Déjà fortement endettée, la ville de Paris subit elle aussi de plein fouet la crise du coronavirus. Les recettes vont manquer au budget et les coûts induis par la réponse sanitaire tendent plus encore la situation financière de la capitale. Avec la probable annonce mardi de la date de tenue du deuxième tour, il semble pertinent d’évaluer aujourd’hui la situation dont héritera le prochain maire : De quelles solutions disposera-t-il ? L’augmentation des impôts locaux est-elle une fatalité ? Où sont les principales sources de recettes et d’économies ? Tour d’horizon.
Mise entre parenthèses après un premier tour éclipsé par la crise du Covid-19, l’élection municipale à Paris ne pourra pas faire l’économie de la question de la dette. En effet, l’un des arguments mis régulièrement en avant par les rivaux d’Anne Hidalgo est la gestion des finances de la ville. Durant la dernière mandature, la candidate socialiste, qui a respecté ses engagements de ne pas augmenter les impôts locaux, a financé ses investissements en recourant à l’emprunt, entraînant ainsi une hausse de la dette. « Afin de financer les investissements, la dette a augmenté de 62 % depuis 2014, à 6,77 milliards d’euros en 2018. Elle représente 14 années de capacité d’autofinancement, un niveau désormais élevé », note ainsi l’Institut Montaigne.
Une dette de 6 milliards d’euros
Les adversaires d’Anne Hidalgo dénoncent « cette spirale financière » qui fait craindre une envolée inéluctable des impôts sous la prochaine mandature. Dans l’équipe d’Agnès Buzyn (LREM), on pointe « l’explosion de la dette qui atteint désormais 6 milliards d’euros ». Rachida Dati (LR) fustige de son côté « les habitudes qui, depuis six ans, ont creusé une dette de plus de 6 milliards d’euros, sans jamais économiser sur le fonctionnement », tandis que Cédric Villani (dissident LREM) estime que « cette trajectoire de la dette n’est pas soutenable ».
Du côté de la maire sortante, on défend au contraire un budget « des promesses tenues », notamment la stabilité des impôts locaux et la mise en œuvre d’un plan d’investissement de 10 milliards d’euros... Et ce malgré les hausses des dépenses de solidarité et les baisses de dotations de l’Etat. « Pour la première fois depuis 2003, la dette de la ville de Paris va baisser et atteindra 5,9 milliards d’euros à la fin de la mandature », a annoncé le premier adjoint PS Emmanuel Grégoire.
Quelle est réellement la situation dont héritera le prochain maire ? Selon l’Institut Montaigne, l’assise financière de la ville de Paris repose sur des recettes de fonctionnement stables depuis 2012, à environ 5,2 milliards d’euros pour le budget principal. Les impôts locaux, qui n’ont pas augmenté depuis 2011, représentent 1,8 milliard d’euros ; une part importante des recettes provient désormais de la Société du Grand Paris, qui tend à centraliser les impositions locales économiques. Par ailleurs, les dotations de l’État ont sensiblement reculé. Mais ces recettes peu dynamiques financent des dépenses de fonctionnement également orientées à la baisse. Selon l’Institut Montaigne, depuis 2014, les charges ont baissé de 7 %, malgré une hausse importante des dépenses de personnel (+ 11 % depuis 2014), ces dernières représentant désormais plus de 45 % des dépenses de fonctionnement.
Vers une augmentation des impôts ?
Dans ce contexte, c’est la question de la dette qui cristallise les débats. « Cette augmentation de la dette va considérablement réduire les marges de manœuvre de la prochaine majorité », avertit Pierre-Yves Bournazel, député de Paris et un temps candidat avant de se rallier à LREM. Pour maintenir le niveau d’investissement, le ou la nouvel(le) élu(e) devra soit creuser davantage la dette, soit trouver de nouvelles ressources et donc augmenter les impôts locaux.
Une alternative difficile qui pourrait bien se confirmer avec la crise actuelle dont les effets économiques et budgétaires se devinent, mais ne peuvent pas encore être chiffrés. En plus de voir un ralentissement historique des activités, la ville de Paris doit faire face à des dépenses supplémentaires comme la désinfection des écoles et la distribution gratuite de 2,2 millions de masques. La ville doit bien sûr prendre part à la relance du pays et de son économie, mais en recherchant impérativement le retour sur investissement.
L’augmentation de la fiscalité locale serait-elle donc une fatalité ? Pas si l’on se fie aux programmes des cinq principaux candidats, qui affichent tous leur engagement de ne pas augmenter les impôts des Parisiens. « Le choc fiscal n’aura pas lieu », affirme-t-on dans l’équipe d’Anne Hidalgo, qui est entrée en campagne en réitérant sa promesse de 2014. De son côté, Agnès Buzyn défend un « projet autofinancé », c’est-à-dire « sans augmentation d’impôt pour les Parisiens et sans augmentation de la dette », chaque euro dépensé en plus venant d’un euro économisé. Quant à Rachida Dati, elle promet de « ramener la dette de Paris à zéro sans augmenter les impôts locaux, mais en arrêtant la gabegie ». Pour David Belliard, il n’y aura pas non plus d’augmentation d’impôts pour les particuliers, même si le candidat écologiste se dit « favorable à l’alignement de la taxe foncière des entreprises sur la fiscalité des autres territoires ».
Aucun des principaux candidats ne prévoit non plus de ralentir sur les investissements, qui se situent autour de 8 milliards d’euros dans les différents programmes. Dès lors, quelles seront les solutions à disposition de la nouvelle équipe municipale ? Du côté de la maire sortante, plusieurs scénarios sont à l’étude. La ville espère trouver de nouvelles recettes en améliorant le taux de paiement du stationnement visiteur qui pourrait rapporter jusqu’à 600 M€ (au lieu de 330 M€ aujourd’hui) si 80 % des automobilistes l’acquittaient. Anne Hidalgo aimerait aussi renforcer la taxe sur les résidences secondaires, les logements vacants et les meublés touristiques.
Quelles solutions pour le(la) prochain(e) maire ?
Pour n’augmenter ni les impôts ni la dette, Agnès Buzyn prévoit de trouver « 300 millions d’économies de fonctionnement par an ». Pour Bruno Parent, ex-directeur général des finances publiques à Bercy et en charge du cadre budgétaire et financier du programme de la candidate, « il est possible d’économiser 200 millions sur la masse salariale ». Notamment en diminuant le nombre de collaborateurs dans les cabinets, dans le service communication et parmi les chargés de mission... Ou en augmentant la durée de travail pour atteindre les 35 heures, en recourant à des entreprises privées pour certaines missions et en simplifiant les organigrammes. Pour les 100 millions d’économies restantes, la candidate compte jouer sur les charges générales de fonctionnement, en rationalisant les achats de services et les emprises immobilières.
Comme Anne Hidalgo, Cédric Villani souhaite taxer davantage les résidences secondaires... Et comme Agnès Buzyn, il veut diminuer la masse salariale, qui représente 2,4 milliards d’euros. Selon lui, il existe « un besoin de restructuration et d’efficacité », qui nécessite de « travailler sur la question des horaires de travail, de la productivité, du bien-être au travail et de la réduction de l’absentéisme ». En faisant gagner 1 % d’efficacité à l’action municipale, il propose une stratégie de désendettement en huit ans. De son côté, Rachida Dati veut « réduire toutes les dépenses de fonctionnement, remettre à plat les marchés publics et se délester d’actifs immobiliers inutiles ».
Parmi les marchés publics dans le viseur de la candidate des Républicains, il y a certainement celui relatif à l’éclairage public dont le marché est justement en cours de renouvellement. Un marché qui passe inaperçu auprès des Parisiens, mais au fort potentiel d’économies. Il représente en effet plus de 30 % de la facture d’électricité de la ville. Le plan Climat Air Énergie de Paris, adopté en 2018, prévoit ainsi de réduire la facture énergétique liée à l’éclairage urbain de 50 % d’ici à 2030.
Il est aujourd’hui possible de réduire considérablement la facture énergétique, notamment en remplaçant les candélabres énergivores par des luminaires à LED dont la durée de vie est plus longue et le coût de maintenance inférieur. Selon les spécialistes, cette rénovation peut permettre aux villes de réduire leur consommation d’électricité de 50 % à 75 %. Voire même plus si elles mettent en place de nouvelles technologies innovantes comme la télégestion à distance et en temps réel des points lumineux de la ville ou des capteurs de présence et de luminosité permettant d’adapter l’éclairage en fonction des situations. C’est par exemple le choix fait par la « smart-city » emblématique qu’est devenue Copenhague. La capitale danoise a remplacé une bonne partie du parc d’éclairage public de la ville par de nouveaux luminaires LED, qui lui ont permis de faire baisser la facture énergétique de plus de 75 % sur la partie rénovée ! Sans parler de tous les services numériques innovants qui peuvent venir se connecter au réseau d’éclairage public…
Il existe de dizaines de possibilités de la sorte pour adopter de meilleures pratiques budgétaires tout en offrant une qualité de service au moins équivalent. La future équipe municipale devra faire preuve de curiosité et d’ingéniosité pour réduire sans douleur une dette qui inquiète légitimement un grand nombre de Parisiens.