Pourquoi Macron et les Gilets Jaunes ont ubérisé la V° République

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 6 décembre 2018 à 10h08
Gilets Jaunes Chute Pouvoir
Pourquoi Macron et les Gilets Jaunes ont ubérisé la V° République - © Economie Matin
VI° républiqueLa vague des Gilets Jaunes est en train de submerger le nouveau monde d'Emmanuel Macron, qui n'avait de nouveau que le nom.

La révolte des Gilets Jaunes, qui menace désormais très sérieusement nos institutions et pourrait provoquer la chute du gouvernement, la dissolution de l'Assemblée, et peut-être, la fin de la Ve République, est en fait la conséquence directe du hold-up d'Emmanuel Macron sur le système politique français.

En montrant qu'il était possible de partir quasiment seul à l'assaut de la présidence de la République, sans passer par les étapes intermédiaires jusqu'ici jugées incontournables, en entrainant simplement dans son sillage une armée de novices, et en levant des fonds comme on finance une start-up, Emmanuel Macron a donné le mode d'emploi d'une nouvelle forme de conception de la démocratie aux Gilets Jaunes. Et ils l'ont saisi à pleines mains, avec de bonnes chances de réussir, eux aussi, leur coup d'Etat...

Car, finalement quelles sont les différences entre les milliers de cellules militantes "En marche", néées spontanément un peu partout en France en 2016 d'un espoir de changement, et les milliers de points de blocage de Gilets Jaunes qui jalonnent l'ensemble du territoire depuis trois semaines ? Elles sont infimes.

Les Marcheurs et les Gilets Jaunes ont des points communs

Dans les deux cas, la plupart des marcheurs et des gilets jaunes sont novices, n'ayant jamais milité avant. Beaucoup ont erré dans les urnes, ces dix, vingt, trente dernières années. Les uns oscillant plus entre la droite et la gauche, sans enthousiasme, les autres, entre les pseudos extrêmes, sans illusion. Tous partagent ou ont partagé la même insatisfaction, provoquée par un système politique qui ne leur parle plus, ne les représente plus, et sur lequel, surtout, ils n'ont plus la main une fois leurs acteurs (au propre, comme au figuré), élus.

Dans les deux cas, ces mouvements populaires spontanés se sont accompagnés de la même générosité. Celle, d'abord, essentielle, capitale, redoutable, de mettre à la disposition d'une cause du temps, beaucoup, beaucoup de temps. sans compter. sans facturer. Celle d'offrir aussi des moyens logistiques stratégiques.

Fin 2016, En Marche a trouvé en un claquement de doigts des centaines de locaux au coeur de la plupart des villes de France, permettant de réunir ces militants improvisés, et de créer l'indispensable cohésion, moteur de tout mouvement associatif ou politique. Tout en permettant aussi de stocker tracts, affiches, calicots, et d'organiser les opérations de boitages et de phoning. Le tout mis à disposition ou offert par des gens souvent aisés, cadres ou entrepreneurs, enthousiasmés par le projet de start-up nation dont ils étaient déjà, souvent, les moteurs.

Fin 2018, les Gilets Jaunes ont trouvé en un claquement de doigts des centaines de tentes et pergolas pour abriter leurs militants sur les ronds points des grosses conurbations de France. Permettant d'abriter de la pluie, à défaut de les protéger du froid, ces militants improvisés, et de créer l'indispensable cohésion, moteur de tout mouvement associatif ou politique. Et sous les pergolas, autant de tables de camping, de braseros, de machines à café, de lampes balladeuses et de rallonges électriques. Mais aussi d'antédéluviens camping-cars et utilitaires diesel, capables d'abriter pour quelques minutes ou pour la nuit les plus déterminés. Sans compter les milliers de paquets d'arabica, de pots de rillettes, et de baguettes. Le tout mis à disposition ou offert par des gens qui n'ont pas grand chose, quand ils n'ont pas déjà plus rien, dépités d'avoir été mis au banc d'une nation dont ils étaient, autrefois, le moteur.

Le coup d'état d'Emmanuel Macron sert de modèle aux Gilets Jaunes

Les différences sont bel et bien infîmes entre les marcheurs d'hier, et les Gilets Jaunes d'aujourd'hui. Les premiers ont voulu disrupter un système politique vieilissant, pour ne pas dire obsolète, en tout cas en inadéquation complète avec le monde digital dans lequel nous baignons désormais : l'internetocratie. Avec le succès dû à une blitzkrieg inédite apportant au jeune Emmanuel Macron (39 ans) la victoire incroyable que l'on connait. Les seconds se sont trouvés et mobilisés grâce aux mêmes outils, et ont déja remporté plusieurs batailles. Celle de l'opinion qui les soutient très largement, celle de la quasi monopolisation des médias trois semaines de suite, celle des premières reculades, totalement décalées, gravement insufisantes, d'un gouvernement désormais aux abois. Tout cela, alors qu'ils n'ont pas de leader à leur tête, et ne sont sans doute pas près d'en avoir un...

Mais ce qui distingue les marcheurs des Gilets Jaunes, comme cet exposé vient de le souligner (et comme bien d'autres experts, historiens, sociologues ou géographes avant moi), c'est l'origine sociale et géographique de ces deux catégories de rebelles au système.

Il n'y a pas beaucoup de gilets jaunes dans le IIIe arrondissement de Paris, où le futur patron de la start-up nation a recueilli 93,41 % au second tour de l'élection présidentielle. Là bas, on ne roule pas beaucoup au diesel non plus. D'ailleurs, on n'a pas de voiture, ou alors une BMW i8 électrique. Le patron est à Londres ou à New York (quand on n'est pas son propre patron), la banque est digitale, et la cheminée à l'ethanol. Pour la déco : la chaudière gaz à condensation toute neuve se pilote depuis le smartphone. Elle consomme 50 euros de gaz par mois.

A Narbonne, en revanche, où Emmanuel Macron n'a recueilli que 43 % des suffrages, (dont une large partie, comme d'ailleurs partout en France, par défaut), ceux qui tiennent les ronds-points et le péage (incendié par des casseurs, ou des gilets jaunes désespérés ?) roulent au diesel. La plupart des voitures arborent encore les anciennes plaques 11, signe de leur grand âge. Le patron, soit il n'en peut plus, soit, il n'y en a plus. La banque est dans le rouge, et la cheminée brûle le bois rentré pour l'hiver. Au moins, devant, on a chaud, le reste de la maison affiche 15 degrés, malgré les 150 euros de fuel mensuels.

La Ve République a vieilli, elle aussi il faut l'ubériser

Bien malin celui qui pourra dire comment les choses vont tourner dans les prochains jours. Mais personnellement, je suis convaincu que cette éruption populaire est salutaire. Une réforme de nos institutions, mais aussi, de notre modèle économique s'impose. Le fonctionnement de la Ve République n'est plus du tout adapté à notre monde moderne, qui exige une démocratie vivante, active, participative. Permanente... Omniprésente ! Et tant pis si cela consiste à ubériser l'Assemblée et le Sénat. Au peuple, par voie de référendum, les grands sujets de société. Aux parlementaires, les questions techniques, juridiques, les ajustements, en respectant les desideratas du peuple. Qui n'a pas oublié Maastricht, et le traité de Lisbonne.

Par ailleurs, le mensonge de notre système social-que-le-monde-nous-envie doit être révélé, pour que s'arrête enfin l'accumulation de dettes insupportables qui ont déjà mis à genoux plusieurs pays avant nous. Il faut changer de modèe de société, réunir les familles sous le même toit, à condition de déboucler l'étau scandaleux des règles d'urbanisme contraignantes, contraires à l'intéret général. Pouvoir se loger décemment est un droit consitutionnel. Enfin l'arrivée, la déferlante même, de l'Intelligence Artificielle, doit être expliquée, accompagnée, encouragée aussi, pour nous permettre de surmonter et dompter cette nouvelle révolution anthropologique, en en faisant un atout pour nous réinventer, et non, une contrainte, une plaie, un laminoir.

C'est le moment, pour tous les hommes et les femmes politiques de bonne volonté, qui ont gardé encore en eux une once de dévouement, de prendre la parole, et d'agir pour encourager la révolution schumpeterienne dont nous avons impérativement besoin. A défaut, la majorité des passagers de la 3e et de la 2e classe du Titanic vont y laisser leur peau, sans boulot, sans retraite, sans toit, sans rien !

Ah, au passage, souvenez-vous qu'en 1912, 40 % des passagers de 1ere classe, aussi, ont sombré dans le naufrage. Qui prendra le risque, parmi les sachants et les puissants, de continuer à fermer les yeux sur ce qui est en train de se passer, alors les Gilets Jaunes manifestent au grand jour pour leur demander de changer de cap, dernier sursaut salvateur de pans entiers de notre société qui ne veulent pas crever sans batailler ?

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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