Que reste-t-il pour prévenir une accélération à la baisse du dollar ?

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Par Véronique Riches-Flores Modifié le 21 juin 2020 à 5h21
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@shutter - © Economie Matin
6,7%Selon les estimations de la Fed, le PIB réel américain devrait se contracter de 6,7% en moyenne en 2020, davantage que ce qu'envisage la BCE pour la zone euro, -5,9%.

Chutera, chutera pas ? L’inquiétude monte au sujet d’une éventuelle correction à la baisse du dollar américain, et cela n’est pas bon signe pour l’évolution des perspectives économiques mondiales.

Car, avec le dollar c’est un peu comme avec le bâtiment, « quand il va, tout va » sur les marchés financiers, ce qui explique la tendance à plébisciter un dollar fort, notamment par rapport aux devises du monde développé. Sauf que plus rien ne va plus chez l’Oncle Sam et que la résistance déjà exceptionnelle du billet vert à la détérioration des fondamentaux qui habituellement président à l’évolution du taux de change a du plomb dans l’aile.

Mauvaise gestion de la crise sanitaire, dislocation sociale, mise en doute des perspectives structurelles de croissance s’ajoutent à des déficits abyssaux et à une expansion monétaire de moins en moins compatibles avec un taux de change réel à ses plus hauts niveaux depuis près de vingt ans. Alors, c’est parti ? La réponse semble pour l’essentiel dans la capacité de la gouvernance européenne à rassurer sur l’avenir de la monnaie unique. Sans ce préalable, le repli du dollar se limitera sans doute à quelques rares devises peu influentes sur le front économique mondial.

Est-ce toujours mieux aux États-Unis ?

La confiance à l’égard de l’économie américaine a les reins solides. Combien de fois n’entend-on pas que les Américains sauront se remettre beaucoup plus vite que le reste du monde, notamment l’Europe, des crises auxquelles ils sont confrontés ? Plus jeune, plus dynamique, plus flexible, plus ouverte, plus productive… Les arguments en faveur de l’économie américaine sont toujours à peu près les mêmes pour justifier cette confiance et permettre au dollar de surfer sur les déséquilibres qui, normalement, auraient dû le faire flancher, notamment depuis l’arrivée de D. Trump à la tête du pays. Si sa politique de déficits n’a pas eu cet effet, c’est principalement parce qu’a survécu l’espoir qu’elle finisse par porter ses fruits à plus long terme. Il est vrai que les écarts de croissance économique entre les États-Unis et le reste du monde développé ont été préservés et que, de facto, les écarts de taux d’intérêt ont entretenu un attrait d’autant plus important pour le billet vert que s’élargissait le spectre de taux d’intérêt négatifs dans le reste du monde.

La crise liée au Covid-19 a néanmoins fait disparaître en quelques semaines ces avantages relatifs. S’il est incontestablement trop tôt pour tirer le bilan de la pandémie sur la croissance des différents pays, on peut avancer sans grand risque que le choc subi par les États-Unis est assez largement comparable à celui du reste du monde développé, si ce n’est pire, à certains égards, sur le front de l’emploi notamment.

L’administration américaine ne s’est guère illustrée par sa capacité à gérer la crise, bien au contraire. La mise à nue d’un système de santé largement défaillant, les cafouillages sur l’aide aux PME, dont la première enveloppe a été engloutie par les plus grandes entreprises, les lourdeurs administratives qui ont empêché de nombreux Américains de toucher en temps voulu les chèques promis, les difficultés à maîtriser la propagation de l’épidémie, ont mis en exergue une réalité bien peu flatteuse pour la première économie mondiale.

Nul ne sait dire aujourd’hui quelles seront les retombées économiques structurelles du choc provoqué par la destruction massive d’emplois tertiaires, les plus précaires, mais on en perçoit déjà les répercussions sociales et l’instabilité qui émerge d’une société dans laquelle les inégalités socio-professionnelles et raciales se sont considérablement aggravées ces dernières années. Selon la Kayser Family Foundation, trois Américains sur dix (31 %) étaient dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins en mai (factures, achats alimentaires, loyers, assurances…). Par ailleurs, dans un foyer sur quatre (26 %) un membre au moins était contraint de sauter un repas ou d’avoir recours aux programmes d’aides alimentaires, soit 16 % de plus qu’avant la pandémie, proportion qui s’élevait à 45 % parmi les Afroaméricains (30 % de plus qu’avant la pandémie) et 38 % pour les hispaniques (+26 %). Tandis que l’épidémie accroît la préoccupation des ménages sur leur santé, 25 % des Américains avaient déjà renoncé à un suivi médical pour raison financière en 2019. La flambée des coûts de l’assurance maladie (35 % en moins de deux ans dans la foulée du démantèlement de l’Obamacare par D. Trump) prive probablement davantage de ceux-ci à l’accès aux soins aujourd’hui.

La dégradation du contexte social est exceptionnelle et ne semble pas constituer la priorité de l’Administration. A ce point de détérioration, la question du coût de social de la crise sur le potentiel de croissance de l’économie américaine ne peut être évitée.

La FED, dans son communiqué post-FOMC de cette semaine, n’a d’ailleurs pas réussi à surmonter les inquiétudes que suggère la situation actuelle et, c’est suffisamment rare pour être souligné, n’a pas été en mesure d’envisager que l’économie américaine surmonte le choc en présence à horizon prévisible : c’est en effet un déficit de croissance de 4 % par rapport à son scénario antérieur qu’elle privilégie à horizon fin 2022. Selon ses estimations, le PIB réel américain devrait se contracter de 6,7 % en moyenne cette année, davantage que ce qu’envisage la BCE pour la zone euro, -5,9 %. Les projections pour 2021 et l’année suivante sont également inférieures, avec une croissance de 4,6 % et 3,5 % respectivement prévue en moyenne pour chacune des deux années (données estimées à partir des projections fin d’année de la FED), contre 5,2 % et 3,3 % pour la zone euro selon la BCE.

Alors que l’Europe tente d’avancer sur la voie d’un effort d’investissement dont on peut espérer des retombées in fine positives sur la productivité, notamment des régions les plus touchées par la crise, l’administration américaine peine décidément à progresser sur ce front quand le dernier programme d’investissement en infrastructures est resté dans les cartons. Les écarts de performance économique apparus aux lendemains de la crise de 2008 entre les États américains n’ont pas réussi à être résorbés depuis et sont aujourd’hui violemment exacerbés par les conséquences du coronavirus.

Les écarts de croissance entre les États-Unis et le reste du monde développé finiront peut-être par redevenir favorables mais ne constituent assurément plus à ce stade un avantage pour le dollar.

Bilan de la FED et déficits fragilisent le dollar

L’ajustement de la politique monétaire de la FED face à la crise a également comblé l’essentiel des écarts de taux d’intérêt entre les États-Unis et les autres pays développés, tandis que l’expansion considérablement plus rapide de son bilan par rapport au reste du monde ne constitue pas, tout au moins avant d’en voir les éventuelles retombées positives sur la croissance, un soutien pour la devise américaine.

En l’absence de perspective de remontée des taux d’intérêt à horizon prévisible (la FED n’envisage aucune remontée de ses taux directeurs d’ici fin 2022), difficile de trouver un quelconque argument pour privilégier le dollar dans un tel contexte. Le creusement des déficits, qui jusqu’alors n’avait que peu d’influence sur la devise, devrait en théorie retrouver toute sa place dans l’équation de détermination du taux de change du billet vert.

L’évolution des finances publiques s’est considérablement détériorée sous l’ère Trump et l’explosion des dépenses liées à l’épidémie imprimera pour longtemps la situation des finances publiques américaine, comme ailleurs. Les projections du Congressional Budget Office du mois de mars n’envisageaient aucune normalisation du déficit public d’ici 2030 et une montée de la dette fédérale tout au long des dix prochaines années. Il est probable que leur prochain exercice fasse ressortir des projections encore plus élevées de déficits et de dettes à en juger par les développements intervenus depuis le mois de mars 2020.

La situation courante est, par ailleurs, restée largement déficitaire ces dernières années, et la situation extérieure américaine n’a que très marginalement profité de la manne pétrolière, avec un déficit commercial record de 232 milliards au dernier trimestre 2018, à peine atténué l’an dernier.

La crise permettra sans aucun doute d’éponger une bonne partie du déficit des échanges de biens mais pèsera selon toute vraisemblance aussi sur l’excédent des services, de sorte que l’amélioration du solde courant est assez incertaine et pourrait n’être que très temporaire.

Il ne reste au total pas grand-chose pour protéger le dollar à un moment où, par ailleurs, l’instabilité politique s’accroît sensiblement à l’approche des élections.

Problème : quelle devise peut absorber le choc d’un dollar plus faible ?

La rigidité des marchés des changes est exceptionnelle ces dernières années. Dans un contexte économique difficile, caractérisé par une concurrence acharnée, sur fond qui plus est de conflits commerciaux, les banques centrales ont pour la plupart tenté d’éviter l’appréciation de leur devise par l’expansion de leurs bilans dont le montant avait, d’ailleurs, quasiment fini par converger ces dernières années.

Il fait peu de doutes que la concurrence sera encore de mise dans les trimestres à venir et qu’elle laissera peu de place aux évolutions spontanées des devises.

La Chine n’a probablement aucune intention de laisser filer le dollar contre une appréciation de sa devise que tout indique qu’elle tend à faire plier, quitte à infléchir sa stratégie à l’égard de sa détention de bons du Trésor américain.

Au Japon, la BoJ veille au grain et, sauf nouveau stress financier global -que l’on ne peut assurément pas écarter-, devrait être en mesure de contenir une réappréciation de son taux de change.

Parmi les grandes devises, c’est finalement du côté de l’euro que l’espace pour un ajustement haussier est le plus permissif. Jusqu’alors sanctionné par les craintes relatives à la gestion de la crise et au retour du risque existentiel de la monnaie unique, l’euro pourrait être le candidat le plus évident une fois les craintes liées aux perspectives européennes maitrisées. C’est également l’enjeu des négociations en cours sur le programme de relance -et surtout de soutien aux pays le plus touchés par la pandémie sous forme d’un financement de l’UE- que d’aboutir à un regain de confiance suffisant à l’égard de la monnaie unique. Une issue positive des négociations rouvrirait probablement très vite la voie à une appréciation sensible de l’euro, en tout premier lieu à l’égard du dollar.

Y sommes-nous ? Les paris sont ouverts mais les négociations laborieuses et le cas de figure d’un échec de celles-ci est suffisamment crédible pour être considéré, le cas échéant, comme un risque persistant à la baisse de l’euro.

En d’autres termes, si les conditions en faveur d’une baisse du dollar semblent largement réunies, son sort semble avant tout fonction de la capacité de la zone euro à prendre le relais. La réponse devrait être donnée dans les prochaines semaines au fil de l’avancée ou non des discussions européennes sur le programme de Mme Von der Leyen.

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Économiste, diplômée de l’Université de Paris I,  Véronique Riches-Flores dirige la société RichesFlores Research - Global Macro & Thematic Independent Research, une société de recherche économique indépendante depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la banque d'investissement, en tant que chef économiste chez SG CIB -Société Générale Corporate & Investment Banking- de 1994 à 2012. Son analyse de l'environnement financier international s'assoit sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle de l'économie mondiale permettant d'avoir un produit spécifiquement adapté aux besoins des professionnels de la gestion d’actifs et des grandes entreprises.