Le deuxième confinement, annoncé par le président de la République Emmanuel Macron mercredi 28 octobre, continue de susciter des polémiques sur la notion de produits indispensables. Ainsi, s’il a été décrété par le Premier ministre Jean Castex que les livres, les fleurs, les produits de beauté ou les cadeaux de Noël doivent être interdits à la vente (sauf si on les achète sur Amazon), le tabac a lui été déclaré « produit de première nécessité », permettant ainsi à tous les buralistes de rester ouverts.
Le tabac, un produit de première nécessité, contrairement au livre
En ce début très symbolique de Mois Sans Tabac, soutenu notamment par La Ligue Contre le Cancer présidée par Axel Kahn, le gouvernement aurait pu choisir de suivre l’exemple de l’Afrique du Sud qui, au printemps dernier, avait décidé d’interdire la vente du tabac pendant le confinement. Il n’apparait pas que cette interdiction de vente se soit traduite par une aggravation de la situation sanitaire.
En France, si le Covid-19 a provoqué à ce jour en France quelque 35 000 morts, le tabac tue chaque année prématurément près de 80 000 personnes, dont 15% de non-fumeurs, pour un coût social estimé à 120 milliards d’euros. La décision de privilégier le tabac aux livres aurait pu donc être moins automatique. D’autant que le premier confinement s’est traduit par une augmentation de la consommation de tabac, susceptible de provoquer une hausse des cas de cancer, et du nombre de morts liées à la consommation de tabac.
Le premier confinement a généré 1,3 milliard d’euros de recettes fiscales supplémentaires
Le point positif du confinement sur le secteur du tabac est qu’il participe à la baisse du commerce parallèle. Le premier confinement a généré 1,3 milliard d’euros de recettes fiscales supplémentaires, une croissance qui s’explique par la hausse des taxes, une augmentation de la consommation pour certains fumeurs comme on l’a vu précédemment, et par la difficulté de s’approvisionner sur les marchés parallèles et dans les pays limitrophes.
Cette hausse de la valeur du marché de 12% bénéficie à l’Etat qui voit à court terme ses ressources fiscales augmenter, aux buralistes qui voient leur chiffre d’affaire augmenter, voire exploser pour les frontaliers, et aux 4 majors du tabac qui sont également les bénéficiaires de ce mouvement. En revanche, les fumeurs sont les grands perdants puisqu’ils doivent payer au prix fort les cigarettes et leur tabac à rouler, en raison de l’impossibilité de se fournir à moindre prix sur les réseaux parallèles.
Une mission d’information parlementaire décidée par Eric Woerth
C’est pour comprendre ce phénomène que le Président de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale Eric Woerth a décidé de lancer une « mission d’information relative à l’évolution de la consommation du tabac, du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement ». Ses auditions et conclusions sont attendues, même si plusieurs études parlementaires sur le commerce parallèle de tabac ont déjà été conduites.
La part de responsabilité des cigarettiers dans l’organisation et l’alimentation du commerce parallèle
Ainsi en octobre 2015, le député du Doubs Frédéric Barbier et proche du nouveau Président du Groupe LREM Christophe Castaner publiait un rapport très détaillé sur l’origine du commerce parallèle de tabac. En novembre 2018, le sénateur des Hauts-de-Seine Xavier Iacovelli organisait un débat au Sénat qui réunissaient fabricants de tabac et associations antitabac. L’occasion pour les fabricants de tabac de reconnaître que le commerce parallèle est constitué de cigarettes sortant directement ou indirectement de leurs usines, une partie émanant des achats dans les pays limitrophes (achats frontaliers) et l’autre de réseaux plus structurés ayant acheté leur tabac en grandes quantités (containers, palettes) dans des pays à fiscalité très faible (Bulgarie, Ukraine par exemple)
Le député des Bouches-du-Rhône François-Michel Lambert, organisateur d’un colloque sur le sujet à l’Assemblée Nationale précise que « les 18 milliards de cigarettes qui composent le commerce parallèle en France viennent à 50% des pays limitrophes. Elles ont été acheminées par les cigarettiers dans les bureaux de tabac andorrans, belges, luxembourgeois, italiens, etc. et à 50% via des containers affrétés par des intermédiaires qui ont acheté les cigarettes dans les usines des fabricants. Comme pour les affaires de drogue, policiers, gendarmes et douaniers doivent proposer l’impunité aux personnes qui transportent du tabac non acheté dans le réseau officiel de vente (simples particuliers, auteurs de trafics de fourmis, receleurs, chauffeurs de camion) contre la preuve que le tabac qu’ils possèdent sort bien de l’usine d’un fabricant de tabac ». Les conclusions du « Livre Noir du Lobby du tabac en Europe » du député européen Younous Omarjee vont dans le même sens : certaines majors du tabac alimentent, directement ou indirectement, le commerce parallèle.
Le deuxième confinement devrait montrer la nécessité de « fumer le tabac là où il est acheté » pour des raisons de santé publique, de finances publiques et pour la pérennité économique des buralistes.