Les perspectives économiques de court terme sont mal balisées
Donald Trump pourraient prendre des initiatives que le marché n’apprécierait pas
La Chine poursuit une politique moins de la demande que de l’offre ; elle cherche visiblement à avoir « un coup d’avance »
Au Royaume-Uni, le Conseiller spécial de Boris Johnson a démissionné ; est-ce un facilitateur de l’accord commercial tant attendu avec Bruxelles ?
Le marché semble désireux d’« enjamber » la deuxième vague en cours de l’épidémie de coronavirus. Comme s’il considérait que d’une part elle passera, comme ce fût le cas pour la première, et que d’autre part il ne devrait pas y en avoir d’autres puisque le vaccin arrive. Bien sûr, il faut accepter une activité économique mollassonne dans un premier temps, restriction à la mobilité oblige. Mais le message important est que cela ne durera pas. Et toutes les réserves qu’on peut apporter n’y font rien, ou pas grand-chose ; qu’il s’agisse, du nécessaire passage des annonces un peu marketing à de vrais documents de recherche, permettant de mieux évaluer les progrès effectués dans la mise au point de vaccins, ou des réponses aux questions sur la production, la logistique et l’acceptation des vaccins par les populations.
« Faite table rase du présent » a tout de même quelque chose d’ennuyeux. Quid de la réaction du marché en cas de surprise ? Son attitude laisse entendre que celle-ci ne pourrait qu’être positive ; ne voit-on pas la lumière apparaître au bout du tunnel ? Pourtant, l’argument contraire peut aussi faire sens. J’ai lu hier une hypothèse à laquelle je n’avais pas pensé ou que je n’avais pas repéré jusqu’à maintenant. Puisque le vaccin arrive, ce n’est pas le moment de tomber malade. Et donc chacun de redoubler de patience et de prudence et le « coup de déprime » de l’économie d’être alors plus accentué. Tout cela pour dire que, face à des lendemains dont on ne sait pas exactement « comment ils chanteront », se désintéresser de trop de la situation actuelle a quelque chose de gênant.
Restons sur les sujets à la fois de court terme et pour lesquels on manque de visibilité. Je veux parler ici de l’attitude de Donald Trump. Il continue de nier ce qui apparaît de plus en plus comme une évidence : il a perdu l’élection présidentielle américaine. Il faudra bien qu’il l’accepte ; sans doute avant le 8 décembre, date de fin des recours contre les résultats. Mais, il reste en fonction jusqu’au 20 janvier. Il pourrait prendre des mesures qui accentueraient la marque qu’il entend laisser dans la politique, voire dans l’histoire, de son pays. A quoi peut-on éventuellement s’attendre ? Des initiatives, devant pour être effectives passer par une loi, paraissent peu actionnables. C’est pourquoi il paraît difficile d’envisager sur le plan domestique un durcissement de la réglementation des secteurs de la Tech ou de la Santé. En revanche, en passant par des décrets (executive orders), la marge de manœuvre de la Maison Blanche est plus importante pour ce qui concerne politique étrangère. Les dossiers à suivre sont alors la Chine (de nouvelles sanctions ?) et le Moyen-Orient (durcissement vis-à-vis de l’Iran et plus grande libéralité par rapport à Israël ?).
La Chine n’est évidemment pas indifférente à la situation américaine. On a déjà insisté sur la volonté de Pékin de profiter des difficultés sanitaires et économiques des Etats-Unis, pour pousser son avantage sur la scène internationale. Sans doute, la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine incite à faire preuve de doigté. Sur le fond, les relations entre les deux pays resteraient « rugueuses » ; mais elles pourraient être davantage « urbaines » sur la forme. Vu du Parti-Etat à la tête de la Chine, il faut avancer, mais ne pas faire de surenchère. C’est ce qui s’est passé au cours du week-end, avec l’annonce de la signature du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les 10 pays de l’ASEAN. Cela représente en gros le tiers de la population et pus du quart du PIB du monde. L’ambition est de faciliter les échanges entre les signataires, en réduisant à la fois les droits de douane (marchandises et services) et les mesures non-tarifaires. La perspective d’une plus forte intégration commerciale dans la région Asie-Pacifique ne peut qu’être élément de grande attention de la part de l’Administration américaine : comment se repositionner au sein des évolutions économiques de cet ensemble, après s’en être mis à l’écart durant les 4 ans de la Présidence Trump ?
Elargissons une seconde la vue sur la politique économique chinoise et en quoi elle se différencie de celle suivie aux Etats-Unis et, même si c’est dans une moindre mesure, en Europe. Puisque la situation économique y est meilleure, il est moins nécessaire de s’intéresser aux initiatives de soutien à la demande et, puisque la monde change vite, qu’il s’agisse de technologie ou de relations internationales, il y a avantage à pousser les feux de la politique de l’offre. C’est vrai avec la « circulation duale » (diversifier les approvisionnements et monter en valeur la demande intérieure) ; cela l’est avec l’intégration régionale. N’est-ce pas ce qu’on appelle avoir un coup d’avance ?
Pour ce qui est du soutien à la demande, il faut bien avoir conscience que la Chine, au cours de l’épisode épidémique, a été en retrait par rapport à l’Amérique du Nord et à l’Europe. Le constat vaut pour la politique budgétaire, comme pour la politique monétaire. Cela n’a pas été jugé nécessaire et le sacrosaint objectif de la stabilité n’a pas eu à être questionné. Sauf impérieuses nécessités, Pékin ne prend pas de mesures menant à un « trop-plein » de demande, potentiellement générateur d’une accélération des prix, amenant dans son sillage des tensions sociales et des déséquilibres économiques.
Finissons par le feuilleton du Brexit. La nouvelle et énième date butoir du 15 novembre est dépassée et aucun accord, sur un texte définissant les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l‘Union Européenne, n’est intervenu. Faut-il craindre un échec ? J’ai envie une fois encore de répondre non, en notant l’évènement politique important qui s’est produit au cours du week-end. Dominic Cummings, le Conseiller spécial du Premier ministre a démissionné. Il était à l’origine du projet de changement de cap de la politique économique britannique (plus nationaliste et plus interventionniste). Lui ayant disparu et même si Michael Gove reste au gouvernement, on doit se demander si la ligne plus traditionnelle du Parti conservateur ne va pas s’imposer. A savoir en faveur d’une économie plus ouverte et avec un rôle de l’Etat plus limité. Elle n’est pas forcément europhile, mais paraît plus compatible avec le compromis recherché avec Bruxelles.