Le compteur truqué du PIB chinois indique 6,9% de croissance en 2015

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Par Alexandre Mirlicourtois Publié le 19 janvier 2016 à 14h39
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18%Depuis le 22 décembre 2015 la Bourse de Shanghai a perdu 18% de sa valeur.

La croissance économique chinoise a officiellement ralenti à 6,9% en 2015. C’est certes son plus bas niveau depuis 25 ans mais c’est une fois de plus à un dixième seulement de la prévision officielle du gouvernement ! Plus précisément le 4ème trimestre serait en léger (6,8%) retrait par rapport au troisième (6,9%) malgré l'essor du secteur des services qui, pour la première fois, représentait l'an dernier plus de la moitié du PIB.

Des chiffres en droite ligne avec le cap du gouvernement prêt à sacrifier quelques dixièmes de point de PIB au profit d'une croissance plus durable car tournée vers la consommation intérieure, l'innovation et les services, laissant de côté les industries lourdes et polluantes et les investissements dopés par l'endettement et les exportations. Le problème c’est que de nombreux doutes entourent ces chiffres.

Quand le 1er ministre de la Chine remettait en cause le chiffre officiel

Selon WikiLeaks, la petite histoire veut qu’un économiste chinois, dès 2007, secrétaire du comité du parti communiste de la province de Liaoning, (au Nord-est du pays à la frontière de la Corée du Nord) ait fait une confidence à l’ambassadeur américain lors d’un dîner et d’admettre que les chiffres du PIB du pays sont « artificiels ». Ce dirigeant n’est autre que Li Keqiang, l’actuel premier ministre chinois. Et de poursuivre, qu’à la place, lui, s’intéressait pour mesurer la croissance de sa province à la consommation électrique, le volume du fret ferroviaire et les prêts bancaires. A l’aide des trois indicateurs mentionnés cet indice montre un ralentissement bien plus marqué que le recul affiché par les chiffres officiels du PIB chinois. La croissance serait ainsi à peine supérieure à 3%. L’économiste Patrick Artus dans une note publiée le 21 juillet 2015, intitulée « Peut-on estimer la vraie croissance de la Chine », s’appuie sur des corrélations normalement stables entre PIB et importations, PIB et production d’électricité et PIB et fret (routier, ferroviaire, maritime) pour estimer économétriquement l’élasticité sur la période 1996-2013. Quelle que soit la relation choisie, la croissance de la Chine sur un an serait de l’ordre de 2% à 2,5% en prenant la moyenne des différentes estimations

Trois juges de paix qui ne mentent pas

La « com » économique de Pékin ne fonctionne donc plus et seuls les jusqu’au-boutistes de la doxa officielle nient encore la brutalité du ralentissement en Chine. Une brutalité qui peut se lire à travers trois juges de paix plus difficiles à « truquer » que les chiffres officiels du PIB : il s’agit 1- de la dégringolade de près 18% de la bourse de Shanghai depuis le 22 décembre. 2- du plongeon du yuan qui a perdu environ 4% de sa valeur face au dollar depuis novembre. 3- de l’hémorragie des réserves de change : près de 500 milliards de dollars envolés en 2015. Certes avec encore plus de 3 300 milliards, la Banque centrale Chinoise peut voir venir, mais l’histoire économique montre que l’épuisement des réserves de change est un processus bien plus rapide que la phase d’accumulation. La croissance décroche, mais comment s’en étonner ? Cela fait maintenant près de 45 ans que la Chine est sur « avance ultra-rapide » avec un PIB en hausse de plus de 9% par an, en moyenne, et il faut remonter en 1976 pour trouver trace d’un accroc. Il faut savoir qu’aucune grande économie n’a jamais fait aussi fort, aussi longtemps. Pas étonnant alors que cela coince un jour. Mais pourquoi maintenant ?

Les raisons de la panne

Si la Chine est en panne c’est que la phase de transition de son ancien modèle de croissance (basé sur des entreprises industrielles ultra-compétitives, spécialisées sur des biens de consommation standardisés d’entrée ou de milieu de gamme, et sur la force de l’investissement privé et public) à un modèle plus autocentré, qui fait la part belle à la consommation et la montée en gamme, ne se fait pas en un jour. Surtout, ce sont des modèles à fronts renversés qui conduisent à court terme à des impasses. Sur les salaires et le taux de change par exemple. La Chine a longtemps profité de la sous-évaluation du yuan et de ses bas salaires pour inonder le monde de ses produits et attirer les capitaux étrangers en quête d’une base de production à bas coût. A l’inverse, la transition vers son nouveau modèle exige un yuan plus fort et des salaires plus élevés pour consommer plus et rémunérer des travailleurs plus compétents et plus exigeants. Conséquence, la Chine s’est en partie disqualifiée par rapport à ses voisins immédiats en matière de compétitivité-coût avec un salaire mensuel moyen manufacturier devenu trop élevé. Mais c’est vrai aussi vis-à-vis du Mexique et de nombreux pays africains avec, à la clé, la délocalisation de sites de production. A cela s’ajoute, les conséquences de la bascule de la croissance mondiale vers les pays occidentaux et donc le recentrage des chaînes de valeur. Les conséquences de plus d’une décennie de surinvestissements et l’apparition de surcapacités considérables ont fait le reste. D’autant plus que la demande domestique ne répond toujours pas. La consommation reste le maillon faible et le restera tant que les ménages devront sur-épargner en raison du sous-développement des institutions sociales. Saturation des besoins en logements et en infrastructures, endettement excessif, importance du shadow banking complètent la liste déjà longue des difficultés. Bref, toutes les conditions sont réunies pour que s’ouvre une longue période de croissance faible en Chine.

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Alexandre Mirlicourtois est directeur de la conjoncture et de la prévision de Xerfi. Il est également membre du comité de conjoncture et responsable de Xerfi-Prévisis.