Face aux problèmes de désertification médicale et de manque d’accès aux soins d’une partie croissante de la population française, il est nécessaire d’améliorer la prise en charge des patients. À ce titre, le numérique représente un formidable atout et doit servir à moderniser le système de santé publique, dans une perspective de service médical rendu à la population.
Si la dette sociale a diminué entre 2015 et 2016, elle reste abyssale — 6 milliards d’euros selon la Cour des comptes. Sous sa forme actuelle, notre système de santé ne peut perdurer sans une évolution majeure. Il faut se saisir de la formidable opportunité du numérique pour tenter de sauver le modèle de santé publique français, qui représente une richesse pour notre pays et que le reste du monde nous envie.
Un système de santé publique à bout de souffle
Un des problèmes majeurs qui met à mal notre système est celui de l’accès aux soins. Les délais trop longs et la désertification médicale limitent cet accès pour un nombre croissant de patients qui doivent, dans certaines régions, attendre plusieurs mois pour voir un spécialiste. Que de temps perdu alors et de dépenses médicales supplémentaires, si l’état du patient s’est aggravé, qu’une prise en charge plus rapide aurait permis d’éviter ! Le recours au numérique réduirait largement les temps de prise en charge et ferait disparaître partiellement le problème de la distance lors du recours à un médecin généraliste. Avec le développement de la téléexpertise qui permet - même aux patients les plus isolés - d’être suivis par un généraliste, patients et médecins ne se déplaceraient plus que dans les cas où un rendez-vous physique est nécessaire.
Ouvrir le chantier de la dématérialisation
Conjointement au problème d’accès, le système pâtit d’un problème de gestion, dû à la lourdeur des démarches et formalités administratives, tant dans les hôpitaux que dans les cabinets. Le temps qu’un médecin passe à faire de l’administratif diminue forcément celui qu’il peut accorder à ses patients.
Cette perte de temps pourrait être sensiblement réduite avec le passage au numérique, qui rendrait immédiates et automatiques la plupart des démarches administratives. Cela faciliterait la vie des patients, qui disposeraient d’un accès à un espace individuel et sécurisé qui centraliserait leurs ordonnances, analyses et prescriptions. Outre un meilleur suivi, cela permettrait aussi une meilleure prise en charge des urgences : si un patient est diabétique ou a besoin de recevoir du sang, ces informations - vitales - seraient immédiatement accessibles aux personnels de soins. Pour ceux-ci, la numérisation représente aussi une importante optimisation du temps de travail et donc une diminution des dépenses publiques. Ce serait, par exemple, la fin des feuilles de soin et des coûts de traitement qu’elles occasionnent.
Numériser les données de santé personnelles
Sans transiger sur la sécurité et la confidentialité des données, offrir au patient un point d’accès unique et centralisé pour tout ce qui a trait à sa santé permet de lui en donner une vision globale. Ceci représente un véritable progrès par rapport au morcellement actuel de la prise en charge. Cela a aussi comme effet bénéfique de le sensibiliser à sa consommation de médicaments ou au nombre d’analyses médicales qu’il fait chaque année. L’idée de numériser les données du patient pour un meilleur suivi a d’ailleurs connu un précédent, avec la tentative de mise en place du Dossier Médical Personnel - DMP - qui devait prendre la forme d’un fichier consultable par tous les professionnels de santé, directement depuis la carte vitale. Le DMP n’a pourtant jamais abouti et la France tarde à opérer ce tournant tant souhaité.
Oser le Big Data pour améliorer la veille sanitaire
La difficulté du passage au numérique est en bonne partie due à des craintes en matière de sécurité des données. Ainsi, alors que l’Assurance Maladie possède la plus grande base de données de santé au monde, elle ne l’a encore jamais exploitée à des fins statistiques. La France dispose pourtant d’un arsenal législatif particulièrement protecteur en la matière, et le système d’anonymisation des données du SNIIRAM - le système national d'information interrégimes de l'Assurance Maladie - qui regroupe les données de centaines de caisses, rend impossible l’identification des patients.
Le Big Data est une ressource exceptionnelle pour la santé publique, qui permettrait des économies énormes et une amélioration sans précédent de la médecine préventive, grâce à une véritable analyse prédictive des risques par zones géographiques, populations ou encore catégories professionnelles. Avec l’analyse prédictive, il serait, par exemple, possible de détecter plus tôt les cancers et maladies dégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson. En croisant les symptômes de patients précédemment atteints, on pourrait établir un profil « type » et suivre les patients « à risque » en amont de la maladie, afin de mieux les prendre en charge si elle venait à se déclarer.
Le rôle déterminant de l’État dans cette inflexion
Réussir cette transformation nécessite une vraie démarche de la part des professionnels de santé et des médecins, autant que des patients qui doivent prendre en charge leur santé ; le tout porté par une politique de santé publique ambitieuse. Puisqu’en France la santé est publique, il incombe à l’État de lancer le développement d’une interface numérique à disposition de tous, simple d’utilisation par le patient comme par le professionnel. Développer cette interface passe par une vraie approche expérience utilisateur, en s’appuyant sur l’expérience du terrain, pour comprendre le besoin réel des usagers.
Tarder davantage à passer au numérique serait manquer l’opportunité de préserver notre système de santé publique, héritage acquis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’État est un acteur indispensable de cette transformation et doit accélérer le développement de services numériques consacrés à la santé, tant pour les professionnels que pour les patients, en adoptant une démarche résolument axée expérience utilisateur, pour permettre de dépasser l’échec du DMP.