gouvernance contraignante et au service du contrôle, au premier rang desquels la loi Sapin 2 et le code AFEP-MEDEF qui, via la règle Say On Pay, ont encadré les rémunérations des dirigeants, ou même la loi Copé-Zimmermann qui, en imposant 40% de femmes dans les conseils d’administration avec un échéancier précis, a mis un terme à la tradition séculaire de conseils quasi exclusivement masculins. Les dérives passées de certains dirigeants en matière de gouvernance – rémunérations abusives et parachutes dorés, prises de risques excessives ou stratégies court -termistes au profit exclusif des actionnaires - ont ainsi entraîné le renforcement des dispositifs de contrôle interne et la protection des lanceurs d’alerte.
Des mesures qui s’avéraient nécessaires pour restaurer de la confiance dans les états-majors, de l’éthique dans la gestion des organisations, instaurer de la parité et de la diversité dans les conseils et éviter la reproduction des scandales comme Enron. Pour autant, si l’on veut bien considérer l’apport global de la gouvernance dans le développement de l’entreprise, ces mesures demeurent bien insuffisantes. La gouvernance n’est, fort heureusement pas, synonyme de contrôle de l’exécutif. En effet, si le contrôle ou la conformité peuvent et doivent contribuer à limiter les risques, éviter les faillites et les fraudes, ils ne contribuent en aucun cas à développer la vision, l’ambition, le courage, l’innovation et la créativité. En somme, toutes ces qualités essentielles qui distinguent les entreprises qui performent et font tant défaut aux autres. C’est sans doute pour cela que les entrepreneurs se sont peu engagés jusqu’à présent dans la structuration de la gouvernance de leur entreprise.
Mais avec la loi Pacte, la donne pourrait bien changer. La nouveauté et tout l’intérêt de cette loi, c’est d’avoir intégré la notion d’intérêt social à la mesure de la performance de l’entreprise. Le fait de considérer et d’évaluer la contribution sociétale de l’entreprise est non seulement résolument ancré dans les préoccupations actuelles (environnement, pratiques sociales, parties prenantes) mais dans l’ADN de l’entrepreneur qui privilégie par nature la pérennisation de son activité avant la maximisation des profits à travers, notamment, une contribution sociétale et une porosité forte avec son écosystème d’affaires. Le modèle de développement, proposé dans la loi Pacte, qui allie performance économique et rôle sociétal fait ainsi fortement écho au modèle de développement prôné depuis toujours par l’entrepreneur.
Un autre point de la loi qui devrait intéresser de près les entrepreneurs est la meilleure représentation souhaitée des salariés au conseil d’administration. En effet en abaissant pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, le seuil de 12 membres à 8 membres au sein d’un conseil d’administration, pour accueillir deux administrateurs représentant des salariés, la loi Pacte engage le dirigeant, à mieux combiner liberté d’entreprise et intérêt collectif.
Une opportunité à saisir également du côté des administrateurs représentants des salariés puisqu’ils pourront désormais participer de façon plus directe - meilleure représentativité, accès à de la formation pour exercer leur mandat, etc. - aux côtés du dirigeant, aux réflexions stratégiques de l’entreprise. Leur rôle, jusqu’à présent au mieux consultatif, est ainsi amené à évoluer vers un rôle plus déterminant dans les prises de décision. Disposant d’un ancrage et d’une connaissance réelle de l’entreprise dans ses plus infimes rouages, ces administrateurs représentants des salariés devront être capables de faire entendre une nouvelle voix constructive au sein du conseil d’administration, en particulier celle de l’impact de l’orientation stratégique de l’entreprise sur leur employabilité.
Au final, la loi Pacte propose à l’entrepreneur et à tout dirigeant d’implémenter une gouvernance moderne, utile et plus équilibrée dans sa mission et dans sa composition.
Plus équilibrée dans sa mission, parce que la réflexion stratégique prend toute sa place aux côtés de la fonction contrôle du conseil d’administration développée au cours des dix dernières années. L’intégration de l’intérêt social dans la réflexion stratégique de l’entreprise permet d’adresser les questions d’utilité, de progrès et de sens. Autant de questions qui invitent à déterminer un projet d’entreprise sur le temps long : celui de la vision en intégrant de façon systématique une analyse globale de sa Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) : devoir de vigilance, environnement, loyauté des pratiques, développement local…
Plus équilibrée dans sa composition, parce qu’aux côtés du dirigeant et des actionnaires, les administrateurs représentants de salariés et les administrateurs indépendants viennent enrichir le débat et contribuent à élargir le panel des savoirs mis à la disposition de l’organisation pour porter son projet de développement. Ils apportent aussi avec eux une garantie supplémentaire dans la prise en compte de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise – salariés, clients, fournisseurs et partenaires, environnement, territoires et communautés… - dans la détermination des orientations stratégiques.
Réhabilitée dans son rôle d’apport stratégique à l’entreprise, la gouvernance souhaitée par la Loi Pacte pourrait devenir d’ici peu le partenaire privilégié de l’entrepreneur. La loi Pacte pourrait notamment lui permettre, à travers la mise en place ou la professionnalisation de son conseil d’administration, d’éclairer ses prises de décision, de rompre sa solitude de dirigeant, et contribuer ainsi à mieux soutenir sa vision et la mission de son entreprise.