Le Président de la République veut supprimer l’ «exit tax» en 2019. Pourtant, les inconvénients l’emportent sur les avantages.
Introduit en 2011, ce dispositif a été lancé pour dissuader les contribuables de pratiquer l’expatriation fiscale vers des pays où l’imposition est plus clémente. Dans le passé, certains chefs d'entreprise entreprenaient un exil à l'étranger, souvent en Belgique à la fiscalité plus accommodante, lorsqu'ils souhaitaient vendre leur société. L’exit-tax a été créée pour imposer la plus-value au moment de la délocalisation.
Selon le chef de l'État, cette taxe pose notamment un problème pour les start-ups : la plupart d'entre elles considèrent la France comme étant moins attractive qu'ailleurs dans le monde. Ces jeunes entreprises à forte croissance décident de « se lancer de zéro depuis l'étranger rien que pour échapper à cette taxe », assure Emmanuel Macron. D'où sa volonté de supprimer cette « exit tax » dès 2019.
L’argument du Président de la République est le suivant : « les gens sont libres d'investir où ils veulent » : si l'attractivité du pays est en mesure d'attirer les investisseurs, c'est tant mieux. « mais si vous n'y arrivez pas, alors il faut pouvoir divorcer », dit-il. Il poursuit la métaphore du mariage : « vous ne devez pas avoir à expliquer à votre conjoint "Si tu m'épouses, alors tu ne pourras jamais divorcer". Je suis pour que l'on soit libre de se marier, mais aussi de divorcer », explique-t-il.
Si cette argumentation est la seule, alors ne résiste pas à l’analyse, au regard des enjeux et du contexte actuel.
Que nous disent les chiffres ? Les services de l’Elysée ne fournissent aucun chiffre permettant de dresser un bilan de cette taxe depuis son instauration en 2011. Rien non plus sur les conséquences attendues de cette suppression pour la France dans les domaines économique, fiscal et social. Il se trouve que la presse, elle, a fourni des chiffres (Les Echos, 3 mai 2018). Voici ce qu’on peut y lire : « Les départs à l'étranger des contribuables dont le revenu est supérieur à 100.000 euros annuels ont encore augmenté, d'après le dernier rapport de Bercy. Ils ont été trois fois plus nombreux en 2015 qu'en 2010 ».
C’est la preuve que l’exit tax n’est nullement un frein au divorce. Le Président souhaite que le divorce soit libre. Tout le monde est d’accord. Pour autant, est-il nécessaire de le rendre plus attractif que le mariage ? Les deux doivent être libres. Point. C’est tout.
En fait, non, ce n’est pas tout. Voici également ce qu’on lit dans l’article des Echos : «A l’étranger, on observe des législations souvent plus contraignantes pour lutter contre l’exil fiscal » ! Oups !
Dans ce contexte, on peut sans grand risque de se tromper conclure que le principal effet tangible de cette suppression de l’exit tax (que personne n’a demandé dans l’opposition ou dans la majorité et qui ne figurait pas dans le programme présidentiel) sera une perte de recettes fiscales pour la France (800 millions d’euros) et un renforcement de l’idée de cadeaux à sens unique en direction des plus riches. Que du négatif.
Ca va même au-delà. La suppression de l’exit tax brouillera sensiblement le message français porté par la France en Europe sur la fiscalité, ce qui ne va pas faciliter l’approfondissement de l’ Europe souhaité par la France.
Qu’on en juge : le 28 avril 2018, excédé par l’attitude de nombreux pays européens, Bruno Le Maire a fait un coup d’éclat. Il venait d’apprendre un revirement inattendu dans un projet phare initié il y a presqu’un an par la France : la taxation en Europe de 3% du chiffre d’affaires des GAFA. Projet pourtant peu coûteux pour les fameux GAFA ! « Pouvons-nous défendre nos intérêts communs », a-t-il demandé à ses collègues ministres ? « Saurons-nous les définir ? Sommes-nous indépendants ? L’Europe fera t-elle preuve de sa force ou non ? » Silence glacial dans la salle. Beaucoup de pays ne souhaitent plus s’engager. (Corruption ? Conflits d’intérêts ? Lâchetés diverses et variées ? Perte de vue complète de l’intérêt général en Europe ?)
Dans un tel contexte hallucinant, où des pays parmi les plus importants de l’Europe en sont venus à utiliser leur droit de vote comme un instrument de nuisance contre les peuples, y compris ceux qui les ont élus, en confortant l’évasion fiscale des plus grandes entreprises mondiales, est-il vraiment de bonne politique de supprimer l’exit tax française ?
Le vrai problème est du reste ailleurs. Il touche au cœur de l’Europe.
Ne pourrait-on proposer aux 27 chefs d’Etats de remettre chacun à Bruxelles par exemple en septembre, une note d’une page sur les commentaires que leur inspire la phrase suivante, prononcée il y a quelques années par un ancien Président du Conseil économique et social français : « les peuples se grandissent par la transcendance des causes, et se déchirent par la défense des intérêts » ?
Schuman et Monnet auraient sans doute rendu des textes magnifiques.