Du sous-emploi au plein-emploi via le profit et le capital

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Par Dominique Michaut Publié le 25 mai 2017 à 5h00
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Du sous-emploi au plein-emploi via le profit et le capital - © Economie Matin
10 %Le taux de chômage en France est d'environ 10 %.

Miser d’abord sur le traitement social du chômage est de la médecine de Diafoirus. Dans toute nation adepte de la liberté d’offrir régulée par la liberté de choisir, l’activation volontaire d’une rétroaction macronomique peut pourvoir bien plus efficacement à la réduction des périodes de sous-emploi et à l’allongement des périodes de plein-emploi.

Les idéologies qui tiennent lieu d’intelligence du système des échanges économiques détournent de cette rétroaction et de son activation. La formule que le chancelier Helmut Schmidt a popularisé en 1974 – « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » – est dangereuse. Elle laisse croire que la systématisation de l’autofinancement des entreprises par leurs bénéfices non distribués suffit. C’est systémiquement faux. Il n’y a que du plein échange qui puisse être à coup sûr la source du plein-emploi.

Recadrages nécessaires mais insuffisants

Dans sa version à ma connaissance la plus objective, la science économique de base : 1) attribue un sens univoque au substantif « capital » ; 2) fait de même pour le substantif « profit » ; 3) se projette dans une économie où le taux de profit sur capital est normalisé ; 4) admet explicitement que l’accumulation de nouveaux placements d’épargne en capital est le moyen le plus sain de financement de la création d’emplois par les entreprises.

Pour aussi nécessaires qu’ils soient, ces recadrages ne suffiront pas à renouveler assez en profondeur la politique de l’emploi. En dépit des vertiges occasionnés par les mutations techniques, il faudra aller froidement jusqu’à la généralisation du plein échange actionnarial pour raccourcir les périodes de sous-emploi et allonger les périodes de plein-emploi.

Avant de résumer ci-après en quoi consiste ce plein échange, j’indique qu’il serait partial, et contreproductif, de ne pas l’étendre à tous les placements en parts de capital social. Une instance coopérative ou mutualiste falsifie une nécessité quand elle oublie, ou feint d’oublier, que le principe même de l’échange du placement d’épargne en capital social contre le service de dividendes est équitable.

Le plein échange actionnarial

Le plein échange actionnarial deviendra la règle générale lorsque la répartition la plus pratiquée du bénéfice net des entreprises en société sera en deux parts. Le bénéfice net dont il s’agit n’est pas seulement après tout impôt dont l’acquittement est à la charge de ces sociétés. Il est également après abondement aux réserves dont la constitution est rendue obligatoire par le législateur, le cas échéant. L’intéressement du personnel aux résultats constituera l’une des deux parts effectivement distribuées. Le dividende, lui distribué aux détenteurs de parts du capital social, constituera l’autre part.

Lorsque l’une des deux parts est devenue une proportion constante du bénéfice net, l’autre l’est aussi. La variabilité de l’intéressement du personnel et celle du dividende deviennent alors la même. Une dépêche de presse annonçant un pourcentage d’évolution des profits d’une société ou de plusieurs ne deviendra scrupuleusement rédigée que si elle indique que cette évolution est aussi celle de l’intéressement du personnel au bénéfice et du bénéfice lui-même. La participation de représentants du personnel aux conseils d’administration n’en sera que plus justifiée.

Dans les impôts économiquement nocifs se trouvent celui sur l’augmentation de capital social. Une fois supprimé, la voie est mieux dégagée pour que le service du dividende soit en règle générale accompagné d’une offre de souscription à une augmentation de capital. Certains actionnaires ne peuvent ou ne veulent pas y donner suite. D’autres ne peuvent ou ne veulent pas miser davantage que ce qu’ils viennent de recevoir. D’autres encore peuvent et veulent ce davantage.

Observons que tous ont de fait voté, même lorsque participer d’une façon ou d’une autre aux assemblées générales rebute et de toute façon devient impossible en autogestion d’un portefeuille diversifié. Ce tous, les moins fortunés et les plus novices compris, introduit un changement de grande portée.

Au pied du mur de l’argent

Depuis longtemps, bien des réalités ont justifié de voir dans la haute finance l’édificatrice d’un mur de l’argent. Une boutade résume l’affaire. Qui est né fort riche économiquement parlant, ou qui l’est devenu, a souvent tendance à jeter son argent par les fenêtres. Les forts riches les plus avisés parviennent à jeter, proportionnellement à leur fortune, davantage d’argent par leurs fenêtres, mais c’est de l’extérieur vers l’intérieur. Face à cette accumulation, que recommande l’observateur impartial dont Adam Smith fit grand cas dans sa Théorie des sentiments moraux ? Taxer à tour de bras et taux progressifs pour redistribuer de plus en plus ? Fomenter une révolution qui cette fois, c’est sûr, forgera un homme nouveau ? Ou bien se résoudre collectivement à des pratiques plus objectives des échanges économiques ?

Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre, rappelle Jean-Pierre Chevènement (Un défi de civilisation, Fayard, 2016). Il est fou de croire que la financiarisation avant tout vouée au ratissage de plus-values puisse ne pas virer à la catastrophe. Mais c’est dans l’ordre des choses en économie politique subjective. Surtout conjointement à des finances publiques assainies, le plein échange actionnarial est un bon instrument de réduction de l’épaisseur et de la hauteur du mur de l’argent. L’instauration de ce plein échange va de pair avec la volonté politique de déconcentrer la détention de parts et de revenus du capital ainsi que de voir s’élever la proportion de capital dans le financement des entreprises (leurs taux de capitalisation). Les pouvoirs d’orientation et d’arbitrage captés par l’industrie du crédit et des fusions-acquisitions seront ainsi en grande partie rendus aux particuliers.

La relance permanente

Le commun des mortels possède, en économie objective, le pouvoir d’injecter autant de relance saine que l’état de l’emploi le nécessite. Par rapport aux revenus, l’épargne et le placement en capital ne sont pas des constantes. Fort logiquement, le sous-emploi croissant augmente la propension à l’épargne et à la recherche de placements sûrs. Le sous-emploi croissant a également pour effet de mettre le taux moyen de profit sur capital sur une pente ascendante. Les conditions sont d’autant plus réunies pour alimenter la croissance par de nouveaux placements directs en capital que le plein échange actionnarial est devenu la norme – avec ce que cela suppose de réponses rapides et positives aux demandes de liquidation des parts de capital variable (actions restituables).

Au fur et à mesure que, sous l’effet de cette relance et d’autres ajustements, le sous-emploi structurel décroît, le taux moyen de profit sur capital augmente de moins en moins. Il se peut même que ce taux commence à baisser avant que le commun des mortels éprouve de lui-même (un peu de stat, beaucoup de vécu) que le plein-emploi est là. Ce n’est pas pour autant qu’une longue période de plein-emploi verrait le rendement moyen du placement en capital baisser sans cesse.

Ce rendement a, en effet, une autre fonction. J’y viendrai à propos de la répartition, pays par pays, du revenu global. Pour l’instant, notons que l’activation, par le plein échange actionnarial, de la relation entre l’emploi et le profit a deux conséquences. Elle désamorce l’opposition de principe à l’austérité budgétaire lorsque cette dernière porte sur la balance des produits et des charges en comptabilité publique – des charges à l’exclusion des investissements, mais comportant la tranche périodique d’amortissement des emprunts publics. Elle rend concrète l’existence de niveaux, variables dans le temps et l’espace, de profit suffisant alors que ni la critique marxiste ni l’approche néoclassique n’annoncent l’existence d’une telle suffisance.

La rétroaction EPCE

En science économique, la relation normative entre l’emploi, le profit et le capital se conceptualise bien sous le nom de « rétroaction EPCE ». Le premier et le dernier E sont celui d’emploi, le P est de profit, le C de capital. Dans mon ouvrage, les propositions dont le libellé comporte l’acronyme EPCE sont les 7.6, 7.7 et 7.8.

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Dominique Michaut a été directeur des études du Centre consulaire de formation de Metz puis conseiller de gestion, principalement auprès d’entreprises. Depuis 2014, il administre le site L’économie demain, dédié à la publication d’un précis d’économie objective (préface de Jacques Bichot).