Que devrions-nous changer ?

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Par Jacques Bichot Publié le 9 décembre 2018 à 7h00
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@shutter - © Economie Matin

Tous les changements dont se gargarise une partie importante de l’intelligentsia ne sont pas inéluctables, comme si tout était écrit d’avance et qu’il fallait absolument se laisser porter par le courant. Explications.

Demain sera ce que nous le ferons

Une « chronique » d’Éric Le Boucher dans Les Echos du 7 décembre, intitulée Le XXe siècle contre le XXIe, voit comme cause essentielle du mouvement des Gilets Jaunes la peur provoquée par « le passage d’un monde à un autre ». Que le monde change, c’est évident et ce n’est pas nouveau : depuis les premières bactéries jusqu’à l’homo sapiens, un certain chemin a été parcouru ! Mais tous les changements dont se gargarise une partie importante de l’intelligentsia ne sont pas inéluctables, comme si tout était écrit d’avance et qu’il fallait absolument se laisser porter par le courant. Cette négation de notre liberté a pour but de nous faire nous résigner à une certaine évolution, et de nous dissuader de travailler à une évolution différente, probablement meilleure pour la plupart des êtres humains.

En décembre 1940, beaucoup pensaient que l’Europe allait devenir nationale-socialiste, et beaucoup se résignaient ou du moins se préparaient à ce changement majeur considéré comme inévitable. Fort heureusement, les résistants au « changement inéluctable », et le premier d’entre eux, Winston Churchill, ainsi que Charles de Gaulle, ne se sont pas laissé impressionner : en 1945 l’Allemagne nazie et son allié japonais furent vaincus. Il existe certes des conditionnements puissants, notre liberté est une flamme d’apparence fragile, mais si ceux qui la portent ont pour devise « ne pas subir », sa résistance et sa capacité à triompher sont étonnantes. Nous sommes responsables de notre avenir et de celui de nos descendants. Et il existe un autre avenir possible qu’un mélange de capitalisme déjanté, d’informatisation abêtissante et d’écologisme donquichottesque.

Le poisson pourrit par la tête

En 2007, le député Jean-Michel Fourgous publia un ouvrage d’une grande lucidité : L’élite incompétente (éd. L’Archipel). Le sous-titre, « Comment les hauts fonctionnaires mènent la France à la faillite », met le doigt sur un problème qui n’est hélas pas seulement franco-français : dans de nombreux pays, le personnel politique, la haute administration et le grand patronat sont, non pas exactement incompétents, mais dotés de compétences qu’ils ne mettent pas au service de la population. Ils ont développé, ou laissé se développer, une conception du progrès tout-à-fait nocive, basée sur quelques mythes : le marché comme forme unique de l’échange ; le caractère bénéfique d’une prolifération informatique non maîtrisée ; l’inéluctabilité des prélèvements obligatoires sans contrepartie ; le caractère intrinsèquement mauvais du changement climatique ; le remplacement nécessaire par le genre de la structuration de l’humanité en sexes différents et complémentaires ; la disparition programmée, du fait de l’intelligence artificielle, d’une grande partie du travail humain.

Ces modes intellectuelles sont constitutives du XXIème siècle que nous devrions éviter. Non pas pour rester au XXème siècle, mais pour progresser humainement autant que techniquement. Sciences et techniques vont continuer à avancer à grandes enjambées, pour la simple raison que dix millions de chercheurs font davantage de découvertes qu’un seul million : nous n’avons pas trop d’inquiétudes à avoir de ce côté-là. En revanche, les savoirs qui ne sont pas proprement scientifiques, même si l’on parle de « sciences humaines », sont terriblement en retard. La confusion conceptuelle a pris une ampleur terrifiante, incroyable quand on regarde le progrès des sciences stricto sensu.

Quatre cas d’arriération mentale à corriger pour ne pas continuer à stagner

Donnons simplement quatre exemples de cette peste - la confusion conceptuelle - qui risque de faire vivre à l’humanité un XXIème siècle rempli de déconvenues. Primo, la confusion entre impôts et cotisations sociales, qui découle de la réduction conceptuelle de l’échange à sa forme marchande. Le jour où l’on aura compris que les « assurances sociales » sont une forme d’échange, et non pas la combinaison de prestations d’assistance et de prélèvements obligatoires sans contrepartie, un grand pas aura été fait en direction d’un XXIème siècle plus agréable à vivre et plus efficace.

Secundo, l’illusion selon laquelle les cotisations patronales grèveraient le coût du travail. En fait, la rémunération du salarié est son salaire super-brut, somme du salaire brut et des cotisations dites patronales, mais la magie du verbe confortée par des dispositions juridiques ineptes conduit à penser que ce sont des charges pour l’employeur qui s’ajoutent au salaire. Il s’agit en fait d’une composante de la rémunération salariale, retenue à la source (comme, d’ailleurs, les cotisations dites salariales) pour être versée aux organismes de protection sociale. Le plus clair et le plus simple serait évidemment de n’avoir plus que des cotisations salariales.

Tertio, l’idée selon laquelle les marchés monétaires et financiers doivent « profiter » de tout progrès technique permettant aux transactions d’avoir lieu plus rapidement. En fait, confronter l’offre à la demande non pas à chaque seconde, mais une fois par jour, comme cela se faisait jadis, délivrerait ces marchés d’une fébrilité et d’une volatilité qui ne constituent en aucune manière un progrès économique. Bien d’autres innovations nocives, comme la vente à découvert ou les cryptomonnaies, pourraient être éradiquées dans la foulée.

Quattro, les dispositions législatives contraires à toute logique économique qui attribuent des droits à pension au prorata des cotisations versées au profit des retraités actuels. La retraite dite par répartition est en fait une retraite par capitalisation où le capital sur lequel on mise n’est autre que le capital humain.

Nous ne sommes pas mal partis, nous faisons du sur place

Si vraiment Emmanuel Macron était le « pilote rapide » désirant « rattraper trente ans de retard français » qu’admire Eric Le Boucher, ce sont là quatre réformes que notre Président aurait engagées quand elles peuvent l’être en France d’abord, ou proposées à nos partenaires pour celle qui requiert un accord international. Au lieu de quoi il s’est contenté de mesurettes comme la nième manipulation des taxes sur les carburants qui a déclenché le mouvement des gilets jaunes.

« L’immobilisme populiste » dénoncé par le journaliste des Echos ne mène certes nulle part, mais il en va de même, hélas, de l’activisme brouillon qui est actuellement à la mode chez nos dirigeants. La seule grande et utile réforme engagée, celle de l’unification de nos trois douzaines de régimes de retraites par répartition, avance à la vitesse de l’escargot, alors même qu’elle ne comporte pas le changement de paradigme dont la nécessité vient d’être indiquée. Non seulement la France est à l’arrêt ou, plus exactement, piétine sur place, mais elle n’a pas à sa tête des hommes capables d’imaginer les changements stratégiques dont elle et l’humanité ont le plus grand besoin.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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