Le nouveau président de la République s’affirme européen convaincu. Or il y a beaucoup de travail à réaliser pour que la construction européenne réponde aux besoins des populations et des entreprises de notre vieille Europe.
Voici déjà trois harmonisations nécessaires, dont l’importance est grande pour l’économie et pour les citoyens.
La fiscalité des entreprises
L’Union européenne a vocation à mettre en place et à faire fonctionner un marché commun, à l’intérieur duquel les entreprises des pays membres devraient pouvoir se faire concurrence dans des conditions équitables. Il n’est donc pas admissible que des législations ou réglementations, communautaires ou nationales, avantagent nettement les entreprises de certains pays et désavantagent leurs homologues d’autres pays.
Les règles de l’impôt sur les sociétés sont un exemple important de ce qui dysfonctionne dans la construction européenne. Le taux de l’impôt sur les sociétés varie de 9 % en Hongrie à 34,4 % en France, en passant par 12,5 % pour l’Irlande, 19 % pour la Tchéquie et la Pologne, 25 % pour les Pays-Bas et l’Espagne, 27,8 % pour l’Italie, et 30,2 % pour l’Allemagne. De plus, les règles de calcul du bénéfice imposable diffèrent beaucoup d’un pays à l’autre. Unifier les règles applicables au calcul de l’impôt sur les bénéfices est un impératif absolu – et un travail sans lequel l’expression « marché commun » s’apparente à la langue de bois.
La rémunération du travail
Il ne s’agit pas ici de plaider en faveur de dispositions visant à imposer l’égalité du coût du travail dans les divers pays de l’Union : les salaires reflètent pour une part importante la productivité, si bien que les pays où celle-ci est faible ont inévitablement des niveaux moyens de rémunération inférieurs à ceux où le travail est plus efficace. Mais, dans une Union, il convient que la notion de prix du travail (coût pour l’employeur, rémunération pour le salarié) soit la même dans tous les pays membres. Or nous en sommes loin.
La principale difficulté à surmonter – ce n’est pas la seule, mais nous nous limiterons à celle-là dans ce court article – provient du financement de la sécurité sociale. Celui-ci repose dans des proportions variables selon les pays sur trois prélèvements principaux : cotisations salariales, cotisations patronales, impôts. Un consensus fait porter les comparaisons de rémunération sur le salaire brut, parce que les cotisations patronales sont réputées être supportées par les employeurs, et non par les salariés. Aucun économiste digne de ce nom ne saurait cautionner cette stupidité : en fait, la rémunération du travail est le salaire super-brut, somme du salaire brut et des cotisations dites patronales. Mais la fiction juridique, administrative et journalistique camoufle la réalité économique. L’Union européenne ne peut pas se construire sérieusement sur cette mesure inadéquate de la rémunération du travail.
La solution à ce problème comporte plusieurs composantes ; limitons-nous ici à la principale : la suppression des cotisations prétendument patronales, qui devraient être absorbées par les cotisations salariales. Comme nous l’avons maintes fois expliqué, cette réforme peut être réalisée sans modifier ni le coût du travail pour les employeurs, ni le salaire net, ni les ressources des systèmes de sécurité sociale. Elle permettrait enfin d’y voir clair, et de faire des comparaisons significatives entre pays membres de l’Union.
Le calcul des droits à pension
La libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne est un véritable casse-tête pour ceux qui, après l’avoir pratiquée – ou avant, à titre prévisionnel – veulent faire une estimation de la pension à laquelle ils ont ou auront droit dans les systèmes par répartition. En effet, beaucoup de ces régimes tiennent compte des durées d’assurance, à l’instar des régimes de base français. Il faut dès lors faire des calculs incroyables pour calculer ce à quoi l’assuré social a droit dans chaque pays où il a travaillé. Cette situation est ridicule dans une Union ; comment y remédier ?
La solution est simple ; elle s’appelle « additivité ». Si, dans chaque régime, les droits acquis sont indépendants de ce qui se passe dans les autres régimes, alors il suffit à Mr X, qui a travaillé dans différents pays, d’additionner les pensions acquises dans chacun d’entre eux. C’est déjà ce qui se passe dans certains cas : Si Mr X a par exemple obtenu 30 points dans le Rentenversicherung allemand (où les points sont énormes : un salarié moyen en acquiert environ un par an) et 2 millions de couronnes de compte dans le système suédois (la couronne est une unité minuscule), ce qui lui est dû dans chacun de ces deux pays est calculé de façon indépendante, et tout est simple. Tandis que si Mme Y a travaillé en France et en Allemagne, le calcul de ses droits en France, qui dépendent des durées d’assurance en Allemagne comme en France, est d’une complication déroutante.
Concrètement, l’additivité peut s’obtenir en remplaçant tous les régimes par annuités par des régimes en points. C’est ce que le président Macron veut faire en France, en y copiant le modèle suédois. Mieux vaudrait certes miser sur un système du type Arrco, plus familier aux Français, mais le principe d’un passage aux points est excellent. Reste à convaincre nos partenaires européens d’en faire autant : la Commission européenne, qui a nettement appuyé la candidature Macron, devrait être assez réceptive si le nouveau président français lui proposait de lancer un tel projet.