Le fondateur du Forum Economique de Davos, qui ouvre ses portes aujourd’hui, s’empare à son tour du thème du capitalisme partenarial qui doit se substituer à la forme actionnariale des dernières décennies. Le prochain retournement d’activité sera probablement un moment de vérité : comment alors arbitrer entre le court et le long terme et entre l’économique et le social ? En attendant, le FMI, tout en faisant preuve de prudence et en « coupant un peu les cheveux en quatre » nous dit que les choses s’améliorent. Tant mieux !
Le Forum Economique de Davos ouvre ses portes. Il s’agit de la cinquantième édition. Son fondateur et Président, Klaus Schwab, veut que l’« esprit du capitalisme » retrouve les principes présentés dans le manifeste publié en introduction de la première rencontre en 1971 : « la finalité du management est de servir les intérêts des clients, des actionnaires, des collaborateurs ainsi que des communautés concernées ; elle est aussi d’harmoniser ces intérêts différents ». Vingt-cinq ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, les valeurs collectives apparues à ce moment étaient encore bien « en cour ». Sans oublier un monde « coupé en deux ». Le « monde libre », sous la menace du bloc soviétique, devait ainsi doublement « faire pack », en externe avec des alliances internationales et en interne avec la recherche de compromis au sein de l’entreprise et avec des politiques publiques de redistribution.
Cette vision de la place de l’économie dans la société a été par la suite remise en cause. Et ceci à plusieurs titres : 1) l’essoufflement de recettes keynésiennes, qui généraient davantage d’inflation que de croissance, 2) l’effondrement du communisme en Europe, l’ouverture de la Chine et la mondialisation de l’économie, 3) l’écho rencontré par la thèse de Milton Friedman selon laquelle la seule responsabilité de l’entreprises est d’accroître les profits servis aux actionnaires.
Plusieurs décennies ont passé et avec elles une croissance ralentie, une montée des inégalités, des grandes entreprises qui se détachent de leurs communautés, locales ou nationales, des changements climatiques qu’on a du mal à gérer et, au final, une polarisation politique qui empêche de plus en plus la formation de compromis tant à l’intérieur des pays qu’entre eux.
Pour Klaus Schwab, les entreprises se trouvent devant un choix existentiel. Soit elles font siennes l’ambition d’un « capitalisme partenarial » et s’engagent à développer une stratégie de long terme et à atteindre des objectifs environnementaux et sociaux ambitieux ; soit elles s’accrochent à un « capitalisme actionnarial » qui donne la priorité aux profits à court terme et alors le changement sera imposé de l’extérieur par les électeurs/clients/employés.
Klaus Schwab sera-t-il écouté par la communauté des « grands patrons » ? La position prise en août dernier par le Business Roundtable, une association qui regroupe nombre des plus grandes entreprises américaines, va dans ce sens. La nouvelle ambition affirmée est de diriger l’entreprise au bénéfice de tous ses « partenaires ».
Dont acte ; comment ne pas accepter un augure aussi raisonnable ? Il n’empêche qu’on ne retrouvera pas, par un « claquement de doigt », les conditions historiques, économiques et socio-psychologiques qui prévalaient dans les années 50 ou 60. Disons que la prochaine période de retournement de la croissance sera le moment de sonder les « cœurs et les reins » : comment voir loin quand le présent vous « glisse entre les doigts » et jusqu’à quel point privilégie-t-on le social au détriment de l’économie (pour ne pas parler de l’environnement) ? Les « partenaires » peuvent ne pas s’entendre sur les horizons temporels à privilégier.
Même si, on l’a compris, l’avenir nous force à voir loin, il reste nécessaire de baliser le chemin « juste devant ». Le futur ne sera qu’en vivant le présent, pour paraphraser tant bien que mal Saint Augustin ! Le FMI vient de publier la mise à jour de ses prévisions économiques d’octobre dernier. Il faut retenir trois messages. D’abord, la croissance économique prévue pour l’année en cours et la suivante est un peu revue à la baisse : respectivement -0,1 point et -0,2 point par rapport aux projections faites en octobre dernier. Sans doute doit-on relativiser l’ajustement. Sa taille est modeste et surtout doit beaucoup à la situation en Inde (montée de l’incertitude sur fond d’endettement lourd et généralisé). Ensuite, si on privilégie les évolutions d’une fin d’année à l’autre, et non en moyenne annuelle, afin de ne pas retenir des effets-base peu favorables (le niveau de T4 année N comparé à la moyenne de l’année N est un composant important de la croissance moyenne annuelle de N+1 ; l’effet-base ne peut pas être favorable si l’activité a été faiblarde tout au long de N, surtout en seconde partie), une accélération significative interviendrait tout de même d’une année à l’autre : +0,6 point dans le monde, de 2,9% en 2019 à 3,5% en 2020, dont +0,4 point, de 1,5% à 1,9%, pour les pays développés. Enfin, et surtout, le FMI considère que les risques, s’ils restent baissiers, sont moins importants qu’estimés à l’automne dernier. Les réglages monétaires plus accommodants tout autour du globe et l’accord sino-américain sont largement à l’origine de ce reflux. Il n’empêche que d’autres dossiers sont à même de déséquilibrer l’économie réelle et la sphère financière. Ils sont souvent politiques, si on suit le FMI ; qu’il s’agisse des relations entre l’Iran et les Etats-Unis, d’un climat propice aux tentations protectionnistes qui n’a pas disparu ou de crises politiques internes sur fond de mécontentement social. Et il ne faut évidemment pas oublier les conséquences du dérèglement climatique.
Hervé Goulletquer