Le gouvernement Johnson pourrait faire le choix de ne pas chercher à s'entendre avec l'UE sur le cadre des futures relations entre l'Ile et le Continent et accepterait, à ce titre, de ne pas respecter la signature qu'il a apposée sur un accord international. Tout ceci ne paraît pas suivre le chemin suggéré par la « raison », qu'elle soit économique ou juridique. Que se passe-t-il ? Simplement que les équilibres « idéologiques » sont peut-être en train de changer et que de nouveaux compromis politiques doivent alors émerger. La relation avec l'UE peut-elle « en faire les frais » ? Il ne le faudrait pas.
Dans un environnement politique compliqué, mais qui épargnait jusqu'alors plutôt l'Europe de l'Ouest, la question du Brexit revient sur le devant de la scène. Faut-il de ce fait craindre une montée de l'incertitude politique, à même de peser sur les marchés de capitaux ?
Tout commence avec des déclarations ou des « petites phrases » en provenance du Cabinet britannique. Les Européens sont accusés de manquer de souplesse dans les discussions et de vouloir traiter le Royaume-Uni (RU) comme un Etat vassal, en lui imposant ses propres règles en matière de réglementation et d'aides publiques. Dans ces conditions, autant se contenter du cadre a minima des règles de l'Organisation Mondiale du Commerce pour définir les règles commerciales entre le RU et l'Union Européenne (UE) et tant pis pour des conséquences économiques qui ne pourraient pas être favorables ! Et puis il y a l'annonce de ce projet de texte, visant à assurer la fluidité des échanges entre les quatre Nations qui composent le pays. L'ennui est que l'initiative remet en cause tout un pan de l'accord de sortie de l'UE ; celui sur l'Irlande. La liberté de circulation des biens et services entre les deux Irlande impose un contrôle des échanges entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. La possibilité de voir l'équipe au pouvoir à Londres remettre en cause sa signature d'un accord international serait un évènement important. Elle a poussé le Chef du service juridique du gouvernement a démissionné. Comment imaginé, si le projet va à son terme, qu'un accord de libre-échange entre l'Ile et le Continent puisse être conclu d'ici à quelques semaines et que plus généralement un cadre sur les futures relations entre les deux partenaires soit fixé ? Si on veut élargir encore plus la perspective, quelle est la signification pour le reste du monde d'un tel geste de la part du pays qui a inventé la rule of law ?
Proposons trois niveaux de lecture différents à cette attitude déconcertante.
Premièrement, Boris Johnson « referait le coup » de l'année dernière : flatter le nationalisme des électeurs et des militants avant la conférence annuelle du Parti conservateur, qui se tiendra du 4 au 7 octobre prochain. On se souvient de la chronique d'il-y-a un an : intransigeance des propos avant l'évènement et recherche d'un compromis avec l'UE après. Avec à la clé l'accord de divorce signé le 24 janvier 2020.
Deuxièmement, et de façon plus fondamentale, l'expérience de la crise du COVID a modifié l'attitude politique du peuple britannique. La difficulté à gérer la situation s'apparente-t-elle au choc ressenti le 16 septembre 1992, quand le pays a dû sortir du Système Monétaire Européen (SME) ? Le germe de l'euroscepticisme s'installait dans l'imaginaire collectif. Il s'est développé et a conduit au résultat du référendum du 23 juin 2016. La mèche était lente, mais la mise à feu de la sortie du RU de l'UE a fonctionné. Est-ce qu'aujourd'hui la principale ligne de partage entre les citoyens reste Leavers contre Remainers ? Et si la politique britannique retrouvait un fonctionnement plus classique, avec les questions, tant de redistribution et de biens publics (donc du rôle de l'Etat) que de coopération internationale, qui se réinstalleraient au cœur du jeu démocratique ? Selon une toute récente étude du European Council on Foreign Relations (https://www.ecfr.eu/page/-/the_brexit_parenthesis_three_ways_the_pandemic_is_changing_uk_politics.pdf), une telle évolution commencerait à se dessiner. Si c'est bien le cas, tout devient plus compliqué pour le Cabinet Johnson. Surtout si on se souvient que la victoire de décembre 2019 aux élections générales doit beaucoup aux électeurs du Nord de l'Angleterre qui, contrairement à leur choix traditionnel, avaient apporté leurs voix aux candidats du Parti conservateur. Faut-il privilégier l'interventionnisme gouvernemental ou la coopération avec les partenaires étrangers ? L'idéal serait évidemment de faire les deux. Mais c'est à ce niveau que la contradiction apparaît. Coopérer avec les Européens du Continent est le plus naturel ; ne sont-il pas voisins ? Mais les règles de l'UE, qu'il faudrait en partie suivre, permettront-elles aux pouvoirs publics d'agir à leur guise ?
Troisièmement et dans le prolongement du point précédent, c'est dans ce nouveau contexte qu'il faut ajuster la stratégie de l'équipe Johnson. L'ambition d'un Singapour sur Tamise, s'éloignant de l'UE, baissant les impôts et signant des accords de libre-échange avec le monde entier, doit être remisée dans les oubliettes de l'histoire. Il semblerait que Dominic Cummings, le Conseiller spécial du Premier ministre, souffle à l'oreille de son Patron l'idée de faire le choix d'une politique de souveraineté. L'Etat doit intervenir pour favoriser le développement des secteurs d'avenir (la Tech et le Vert avant tout) et dynamiser les régions dont l'économie a souffert tout au long des décennies passées (Cf. le roman de Jonathan Coe, Le Cœur de l'Angleterre). Comment faire si les contraintes de l'UE doivent s'imposer au RU ?
On le sent ; faire un copier-coller de la situation d'il-y-a un an et considérer qu'une fois le moment politique, qu'est la conférence du Parti conservateur, sera passé la logique du compromis entre leur et l'UE l'emportera est trop simpliste. La crise sanitaire force à intégrer d'autres dimensions. La question que doit se poser le pays est de savoir s'il est possible de rester proche de l'UE (le moyen de minimiser le choc économique à court terme) tout en menant une politique volontariste (le moyen d'accroître le potentiel de croissance à moyen terme). Puisque les pays du Continent ont la même préoccupation de moyen terme, le compromis devrait être possible. Mais est-il acceptable pour le Parti conservateur. La politique à suivre n'est-elle pas celle traditionnelle du Parti travailliste ? Avec le risque si cette route devait être choisie, que l'électeur « préfère l'original à la copie » et que le militant s'en aille ? Le choix est redoutable pour Johnson et les siens ; mais la voie de la raison passe par la proximité avec le Continent.