Dès leur création puis tout au long de leur existence, les entreprises sont mises par leurs dirigeants sous la coupe de doctrines. L’une concerne les affectations, exercice après exercice, des résultats nets (après tout impôt à payer par l’entreprise au titre de la période considérée).
L’impôt que les entreprises en société doivent acquitter sur leurs bénéfices contraint à deux présentations différentes du bas de leurs comptes de résultat : l’officielle fiscale et la réelle économique. Parmi les mieux que procurera la fiscalité purgée de cet impôt (Economie Matin du 8 mars), une seule présentation suffira, toutes choses restant égales par ailleurs quant à la doctrine prévalente de répartition de la marge finale quand elle est bénéficiaire. Mais disons d’abord quelques mots au sujet des pertes.
L’affectation des pertes
En entreprise, un résultat déficitaire réduit de fait le capital exploité. Convient-il en ce cas de rendre obligatoire l’établissement d’un bilan d’ouverture de l’exercice suivant qui affiche ce qu’est devenu le capital dans le financement de l’entreprise ? Il n’est qu’exceptionnellement rassurant d’être appelé à participer au relèvement du taux de capitalisation d’une entreprise qui n’est pas encore bénéficiaire ou qui ne l’est plus (sur ce taux, Economie Matin du 13 avril) !
Ainsi que cela s’entend trop peu dans les salles d’audience des tribunaux de commerce, la minoration de ce que doit être ce taux afin de franchir ou refranchir le seuil de rentabilité est une faute de gestion. Je ne vois pas où sont les bonnes raisons, au regard de l’intérêt général, de différer le constat de cette faute. Dans une entreprise en société, la direction et le conseil d’administration qui s’estiment tenus de détecter rapidement que cette faute a été commise et qui se tiennent prêts à la corriger en ouvrant davantage son capital assument mieux leurs responsabilités sociales.
La doctrine en vigueur de la répartition des bénéfices
La doctrine qui prévaut est celle des trois parts : l’intéressement en complément de salaire d’une partie ou de la totalité du personnel de l’entreprise ; le profit pour rémunération du placement en capital ; l’autofinancement, en complément des abondements aux réserves obligatoires et des dotations aux amortissements d’équipements et d’autres investissements (pas tous : un terrain n’est pas amortissable, mais une carrière l’est) ainsi qu’en complément d’autres éventuelles provisions passées en charges.
L’intéressement pose lui-même un problème de répartition que la doctrine du salaire adoptée par la direction de l’entreprise aide plus ou moins à bien résoudre. En outre, plus l’intéressement aux bénéfices est relativement élevé, et moins les comparaisons internes et externes avant intéressement sont exactes. Des réglages en chaîne s’en trouvent plus approximativement et lentement faits. Le remède est évident. Les bases de comparaison doivent être les salaires annuels tout compris, quitte à les diviser par douze ou par un nombre annuel d’heures de travail afin de rendre leurs ordres de grandeur et leurs écarts plus palpables pour tout un chacun.
Pour ce qui est de la part de profit, des écarts donnent à réfléchir. Prenons pour base 100 le capital et ci-dessous exclusivement lui. Si les trois parts sont égales, le taux de profit est trois fois plus petit que le taux de bénéfice net. Si l’impôt sur le bénéfice brut est de la moitié de ce dernier, le taux de bénéfice net est deux fois plus petit que le taux de bénéfice brut. Pour un profit de 4 %, il faut alors un bénéfice net de 12 % (trois fois plus) et un bénéfice brut de 24 % (deux fois plus). Pour qui de telles proportions et d’autres plus resserrées font de l’entreprise une vache à lait ?
Une autre doctrine est plus évoluée
Une autre solution est la répartition de la totalité des bénéfices annuels, non seulement après impôt tant qu’impôt sur les bénéfices payé par les entreprises il y a, mais aussi après intéressement du personnel et après abondement, le cas échéant, des réserves imposées par le législateur. L’autofinancement n’est plus alors alimenté que par cet éventuel abondement, en sus des dotations périodiques aux amortissements d’actifs. On entre alors dans l’ère du plein échange actionnarial.
Lorsque l’entreprise est en société, l’autre solution augmente sensiblement le dividende à l’issue des périodes bénéficiaires. Cela fait des détenteurs de parts de capital social plus enclins à placer davantage et à recommander autour d’eux cet investissement, toutes choses égales par ailleurs quant aux possibilités de liquidation des actions en question. La direction générale et le conseil d’administration sont eux enclins à l’ouverture permanente du capital social même lorsque les thuriféraires du capitalisme de plus-value sortent de leur poche le carton rouge de la dilution. L’accompagnement de la distribution de dividendes d’une offre de souscription de nouvelles parts participe à la réalisation de cette ouverture.
En mettant les points sur les i
Cet accompagnement doit se faire en mettant les points sur les i tant que ce mode de participation n’est pas devenu courant. Le conseil d’administration juge préférable que les actionnaires aient tous la possibilité de se prononcer sur le financement de la société. Si sur ce financement ou sur d’autres questions, un actionnaire n’est pas d’accord, qu’il vienne le dire en assemblée générale. En revanche, s’il est d’accord sur la poursuite d’une politique de plein échange actionnarial, il est appelé à la soutenir en souscrivant de nouvelles parts de capital. Peut-être ne veut-il ou ne peut-il souscrire que pour un montant inférieur au revenu qui vient de lui être versé. Peut-être veut-il se contenter de remettre au pot un montant à peu près égal à celui de ce revenu. Peut-être veut-il et peut-il accroître son placement d’un montant supérieur. C’est son affaire ; sa qualité de sociétaire n’autorise pas le conseil d’administration à se mêler de la gestion de cette affaire-là.
Les points sur les i sont à mettre aussi pour se débarrasser de cinq contrevérités. Pour ne pas trop allonger mon propos, je ne vais que les évoquer.
1) Il est faux que le capitalisme de rendement nécessite de tenir cadenassé le capital de la plupart des sociétés commerciales, coopératives et mutuelles comprises.
2) Il est faux que le profit a pour raison d’être la reconstitution d’une mise en capital. La durée apparemment exprimée par un taux de profit sur capital est économiquement insensée. Quand par exemple le profit annuel moyen est de 8 %, la durée de 12 ans et demi (100 / 8) est bien celle au terme de laquelle le cumul de profit sera égal à l’épargne placée. Mais que ce placement en capital strictement dit ne rapporte plus rien une fois cette durée écoulée et alors même qu’il reste exploité serait un dol. Il y a là plus qu’un détail !
3) Il est faux que le placement d’épargne ait un effet dépressif sur la marche des affaires. L’arbitrage entre dépenses et placements d’épargne appartient, en économie de marché d’aplomb, aux titulaires de revenus et à eux seuls, la masse des moins fortunés en tête.
4) Il est faux qu’il faille de forts taux d’accumulation par profits et intérêts systématiquement réinvestis pour que les entreprises s’en trouvent assez hautement capitalisées pour porter au plus haut leur aptitude à ouvrir de nouveaux débouchés et à créer des emplois.
5) Il est faux que l’intermédiation des investisseurs institutionnels participe à l’optimisation de l’arbitrage entre les différentes catégories de placements d’épargne. Cet arbitrage appartient d’abord aux épargnants, la masse des plus modestes d’entre eux en tête.
Sur l’autre doctrine
Proposition première de science économique 6.5 (1 page web) : La distribution de la totalité des bénéfices des entreprises est sensée.