Certains estiment que les métiers de la filière agricole, mis en lumière pendant la crise de la Covid-19, devraient être revalorisés. En particulier sur le plan financier, alors que la crise du coronavirus handicape lourdement les revenus de certains producteurs.
Aléas naturels, restrictions d'eau dues à la canicule, crise économique liée à la Covid-19, guerres commerciales... L'agriculture française traverse une période extrêmement délicate, notamment avec des récoltes très inférieures par rapport à l'an dernier, et demande par conséquent au gouvernement de l'épauler. « Avec une production évaluée en deçà des 30 millions de tonnes pour le blé tendre, les céréaliers français vont vivre une campagne particulièrement tendue, peut-être l'une des pires depuis 30 ans », a par exemple indiqué le Syndicat des producteurs de blé (AGPB) dans un communiqué publié début août.
C'est bien simple, selon FranceAgriMer, l'office agricole tricolore chargé de la mise en application de certaines dispositions de la Politique agricole commune (PAC), la moyenne des rendements devrait s'établir à 68,3 quintaux à l'hectare, soit un recul de 4 % par rapport à la moyenne quinquennale. Concernant la production d'orges d'hiver, elle est estimée à 7,7 millions de tonnes, en baisse de 22 % par rapport à la moyenne quinquennale. Quant à celle de blé dur, utilisé par exemple dans la fabrication de pâtes, elle ne devrait pas excéder 1,3 million de tonnes, soit un net recul de 28 % par rapport à la période 2015-2019.
9 agriculteurs sur 10 redoutent que la crise ait un impact économique durable
Outre ces rendements à la baisse, l'agriculture française doit faire face, comme un certain nombre de secteurs, à la double crise (sanitaire et économique) liée au coronavirus, qui a lourdement impacté les finances de certains producteurs. En mai dernier, un sondage Ipsos/AgriAvis réalisé auprès d'agriculteurs révélait ainsi que « seuls 17 % des agriculteurs se déclarent optimistes concernant la situation de leur exploitation, et 40 % pessimistes. » Et « près de 9 agriculteurs sur 10 redoutent que la crise sanitaire ait un impact économique durable avec des marchés désorganisés générant par conséquent des difficultés financières dans un avenir proche (58 % des sondés) ».
La guerre commerciale que se livrent certains Etats, également, menace depuis de nombreux mois de faire s'écrouler un système agricole à la peine. La filière viticole a par exemple extrêmement mal accueilli la décision du président américain, Donald Trump, de surtaxer les vins français importés aux Etats-Unis de 25 %, qui a déjà coûté quelque 300 millions d'euros aux exportateurs tricolores en 5 mois. Si le sondage Ipsos a également révélé que les métiers liés à l'agriculture avaient été « revalorisés » aux yeux des Français, les exploitants semblent attendre davantage que des applaudissements et une considération rehaussée.
Le nouveau ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a donc du pain sur la planche, si l'on considère, entre autres, le milliard de litres de vin en excédent qui plombe la filière vitivinicole, les 30 % de ventes en moins en boulangeries, et les 450 000 tonnes de pommes de terre qui n'ont pas été consommées entre mars et juillet. Certes, l'exécutif n'est pas resté sans rien faire : 145 millions d'euros ont ainsi été alloués à la mise en place d'une « distillation de crise », pour transformer le vin en bioéthanol ou en gel hydroalcoolique, tandis que la filière de la pomme de terre – qui redoute un manque à gagner de 200 millions d'euros – devrait être accompagnée par le ministère.
Amoindrir les coûts de production
Mais ce n'est pas suffisant, clament certains. Comme Denis Fumery, agriculteur et président de l'association Villes-Campagnes, qui estime dans une tribune publiée fin juillet que la crise sanitaire « pourrait donner à la France l'occasion de repenser son agriculture et de lui redonner des couleurs. » Mais par où commencer cette « entreprise aussi ambitieuse » ? « Une première option consisterait à amoindrir les coûts de production afin de permettre à l'agriculteur de mieux vivre de son métier et d'être compétitif sur un marché mondial en perpétuel changement ».
Dans son viseur, surtout, la taxe anti-dumping adoptée l'an dernier par l'Union européenne (UE) qui a lourdement impacté le secteur des engrais, dont le prix a depuis augmenté de près de 10 % selon l'INSEE. « Désormais, les prix des engrais sont maintenus à des niveaux artificiellement élevés, ce qui grève notre compétitivité », estime-t-il. Un raisonnement valable pour des filières comme l'horticulture, la pomme de terre ou encore le vin, qui ont connu des « contre-performances », selon l'agriculteur. Qui ne comprend pas « le silence de la France devant l'adoption de cette taxe ».
A l'époque, pourtant, les principaux représentants des agriculteurs français avaient sérieusement dénoncé la mesure anti-dumping, qui revenait tout simplement pour l'Europe à se tirer une balle dans le pied. « Nous demandons, dans le cadre des travaux engagés par le président de la République sur le « pacte productif 2025 », visant à lever les freins à la compétitivité, une remise à plat de la politique économique concernant l'agriculture, pour mettre fin aux distorsions et nous permettre de lutter à armes égales face à la concurrence internationale », s'étaient exprimées plusieurs organisations, dont l'AGPB, dans un communiqué.
Les crises multiples que connaissent actuellement les agriculteurs et producteurs français inciteront-elles le gouvernement à aller dans leur sens ? Pour le député La République en marche de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, la Covid-19 a en tout cas « clairement mis en lumière le rôle majeur des producteurs, qui ont su assurer l'approvisionnement alimentaire en quantité et en qualité. » Pour lui, l'une des priorités du gouvernement, dans le cadre du plan de relance et du « monde d'après », est donc de commencer par « l'amélioration du revenu des agriculteurs », qui devra être réaffirmée dans la PAC à venir.