Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une politique volontariste d’augmentation du niveau moyen d’études a été mise en œuvre. Rendue nécessaire par les bouleversements économiques nombreux depuis plus d’un demi-siècle (fin du monde paysan, montée en puissance de l’industrie, des services, et enfin des nouvelles technologies), cette politique de « démocratisation » ou de « massification » a été particulièrement mal conçue.
En effet, au lieu d’être pensée sur le long terme et articulée aux besoins réels du pays et des entreprises, cette politique a répondu à des objectifs opportunistes et s’est elle-même rendue l’esclave de slogans électoraux, à l’instar de la déclaration de Jean-Pierre Chevènement en 1985 indiquant vouloir conduire « 80 % d’une génération au bac ». À l’époque, rappelons-le, seuls 30 % des jeunes accédaient au baccalauréat. 10 ans plus tard, ce pourcentage avait déjà doublé, à la faveur de la création de la filière professionnelle et d’un abaissement sans précédent des exigences scolaires. Aujourd’hui, près de 80 % d’une génération accède effectivement au baccalauréat.
Par effet mécanique, l’enseignement supérieur a reçu quelques années plus tard la déferlante consécutive à cette politique et a connu un doublement de ses effectifs en moins d’une génération. Le nombre d’étudiants a presque doublé en 30 ans, passant de moins de 1,2 million en 1980 à plus de 2 millions au début des années 2000. Comme l’indique un rapport récent de l’Institut de l’entreprise: Cette massification de l’enseignement secondaire, quoique nécessaire, fut d’abord quantitative avant d’être qualitative. Elle a bouleversé le système éducatif avec une rapidité et une ampleur inédites jusqu’alors. Elle a été réalisée à marche forcée, sans réflexion préalable sur les conditions de réussite de (..) ces jeunes de milieu populaire qui n’avaient jamais eu accès auparavant aux études longues. Or, rien n’a réellement été fait pour adapter les collèges et les lycées à ces nouveaux défis, en particulier pour les élèves en difficulté.
Comme l’a bien montré le sociologue Stéphane Beaud dans « 80 % d’une génération au bac. Et après ? », ces nouveaux diplômés ont fini par développer un très fort ressentiment, dotés de diplômes distribués à la va-vite et démonétisés. Dans le même temps, le ralentissement de l’économie rendait plus difficile encore l’insertion des jeunes diplômés: à la fois plus diplômés et « mal diplômés », ces jeunes se sentent aujourd’hui victimes d’un très fort déclassement. En réalité, tout se passe comme si la démocratisation de l’accès aux diplômes, loin d’avoir réduit l’inégalité des chances à la naissance, n’avait fait qu’en retarder la manifestation, laissant un goût amer à toute une génération de classes moyennes déclassées malgré la prolongation des études : l’écart d’opportunités entre un certificat d’études et un baccalauréat des années 1950 était-il foncièrement différent de celui qui sépare aujourd’hui un master 2 de sciences humaines obtenu sans mention d’un master d’école de commerce réputée?
Ceci est un extrait du livre « La France en face : Ce que disent les Français à leurs élites déconnectées » écrit par Matthieu Chaigne paru aux Éditions du Rocher (ISBN-10 : 2268090582, ISBN-13 : 978-2268090580). Prix : 18,50 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions du Rocher.