Derrière les mots d’ordre de défense du service public, la préservation d’acquis. Les salariés de la SNCF (qui ne sont pas fonctionnaires, mêmes si la plupart bénéficient de protections statuaires meilleures que celles des agents de l’Etat, et aussi d’avantages exorbitants, rapportés à leur productivité moyenne) ont enclenché un bras de fer historique avec le gouvernement.
Mais pour quoi se battent-ils ? Le gouvernement leur a promis que seuls les nouveaux entrants seraient recrutés hors statut. Dans les manifestations, sur les banderoles rédigées par des porteurs de pancartes professionnels, c’est évidement « la défense du service public et de l’usager », dans « la tradition » de luttes sociales historiques, que l’on met en avant.
Au passage, quel dommage qu’ils n’exercent pas leurs talents créatifs - car contre toute attente, certains d’entre eux en ont ! – dans des agences de com’ au service du dynamisme des ventes de leurs clients plutôt qu’au conservatisme mortifère d’un autre âge dans lequel ils se complaisent.
Mais ce rideau de fumée menteur s’est depuis longtemps dissipé.
Ce sont bien des intérêts catégoriels, non justifiés par l’efficacité économique, et donc mortels à terme, que les protagonistes, souvent de simples profiteurs du système, cherchent à protéger. La preuve, très habilement, le gouvernement met en avant la « clause du grand-père », conservant le bénéfice du statut à tous ceux qui l’ont déjà (que peut-on proposer de mieux, où sont les attaques contre « les conquêtes sociales » ?). En revanche, les nouveaux salariés seront recrutés sur un contrat classique, comme dans n’importe quelle entreprise placée dans le même contexte. Rationnellement, un tel projet devrait en principe calmer les anciens et les faire reprendre ce travail « si utile et nécessaire à la Nation » immédiatement.
Pourtant, ce n’est pas vraiment ce qui se passe. Les salariés de la SNCF maintiennent leur pression et leur mobilisation. Ils craignent en effet trois choses principalement.
Tout d’abord, la perspective de l’ouverture prochaine à la concurrence du transport ferroviaire risque fort de les mettre « tout nus », leur surcoût global relatif comme l’inefficacité de certains d’entre eux seraient alors évidents. Par ailleurs, au fil des années, mécaniquement la part des « statutaires » dans l’effectif de la SNCF se réduira, au fur et la mesure que les nouveaux recrutés, sur contrat privé, seront plus nombreux.
Dès lors, les « anciens » peuvent craindre qu’un jour un gouvernement s’attaque à leur statut de façon frontale, au motif qu’ils seraient peu nombreux à pouvoir se mobiliser pour le défendre (ils ont tort, on pourra alors compter sur leurs jeunes collègues pour se joindre au mouvement de protestation, « par solidarité » selon la formule consacrée, et aussi pour revendiquer à leur tour le bénéfice du statut également au nom du « c’est pas juste » ! ).
Mais leur révolte la plus forte, et la moins médiatisée, provient de la mise à mort sous leurs yeux d’une pratique très courante. En refusant l’accès aux statut aux nouveaux recrutés, le gouvernement va provoquer une épouvantable « crise de vocations », et le désespoir bouleversant de nombreux jeunes, fils ou filles et petits fils ou petites filles de cheminots. Depuis tout petits, nombre d’enfants et petits-enfants de cheminots sont élevés dans le mythe de la « carrière idéale », sans aucun risque de licenciement, même pour productivité insuffisante, de la retraite calculée de façon généreuse prise beaucoup plus tôt que l’écrasante majorité des autres salariés, d’un système de soins complètement gratuit, de voyages en train gratuits ou presque pour eux-mêmes, leurs ascendants et leurs descendants, sans que cet avantage ne soit d’ailleurs déclaré au fisc (et donc non imposé comme revenu complémentaire), etc.
Si je suis cheminot, fils de cheminot, ce sera le drame de ma vie. Depuis qui je suis tout petit, j’ai été élevé pour entrer à mon tour dans la grande maison, et mon avenir, certes pas toujours facile (nombreuses sujétions, mais comme dans de très nombreux autres métiers), aurait été radieux. Catastrophe, drame absolu, le statut ne sera plus offert aux nouveaux recrutés. Ce qui est perçu comme un viol des droits « successoraux » d’une partie de cette population.
Un tel enjeu mérite bien de bloquer la France et de pourrir la vie de tous les modestes qui s’épuisent à aller travailler dans des conditions aussi difficiles, et sans protection statutaire.