Depuis le 1er janvier dernier, la réforme 100% Santé permet aux Français d’accéder à une offre spécifique de verres correcteurs et de montures, sans reste à charge après remboursement de la sécurité sociale et de la mutuelle. Proposée obligatoirement par tous les opticiens de France, cette offre, qui correspond à ce que l’on appelle le panier A (à la différence du panier B, dont les prix sont libres), est strictement encadrée. Elle répond notamment aux besoins des Français qui auparavant renonçaient à se soigner pour des raisons financières.
Si, sur le papier, cette réforme a tout pour séduire, dans les faits, nombre de dysfonctionnements sont constatés depuis sa mise en place, qui engendrent interrogations, blocages et difficultés pour les opticiens. Des difficultés qui ne sont pas sans conséquences sur leur activité, notamment en termes de chiffre d’affaires…
Un important travail d’anticipation réalisé par les opticiens
Depuis 18 mois, les opticiens se sont préparés et ont anticipé l’entrée en vigueur de cette réforme du RAC 0 (pour reste à charge 0) au 1er janvier dernier.
Tous étaient donc prêts à proposer, dans le cadre de ce panier A (ou panier 100% Santé), une offre de 17 modèles de montures pour adultes et 10 modèles pour enfants, en deux coloris différents, ainsi qu’une sélection de verres correctifs « de base », traités anti-rayures et anti-reflets. Le tout dans le respect du montant maximal pris en charge dans le cadre de la réforme, celui-ci variant à la fois selon la correction nécessaire et le type de verre, qui peut être unifocal ou progressif.
Dans le panier A, la valeur maximale des lunettes (monture + verres) est ainsi :
- de 95 euros s’il s’agit d’une faible correction,
- de 180 euros s’il s’agit d’une faible correction avec verres progressifs,
- de 265 euros s’il s’agit d’une très forte correction,
- et jusqu’à 370 euros s’il s’agit à la fois d’une très forte correction et de verres progressifs).
Ils se sont aussi assurés de disposer des bons modèles de devis normalisés. En effet, désormais, un opticien doit proposer à son client un devis normalisé, comportant une seule proposition de panier A, et une seule proposition de panier B (à tarifs libres donc).
Les informations devant figurer sur ces devis sont strictement encadrées, notamment par la DGCCRF(1) Ainsi, auparavant le secteur de l’optique utilisait une nomenclature spécifique et détaillée pour codifier les dispositifs médicaux, en l’occurrence les codes LPP (pour Liste de Produits et Prestations remboursables(2)). Dans le cadre du 100% Santé, cette nomenclature a évolué : afin de limiter l’information transmise aux Ocam3, des codes de regroupement ont été mis en place. Et ce sont ces seuls codes de regroupement qui doivent figurer sur les devis normalisés, à l’exclusion de toute autre information (codes LPP détaillés ou corrections visuelles des patients par exemple).
Mais un manque flagrant de préparation de la part de l’Assurance Maladie et des Ocam(3)
A l’inverse, ces deux dernières semaines nous ont démontré un manque flagrant de préparation de la part de la Sécurité Sociale comme des Ocam…
Tout d’abord, le gouvernement ayant tardé à communiquer son cahier des charges, les éditeurs de logiciels point de vente n’étaient pas (tous) prêts le jour J : certains n’avaient pas intégré les nouveaux codes de regroupement et mentionnaient toujours les codes LPP détaillés, d’autres ont mis à jour (trop) tardivement les catalogues verriers…
Du côté de l’Assurance Maladie, on constate, là aussi, un certain flou artistique… Les interlocuteurs font preuve d’une méconnaissance flagrante des règles s’appliquant dorénavant dans le cadre de la réforme, d’où de nombreuses interrogations laissées sans réponses du côté des opticiens.
Fort heureusement les opticiens se plient en quatre pour trouver des solutions quitte à réaliser les dossiers de remboursement manuellement.
Une transmission des données de santé et personnelles inacceptable auprès des organismes d’assurance maladie complémentaire
Plus grave, certains portails continuent à demander aux opticiens les codes LPP détaillés ainsi que les corrections visuelles (ce qui est, rappelons-le, interdit par la DGCCRF…) et ne reconnaissent pas les nouveaux codes de regroupement, rendant difficiles, voire bloquant ainsi les accords de prise en charge.
La protection des données des consommateurs n’est toujours pas assurée, ni par la CNIL, ni par le gouvernement. Le lobbying des Ocam reste très puissant et le gouvernement ne tranche pas…
Des consommateurs mal informés
Avant même l’entrée en vigueur de la réforme 100% Santé, les assurés ont, dans leur grande majorité, pris l’habitude de se reposer sur leur opticien pour connaître le niveau de prise en charge de leur équipement correctif par leur mutuelle. Si auparavant les opticiens menaient aisément à bien ce rôle de renseignement, il leur est, aujourd’hui, plus compliqué de le tenir…
Par ailleurs, même s’ils sont progressivement en passe d’être résolus, ces différents dysfonctionnements ne permettent pas, à l’heure actuelle, la mise en place du tiers payant pour le panier A, pourtant promise par le gouvernement. Cela rend donc nécessaire l’avance de frais par les assurés, avant un remboursement par l’Assurance Maladie, puis par leur mutuelle.
Une situation que ne comprennent pas nombre de consommateurs, pour qui, désormais, « les lunettes, c’est gratuit ». Cette méconnaissance des conditions spécifiques du 100% Santé et des modalités de sa mise en œuvre rend d’autant plus indispensable le conseil avisé de ces professionnels de la santé visuelle…
Du fait de ce véritable chaos auquel ils doivent faire face, les opticiens voient nombre de leurs dossiers en attente et se retrouvent dans l’impossibilité de facturer, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour eux en termes de chiffre d’affaires. Une situation qui a également un impact sur la qualité de leur prestation, ce qui ne va pas dans le sens de la promesse de marque de l’exécutif : « 100 % Santé ». Fort heureusement, à ce jour, le nombre de clients séduits par les offres du secteur A est relativement faible...
1 DGCCRF : Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
2 La LPP est la liste des produits et prestations remboursables par l'Assurance Maladie. Il s'agit notamment des dispositifs médicaux pour traitements et matériels d'aide à la vie, aliments diététiques et articles pour pansements, des orthèses et prothèses externes, des dispositifs médicaux implantables et des véhicules pour handicapés physiques. Cette liste contient les données nécessaires à la facturation d'un code LPP. (Source : Ameli.fr)
3 Ocam : Organismes d’assurance maladie complémentaire.