Les consommateurs italiens font entendre leur colère. Car ils risquent bien de voir leurs factures internet augmenter dans les prochaines années. La perspective de prise de contrôle d’Open Fiber par l’opérateur historique Telecom Italia (TIM), l’un de ses principaux concurrents, fait craindre le retour au monopole sur un marché libéralisé de longue date. Dans une lettre ouverte à la Commission européenne publiée en octobre dernier, des associations de consommateurs s’inquiètent et appellent Bruxelles à un « strict contrôle antitrust ».
Depuis plus d’un an, l’opérateur Telecom Italia aspire à fusionner son réseau de fibre optique FiberCop avec OpenFiber, ancienne filiale de l’énergéticien Enel qui vient d’en céder ses parts au fonds australien Macquarie. Le projet a été validé le 31 août dernier par le conseil d’administration de Telecom Italia. La raison officielle invoquée est la nécessaire accélération du déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire italien, notamment les zones rurales, particulièrement mal loties. Car avec un taux de pénétration de 4,1 % -contre 17 % à l’échelle européenne-, l’Italie est en effet à la traîne, selon les données fournies par le FFTH Council Europe. En Italie, l’accès déficitaire à un réseau de haut et très haut débit a pu être problématique pour des populations qui, pandémie oblige, se sont converties massivement au télétravail et à l’école à distance.
L’ombre de Beppe Grillo sur la coalition gouvernementale italienne
Sur le papier, la fusion a malgré tout de quoi séduire. Grâce à un réseau de fibre unique, TIM s’épargnerait de coûteux doublons et pourrait amoindrir le prix de lourds investissements d’infrastructure. Une volonté assumée de réaliser des économies car, si Telecom Italia a renoué avec les bénéfices ces deux dernières années, l’opérateur ne brille pas par sa solidité financière. Ce qui a d’ailleurs alerté les agences de notation. Le 11 décembre, Moody’s a dégradé la note de TIM, celle-ci passant de Ba1 à Ba2. L’agence a notamment ciblé le haut niveau d’endettement du groupe, la complexité de sa structure ou encore la viabilité des derniers investissements réalisés, comme au Brésil. Malgré d’évidents progrès, la dette de l’entreprise s’élevait malgré tout à 23,8 milliards d’euros à la fin 2019. Pas étonnant, dans ce contexte, que le gouvernement italien souhaite encourager son ancien fleuron dans la voie de la mutualisation des réseaux. Beppe Grillo, chef de file historique du M5S, dont la voix compte encore beaucoup, a d’ailleurs qualifié « d’absurde » la coexistence de deux acteurs concurrents.
Mais ce projet de fusion reste insuffisant pour l’ancien humoriste, qui exige aussi que la Caisse italienne des dépôts (CDP), déjà actionnaire à 50 % d’OpenFiber et à 10 % de Telecom Italia, soit le pivot de cette nouvelle structure. Comment ? En rehaussant la participation de la CDP dans TIM, afin qu’elle atteigne a minima le niveau du français Vivendi, qui en détient 23,94 %. Se dessine en filigrane la volonté de Beppe Grillo de renationaliser TIM, privatisée en 1999. Car Beppe Grillo, dont les idées irriguent encore la coalition actuelle, n’a jamais caché ses aspirations étatistes et sa volonté de retour à un État-entrepreneur puissant, comme en témoigne le cas Alitalia, dont le gouvernement a repris le contrôle en avril dernier. Une telle opération grèverait le budget de l’Italie d’environ 3 milliards d’euros, alors que les finances publiques sont déjà fortement mises à mal par la pandémie. « Une bonne idée », a sobrement estimé le président du Conseil Giuseppe Conte.
Ce n’est pas tout, Beppe Grillo a aussi évoqué la « faillite » d’OpenFiber dans sa capacité à investir dans les zones blanches, dans lesquelles la fibre optique est quasi-inexistante. Une prise de position pour le moins déconcertante car, en mars 2020, c’est précisément Telecom Italia qui avait été condamné pour pratique anticoncurrentielle à une amende de 116 millions d’euros par le gendarme des télécoms italiens. Dans le détail, l’autorité antitrust a considéré que TIM a fait obstacle à l’entrée de nouveaux acteurs … dans le marché des zones blanches, afin d’en préserver son hégémonie.
Les consommateurs italiens ne cachent pas leurs inquiétudes
« Le retour à un réseau quasi-monopolistique pourrait endommager le marché et le prix serait payé par les consommateurs et les entreprises italiennes » assure l’association italienne de consommateur Altroconsumo, à laquelle s’est jointe Euroconsumers, son homologue à l’échelle européenne. Aujourd’hui habitués à des tarifs téléphonique et internet bien inférieurs aux standards internationaux, les consommateurs italiens semblent s’être largement convertis à la concurrence dans le secteur des télécoms. « L'Italie a désormais les prix les plus bas d'Europe » expliquait aux Échos Stéphane Beyazian, analyste, en septembre 2018. Peu étonnant, dans ce contexte, qu’une association de consommateurs européenne ait apporté son soutien à son homologue italienne. Les consommateurs d’autres pays de l’Union qui, eux aussi, ont profité du mouvement de libéralisation sectorielle, pourraient pâtir d’initiative similaire dans leur propre pays.
D’autant que les perspectives économiques des prochaines années sont sombres pour les Italiens, frappés de plein fouet par la crise sanitaire et ses conséquences financières. Inquiétudes que n’est pas de nature à apaiser un potentiel retour du monopole dans le secteur. Inquiétudes aussi, au niveau de la qualité de service. Altroconsumo et Euroconsumers soulignent en effet que l’amélioration du classement de l’Italie dans l’Index DESI, qui mesure chaque année la performance numérique des États européens, s’est conjuguée à l’arrivée d’OpenFiber sur le marché. Et à la concurrence qui s’en est suivie.
Selon un spécialiste du secteur interrogé par le Financial Times, les dirigeants de TIM et le gouvernement italien « sont en train de concevoir le suicide parfait pour la fibre », rappelant que la fusion de deux acteurs de cette taille est un processus complexe, dont le caractère pleinement opérationnel se compte en années.
Mais ce projet contesté risque de se heurter à deux barrières. Celle du gendarme italien des télécoms, déjà. En juillet 2019, l’AGCOM, avait en effet, par la voix de son directeur général, qualifié le projet de « retour en arrière ». La Commission européenne, ensuite, dont Magrethe Vestager, commissaire à la concurrence, est connue pour avoir refusé plusieurs fusions emblématiques. Notamment dans le secteur des télécommunications, où elle souhaite à tout prix maintenir la concurrence.