Le 10 Downing Street reprend la main sur la politique économique. Sans doute faut-il s’attendre à davantage de relance budgétaire. On doit aussi se préparer à une posture, au moins dans un premier temps, plus dure en matière de négociation avec l’Union Européenne.
Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) a démissionné de la présidence de la CDU. L’évènement ouvre très probablement une période d’introspection de la politique allemande. Les dossiers européens, et plus largement des affaires étrangères, deviendront moins prioritaires.
Dans les deux cas, l’attrait de l’Europe pour les investisseurs internationaux pourrait en pâtir.
On discutait en fin de semaine dernière de l’importance des discussions qui démarrent à peine entre le Royaume-Uni (RU) et l’Union Européenne (UE), sur ce que seront leurs futures relations au lendemain d’une période de transition, dont il est prévu à aujourd’hui qu’elle se termine le 31 décembre prochain. Pour conclure que les Britanniques devraient donner la priorité à une proximité confirmée avec l’Europe et à une politique économique « inclusive » et que les « continentaux » doivent franchir une étape vers une intégration poussée plus avant.
Les deux dossiers évoluent vite ; tant et si bien qu’il est nécessaire de les ré-ouvrir. Commençons par le RU. Le jeudi de la semaine dernière, un remaniement ministériel s’est traduit par le départ du ministre des Finances, Sajid Javid. Il est remplacé par son numéro 2, Rishi Sunak. Aller chercher le successeur aussi près du sortant peut laisser croire au maintien de la ligne politique. Ce n’est sans doute pourtant pas le cas ; au marché de le comprendre.
La signification politique est claire : les orientations économiques du RU sont décidées au 10 Downing Street (la résidence du Premier ministre), pas au 11 (celle du chancelier de l’Echiquier – ministre des Finances). On sait que la tradition du Trésor britannique est de s’assurer de la soutenabilité de la politique budgétaire et de défendre une proximité avec le Continent. Il faut donc s’attendre à deux choses. D’abord, le programme de relance devrait être redimensionné en plus grand. Ne murmure-t-on pas à Londres que la date prévue pour la présentation du prochain budget pourrait être retardée ? L’ambition précédente d’un retour à l’équilibre des comptes publics en 2023 risque de faire long feu. Ensuite, la carte du « grand large » par rapport à celle de l’Europe va probablement être jouée de façon privilégiée, au moins dans un premier temps, par le gouvernement Johnson.
Où en est-on alors par rapport à l’« atterrissage » que nous avons privilégié ? Confirmation, mais peut-être de manière amplifiée, pour ce qui est de la déclinaison d’une politique inclusive et risque de remise en cause concernant la proximité in fine avec le Continent.
Comment les marchés doivent-ils vivre cette double perspective, ou, pour mieux dire, cette double interrogation ? Même s’il est possible que l’hétérodoxie affichée dans un premier temps laisse place sur la durée à un retour vers davantage de classicisme. Commençons par les anticipations les plus simples à développer : un déficit budgétaire plus important, au moins initialement, et dans la foulée, une balance commerciale plus déséquilibrée ; la contrepartie devant être une croissance économique plus tonique. Passons aux enchainements plus compliqués à concevoir. Ils concernent le comportement des investisseurs étrangers. L’éloignement du RU de l’UE ne fait pas imaginer des flux significatifs d’investissement direct vers le premier. La nécessaire recomposition des chaines de valeur ne se fera pas à son avantage. Les investissements de portefeuille (achats d’obligations et d’actions) peuvent-ils compenser ? Pas nécessairement dans un double environnement conjoncturel (équilibres budgétaire et extérieur se dégradant) et structurel (réorganisation de l’offre entre l’île et le continent) qui apparaitra plus dégradé. La livre sterling en « ferait les frais ». Cela profitera-t-il à la bourse ?
Passons à l’UE. Personne ne peut être indifférent aux évènements intervenus sur le front de la politique intérieure allemande. Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) a démissionné de la présidence de la CDU. Elle reste ministre de la défense, mais ne mènera pas le centre-droit lors de la campagne pour les élections législatives prévues au début de l’automne 2021. Elle ne remplacera pas Angela Merkel à la Chancellerie. Pourquoi tout cela ? Le catalyseur est à rechercher dans l’élection du ministre-président du land de Thuringe. Les élus de la CDU ont mêlé leurs voix à celles de l’extrême-droite et des Libéraux pour assurer la victoire du « champion » de ces derniers. La raison de fond est ailleurs. AKK avait du mal à créer du compromis au sein de son parti sur la ligne politique à tenir. Elle s’était opposée à toute coopération en Thuringe, tant avec un rassemblement de gauche qu’avec l’extrême-droite. Elle n’a pas été suivie et en a tiré les conséquences. Un tabou de la politique allemande, en place depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, a été brisé : pas de coopération avec l’extrême-droite. Dans le même temps, l’équilibre politique, très largement centré sur le bipartisme formé de la démocratie chrétienne et de la social-démocratie, est à bout de souffle. N’est-ce pas confirmé par chaque nouveau sondage d’opinion ? Comment ne pas considérer que la CDU risque d’entrer dans une crise du leadership comparable à celle traversée par le SPD ? Avec à la clé un nouvel effritement dans les intentions de vote ?
- Qui sera le nouveau président de la CDU et quand sera-t-il en place ?
- Une cohabitation d’un an et demi entre le « promu » et la Chancelière Merkel est-elle possible ? L’expérience AKK pousse à répondre négativement ;
- Les sondages actuels « invitent » à la formation d’une coalition entre la démocratie chrétienne et les Verts ; encore faut-il que la ligne du nouveau dirigeant de la CDU le permette ;
- L’Allemagne assure la présidence tournante de l’UE au second semestre 2020.
On le comprend ; soit un nouvel équilibre politique intérieur est trouvé très vite, soit la question est repoussée au plus tôt au début de l’an prochain. Angela Merkel a une première partie de réponse entre ses mains : quitter le pouvoir avant la fin de la législature actuelle. La seconde partie est au bon vouloir des autres partis politiques. Le SPD accepte-t-il de rester dans une coalition avec la CDU–CSU, si l’actuelle chancelière n’est plus à sa tête ? S’il refuse, les Libéraux et les Verts sont-ils prêts ensemble à s’allier aux démocrates chrétiens ? Si cette seconde option n’est pas non plus possible, des élections anticipées seraient nécessaires. Le SPD et la CDU-CSU en ont-ils envie ? Probablement pas.
Tout ceci est compliqué et pourrait demander du temps. En attendant, l’Europe (ou pour mieux dire sa capacité à prendre des initiatives) risque d’avancer au ralenti. Ce n’est pas une bonne nouvelle, alors même que les enjeux internationaux sont importants : des négociations avec le RU à celles, commerciales, avec les Etats-Unis, en passant par la nécessité de trouver sa place dans un monde moins géré par le droit international et davantage par les rapports de force. En n’oubliant pas les dossiers de politique européenne : renforcer la capacité budgétaire de l’union, finaliser l’union bancaire et de marchés de capitaux et favoriser les investissements « verts ». Une fois encore, l’Europe risque de prendre du retard, par rapport au tempo des affaires du monde. Sur les marchés, on ne s’en réjouira pas.