La lecture du livre Les impôts : Histoire d’une folie française démontre qu’en matière fiscale, la France est ultraconservatrice plutôt que révolutionnaire.
On pourrait croire que la France aurait un temps d’avance sur les grandes économies européennes en matière fiscale. C’est d’ailleurs dans le cerveau d’un haut fonctionnaire français (Maurice Lauré) qu’est née en 1954 l’idée de la TVA, cet impôt particulièrement subtil en cela que celui qui paye n’est pas la même personne que celui qui déclare. Une idée tellement géniale que le monde entier nous l’a enviée au point de la copier, en se gardant bien, cependant, de reproduire le « modèle français » dans son ensemble. En réalité, non seulement la France a souvent laissé perdurer des impôts qui reposaient sur une logique économique caduque, mais elle a souvent été en retard sur ses grands voisins dans l’application des impôts « modernes », au sens où leur fonctionnement collait mieux à la conjoncture économique de l’époque.
Survivance des impôts du Directoire : une coquetterie française ?
L’impôt sur les portes ou sur les fenêtres, dont la suppression est discutée dès les débuts de la IIIe République, ne sera définitivement supprimé qu’en 1926 ! Le Royaume-Uni l’avait quant à lui supprimé en 1851 et l’Espagne en 1910. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce ne sont pas des raisons sanitaires qui sont venues à bout de cet impôt absurde. Comme l’explique Jean-Marc Daniel (JMD) dans son livre Les impôts : Histoire d’une folie française :
« Ce sont les mutations économiques qui imposent un basculement d’une fiscalité indiciaire sur le patrimoine, s’appuyant sur une stabilité des prix pouvant aller jusqu’à la déflation, vers une fiscalité déclarative sur le revenu correspondant à la généralisation de l’inflation ».
Pour ce qui est des octrois, ces prélèvements perçus sur les marchandises à l’entrée des villes, ils n’ont disparu qu’en 1943 ! 10 ans avant la création de la TVA, des impôts datant du Directoire étaient ainsi encore en vigueur, attestant combien il est difficile de faire table rase du passé, surtout en matière fiscale. De la même manière, l’Etat a continué à gérer des « biens de première nécessité » comme le tabac pendant de très longues années. JMD rappelle qu’en 1914, cette « gabelle » des temps modernes représentait une part non négligeable des recettes de l’Etat :
« Les droits de douane fournissent encore à l’Etat 12% de ses ressources, et le tabac et les autres produits en régie 22% : un tiers des ressources de l’Etat de 1914 reposent sur une logique liée aux idées fiscales antérieures à celles des physiocrates et du Directoire ».
Enfin, JMD rappelle que la patente s’est mutée en taxe professionnelle sous Valéry Giscard d’Estaing. Plutôt que de la supprimer, elle a été « éclatée en deux sous Sarkozy, en une cotisation foncière des entreprises et une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ».
Mise en place de l’impôt sur le revenu : 72 ans après l’Angleterre !
Dernier exemple : l’impôt sur le revenu. Adopté dès 1842 en Angleterre et dans les années 1890 en Prusse, il n’est mis en place en France qu’en 1914, amorçant ainsi « la mutation de la fiscalité vers des fiscalités déclaratives sur le revenu, c’est-à-dire sur le flux de richesse quand les fiscalités sur le patrimoine portent sur le stock ».L’impôt sur les sociétés suivra en 1948 et la TVA six ans plus tard. En matière fiscale, la France a ainsi toujours eu du mal à se défaire de son conservatisme. Résultat : unsystème fiscal abscons où « survivent des impôts ancestraux et s’accumulent de nouvelles taxations ».
Comme le rappelle JMD, « trois prélèvements représentent ensemble près de 75% des impôts versés par les ménages. La TVA est le premier impôt qu’ils acquittent (34% du total) ; viennent ensuite l’impôt sur le revenu et la CSG (32,5% au total) ; vient enfin la taxe intérieure sur les produits pétroliers qui représente un peu plus de 8% ». Ce sont les milliers d’autres impôts, taxes, contributions et cotisations au rendement très faible qui vérolent le système en le rendant illisible et inégalitaire. Par conséquent, ce genre d’initiative, quoi qu’insuffisante, est particulièrement bienvenue :
La France est-elle devenue un pays « socialiste » sous Giscard ou sous Mitterrand ?
JMD relève une rupture historique cruciale. Comme il l’explique, c’est avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 que la fiscalité a quitté le champ purement technique pour devenir un enjeu politique, ouvrant la voie aux idéologues et aux pires démagogues. Le taux de prélèvement obligatoire se montait alors à 33,6% du PIB. Comme aimait à le rappeler le président de l’époque, « au-delà de 40%, le pays deviendrait ‘socialiste' ». Pourtant, ce taux atteint 40,1% dès 1980, soit un an avant même que François Mitterrand ne succède à Valéry Giscard d’Estaing à l’Elysée !
Pour ce qui est de la démagogie, JMD rappelle l’origine des lois de défiscalisation outre-mer avec la loi Pons en 1986. A l’époque, Jacques Chirac est le premier chef de gouvernement d’une cohabitation sous la Ve République, et il compte bien faire en sorte que Matignon soit son tremplin pour l’Elysée. Cependant, les élections présidentielles de 1988 s’annoncent serrées. « Comme les voix de l’outre-mer sont susceptibles de faire basculer l’élection présidentielle, Bernard Pons, ministre des DOM-TOM, a pour mission de rédiger une loi-programme visant à favoriser leur développement économique. […] Le dispositif donne lieu à de multiples refontes […] sans véritablement modifier la donne économique de ces régions », explique JMD. Je ne suis donc pas le seul à prétendre que nos dirigeants utilisent la politique fiscale à des fins purement électorales. Me voilà rassuré.
Quand l’opposition qui contestait un impôt l’augmente une fois arrivée au pouvoir
Dans le même genre, certains politiciens critiquent vivement la légitimité de certaines taxes lorsqu’ils sont dans l’opposition mais une fois aux commandes, ils font l’exact opposé de ce que leurs électeurs pouvaient attendre d’eux. Comme il s’agit d’un grand classique de la politique, les exemples ne manquent pas. A titre d’illustration, revenons sur la CSG, prélèvement phare de l’ère Rocard introduit par la loi de finances pour 1991, et adopté à cinq voix près au Parlement au travers du 49-3. JMD relève que « la droite, qui mène le combat de la motion de censure contre la CSG, ne l’a par la suite jamais supprimée. Son taux a même été régulièrement augmenté ».
Installé à Matignon, Edouard Balladur (1993-1995) « compense les baisses de cotisations sociales en augmentant le taux de la CSG qui passe ainsi de 1,1% à 2,4%, oubliant au passage son vote de censure de l’automne 1990 ». Cela ne coûte rien de le rappeler. On pourrait également évoquer l’ISF qu’Alain Juppé, ministre du Budget en 1986, voulait supprimer. Une fois Premier ministre (1995-1997), « non seulement il ne le supprime pas, mais, après l’avoir augmenté de 10% au titre de 1995, il alourdit le dispositif par rapport au schéma mis en place sous Rocard. En effet, il revient sur le bouclier fiscal et fait voter… un ‘plafonnement du plafonnement' ». Bienvenue dans l’ère de la simplification fiscale à la sauce technocratique ! N’est pas Charles VII qui veut…
La fiscalité c’est un peu comme le cholestérol : il y a la bonne et la mauvaise. Mais laissons le mot de la fin à JMD :
« Une bonne fiscalité combine le financement d’un Etat efficace, la redistribution des revenus, la stabilisation de la croissance (notamment grâce aux stabilisateurs automatiques) et le maintien de l’attractivité du pays. En revanche, une mauvaise fiscalité conforte les rentes publiques, étouffe l’économie selon le schéma de la courbe de Laffer et entretient le sentiment de confiscation et d’abus ».
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