En toute discrétion, les interventions en faveur des PME dans le budget de l’État devraient diminuer globalement de 2 milliards d'euros. C’est ce qui ressort du projet de lois de finances pour 2019. Cette mesure en contradiction avec les discours et intentions affichés par le pouvoir exécutif n’ont guère suscité de débat à l’Assemblée Nationale. Ces mesures sont d’autant plus saisissantes qu’elles touchent au premier chef la politique en faveur de l’apprentissage des jeunes…
Tiens ! Les interventions de l’État, comme retracées ci-dessus, en faveur des PME devraient passer de 2,2 milliards d'euros en exécution (c’est-à-dire en dépenses réellement consommées) en 2017, à moins de 700 millions de crédits de paiement (c’est-à-dire de sommes réellement inscrites au budget) en 2018. Pour l’ensemble des entreprises, ces sommes devraient passer 5 milliards d'euros à 2,65 milliards d'euros. Voilà une diminution des interventions de 50% pour l’ensemble des entreprises, de 66% pour les PME, qui a échappé complètement aux radars, mais qui pose de sérieuses questions sur l’envie ou l’intention que le pouvoir exécutif peut avoir de soutenir le tissu des petites entreprises françaises.
Quelles interventions en faveur des PME sont en baisse ?
Sans entrer dans un détail ligne à ligne, on notera que la diminution des interventions en faveur des PME touche essentiellement le budget du travail. En 2017, les crédits de paiement consacrés spécifiquement aux PME atteignaient 1.800 milliards. Ils n’atteindront pas les 300 millions en 2019 (moins de 285 millions inscrits en 2019). Encore s’agira-t-il d’une anomalie : en 2019, les crédits de paiement seront le double des autorisations d’engagement. Autrement dit, en 2019, l’État continuera à financer des dossiers engagés l’année précédente. Mais, en année de « croisière », les crédits du travail en faveur des PME seront de 120 millions, contre 1,8 milliards en 2017 !
Pour l’ensemble des entreprises (c’est-à-dire grandes entreprises comprises), les crédits passeront de 2,3 milliards à 1,6 environ. Une baisse de 700 millions...
Les PME vont à nouveau payer pour les grandes entreprises
Premier constat à ce stade, donc, qui est aux antipodes des déclarations main sur le coeur de Bruno Le Maire, d’Emmanuel Macron et consorts: l’effort demandé aux PME sera bien plus intense que l’effort demandé à l’ensemble des entreprises françaises pour financer l’État en 2019. Autrement dit: les petites (et très petites entreprises) vont se serrer la ceinture pour les grandes.
Voilà une petite vérité qui n’est pas inutile à rappeler, à redire, à marteler, dans un contexte de grogne des « petits » contre les « gros ». Non, cette grogne ne participe pas du populisme, mais d’une réalité budgétaire transparente présentée en loi de finances et discutée (sans entrain et dans le mépris global des parlementaires, d’ailleurs) à l’Assemblée Nationale.
Les interventions en faveur des PME au titre de l’apprentissage en première ligne
Pour comprendre ce qui se cache derrière ces chiffres abstraits, voire opaques, il faut se reporter aux bleus budgétaires et aux documents par programme (nous tenons ici à destination de ceux que cela intéresse la liste des documents budgétaires à consulter sur le sujet). C’est tout particulièrement dans le document récapitulant les moyens du ministère du Travail que l’on trouvera la réponse aux différentes questions qui se posent. Les initiés consulteront avec appétit les chiffres du « programme 103 – Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi » pour comprendre.
Comme on le voit, le gouvernement programme sur « l’amélioration de l’insertion dans l’emploi », des crédits de paiements très inférieurs aux autorisations d’engagement. Dans la pratique, seul un milliard sera effectivement disponible pour financer cette mission, qui recouvre en réalité les exonérations de cotisations sociales sur les apprentis. À lui seul, ce chiffre explique 600 millions d'euros sur la baisse des transferts de l’État en faveur des entreprises.
Ce chiffre dérange, dans la mesure où les principales victimes de cette mesure seront les entreprises et les PME (et les TPE…). Nous n’entrons pas ici, pour ne pas alourdir sans véritable bénéfice la lecture de cet article de synthèse, dans le détail des autres mesures accessoires.
L’argument apporté par le gouvernement pour justifier la baisse de l’aide à l’apprentissage
Quel argument le gouvernement a-t-il utilisé pour justifier cette politique à rebours de ses déclarations d’intention ? On en trouve la meilleure formulation dans les propos tenus par la députée Marie-Christine Verdier-Jouclas, ancienne salariée d’une PME bien connue: le Crédit Agricole, accessoirement rapporteure spéciale sur cette partie de la loi de finances. Nous citons ici le compte-rendu de l’Assemblée Nationale :
C’est ce qui explique la baisse apparente de 3 milliards d’euros sur la mission entre la loi de finances initiale de 2018 et le projet de loi pour 2019 sur les crédits de paiement, soit 2 milliards d’euros à périmètre constant, tout en ayant des autorisations d’engagement stables. S’agissant de la baisse des crédits de paiement, plusieurs éléments sont à souligner. En premier lieu, plus d’un tiers de la baisse relève d’effets de périmètre – à hauteur de 1,1 milliard d’euros pour être précis. Ces effets sont liés à la fin de la compensation des exonérations de cotisations sociales pour les apprentis du fait de la transformation du CICE en baisse pérenne de cotisations et du transfert à l’éducation nationale des contrats aidés pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap, ce qui représente environ 30 000 emplois aidés.
Marie-Christine Verdier-Jouclas
Députée LREM
Cette phrase mérite de rester dans les annales pour deux raisons.
La première est que la députée reconnaît implicitement que, sur une baisse de 2 milliards de crédit, la « mesure de périmètre » n’en concerne que la moitié. La députée passe ici sous silence que, dans ce tourbillon de gloubi-boulga technocratique, le gouvernement supprime purement et simplement près d’un milliard de crédit en faveur de l’apprentissage. Elle ne semble guère s’en offusquer… la mesure ne suscitera d’ailleurs aucun débat particulier, ce qui en dit long sur le mépris que la représentation nationale peut nourrir pour cette filière.
L’autre raison tient à l’invocation de « l’effet de périmètre », expression absconse propre à la technostructure, qui signifie concrètement qu’on supprime l’intervention fléchée pour les apprentis par une intervention plus générale de baisse de cotisations sociales pour tout le monde. « Effet de périmètre » signifie en réalité que la somme dépensée est toujours la même, mais que les bénéficiaires changent. Avant, le milliard d’exonérations profitait aux apprentis, maintenant, il profitera aussi aux CDI des grandes entreprises à l’abri des licenciements.
La duperie appelée « effet de périmètre »
Il faut ici s’appesantir un peu sur la notion de périmètre pour comprendre de quoi il retourne au juste. Lorsque les services de Bercy utilisent cette expression pudiques, ils veulent en réalité signifier qu’on retire une somme aux uns pour la donner aux autres. En l’espèce, il s’agit bien de retirer aux petites entreprises, et prioritairement aux artisans, une somme dédiée à faciliter le recrutement d’apprentis, pour la redistribuer plus globalement (mais à moitié seulement…) à l’ensemble des entreprises sur l’ensemble des salariés.
Dans cette stratégie toxique qui est, redisons-le, à contre-courant de la lutte contre le chômage des décrocheurs scolaires, le gouvernement finance la transformation du CICE en baisses pérennes de cotisations.
Les documents de la loi de finances ne disent pas autre chose :
« Ainsi, les exonérations spécifiques de cotisations sociales patronales dont bénéficiaient les contrats de professionnalisation ainsi que les employeurs privés d’apprentis sont supprimées au 1er janvier 2019 par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019, au profit des allègements généraux renforcés qui deviennent plus avantageux. Cela fait l’objet d’une mesure de périmètre sortante du budget général vers la Sécurité sociale. » (page 45 du bleu).
L’effet de périmètre cache ici une opération de passe-passe: ce qui bénéficiait anciennement aux seuls employeurs d’apprentis sera demain mutualisé dans le grand sac du salariat.
Le mépris social du gouvernement pour les apprentis
Incidemment, on regrettera les non-dits de cette politique qui vise, une fois de plus, à supprimer des moyens en faveur de la France d’en-bas par le truchement d’expressions technocratiques aseptisées. En particulier, on notera que le gouvernement a, par une loi du 5 septembre 2018 que très peu de gens ont eu le temps de lire, « simplifié » un dispositif en ce sens :
La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit le remplacement, à compter du 1er janvier 2019, de quatre dispositifs d’aide aux employeurs d’apprentis (crédit d’impôt apprentissage, prime à l’apprentissage, aide au recrutement d’un apprenti supplémentaire, aide TPE-Jeunes apprentis) par une nouvelle aide unique, ciblée sur les entreprises de moins de 250 salariés et sur les apprentis préparant un diplôme ou un titre à finalité professionnelle équivalant au plus au baccalauréat (niveau IV ou V). Cela induit une mesure de périmètre entrante vers le programme 103, à hauteur du montant du crédit d’impôt apprentissage.
Une fois de plus, la mesure de l’apprentissage prise par le gouvernement cible les apprentis préparant un diplôme égal au maximum au baccalauréat. Les jeunes des quartiers en BTS, en licence ou en mastère 2 n’y auront pas droit. Encore et toujours, l’objectif est bien d’encourager ceux qui se contentent d’un diplôme modeste. Les ambitieux, les volontaires, qui veulent sortir de leur condition initiale par l’apprentissage sont, comme toujours, découragé.
On ne peut pas donner de plus bel exemple de mépris social et de lutte active contre l’égalité des chances.
Les TPE et les PME une fois de plus victimes des arbitrages budgétaires au profit des grandes entreprises
On avait imaginé qu’Emmanuel Macron tablerait sur les start-up, sur les petites entreprises, pour relancer la croissance et renouveler le pays. L’espérance aura peu duré. Dès sa deuxième loi de finances, le Président revient aux fondamentaux de l’ancien monde: les petits doivent payer pour les gros.
Ainsi, sur une baisse de moyens de 2 milliards, un seul milliard est compensé par un dispositif qui va diluer l’aide à l’apprentissage dans un magma dont les salariés en CDI « installés » tireront profit.
Ce n’est pas que nous défendions, ici, le principe de la subvention aux entreprises. Dans tous les cas, celle-ci est toxique et nuit à la concurrence égale et parfaite. Mais, si tant est que le gouvernement veuille vraiment intervenir en faveur des entreprises, rien ne justifie qu’il distraie d’importants moyens dévolus aux « petites » pour les remettre à disposition des grandes.
L’imposture macronienne est ici flagrante. Et profondément nuisible à la croissance des entreprises françaises, car, à coup sûr, les milliards des apprentis servaient vraiment à lutter contre le chômage des jeunes et à booster l’activité des TPE et des PME. Leur disparition participera au renchérissement du coût du travail pour des acteurs vulnérables.
Ou comment, une fois de plus, la préférence en faveur du chômage s’exprime.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog