Tesla a atteint de véritables sommets en 2020. Si l’optimisme relatif à l’avenir des véhicules électriques est compréhensible, la valorisation actuelle de Tesla reflète les hypothèses audacieuses sur sa dominance sur le marché des véhicules électriques et l’éventail de ses activités annexes.
Des prévisions optimistes
Les mesures prises par les Etats du monde entier jouent un rôle important dans la croissance du secteur des véhicules électriques. Les principaux marchés automobiles du monde (soit la Chine, les Etats-Unis et l’Europe) ont mis en place un mélange de subventions et de réglementations qui contribue au développement de l’industrie des véhicules électriques, et qui s’est traduit par une hausse notable des prévisions de croissance des volumes pour Tesla.
Si l’on suppose un taux de croissance annuel moyen des ventes de véhicules électriques de 22% au cours des dix prochaines années, cela signifie que Tesla se négocie à plus de 60 fois le BPA 2030 ! Même pour les investisseurs les plus optimistes, ce prix est trop élevé pour une simple entreprise du secteur automobile. Ainsi, nous estimons qu’un peu moins de la moitié de la valeur marchande de Tesla provient de la vente de véhicules électriques et le reste de ses activités annexes.
La thèse concernant Tesla repose en grande partie sur son avantage technologique en termes de batteries et de sa maîtrise de la chaîne d’approvisionnement, qui devrait favoriser une production à des coûts extrêmement bas. L’entreprise devrait voir ses ventes passer de 500.000 voitures par an actuellement à près de 4 millions d’ici à 2030, générant des marges brutes supérieures de 1% à 4% à celles de ses pairs du secteur de l’automobile. A titre de comparaison, GM a vendu en moyenne 4 millions de véhicules à travers le monde au cours des trois dernières années, avec des marges brutes de 19%.
Plus qu’un constructeur automobile ?
Le modèle d’affaire de Tesla repose sur le nombre de véhicules électriques vendus par la marque. Son statut de pionnier lui confère un avantage concurrentiel qui l’a amené à détenir une base d’automobilistes qui, selon les analystes du secteur, va se transformer en abonnés pouvant être monétisés chaque mois. Ces derniers pourront avoir accès à des services supplémentaires, moyennant une cotisation mensuelle. Enfin, ce modèle va générer des bénéfices prévisibles assortis de marges similaires à celles des logiciels, déterminées par le nombre d’utilisateurs actifs mensuels multiplié par le prix moyen par unité.
Quels sont les services offerts par Tesla ? Les analystes du secteur font preuve d’une imagination débordante à ce sujet. Les abonnés pourraient par exemple choisir : un package pour véhicule autonome (intégré actuellement au coût initial), des mises à niveau de performance régulières, des frais de suralimentation mensuels, des packs mensuels d’entretien et même un système d’infodivertissement complété par des programmes de streaming en direct et/ou un Tesla Arcade.
Tesla offre également des services annexes qui pourraient être monétisés et conditionnés avec ses véhicules, comme Tesla Energy, Tesla Insurance et Tesla Mobility. En d’autres termes, Tesla ne se contente pas d’être un fabricant d’équipement d’origine, c’est aussi une entreprise de SaaS (logiciel en tant que service). L’entreprise pourrait également fournir des batteries aux autres équipementiers.
Certains éléments de l’histoire palpitante de Tesla pourraient se concrétiser dans les 5 à 15 prochaines années, toutefois la progression ne devrait pas être aussi linéaire que semble indiquer le marché. Or, il est possible que le marché néglige plusieurs risques importants.
Batteries : la concurrence s’accroît
Trois ingrédients sont nécessaires pour pérenniser l’avantage créé par la situation de pionnier [1] :
1) le temps nécessaire à l’établissement d’une expertise technique considérable ;
2) l’accumulation de ressources potentiellement rares (fournisseurs de premier plan, employés de talent, etc.)
3) une base de consommateurs devant assumer des frais de transfert élevés.
Malheureusement, Tesla ne dispose que du premier de ces ingrédients et sa position conférée par son statut de pionnier pourrait se dégrader.
Si la technologie de batterie de Tesla est supérieure actuellement, la concurrence la rattrape rapidement. Selon Wolfe Research, les nouveaux venus sur le segment des véhicules électriques ont levé 36 milliards de dollars ces deux dernières années. Parallèlement, les équipementiers automobiles traditionnels ont dépensé 50 milliards de dollars en recherche et développement et en dépenses d’investissement dans la technologie applicable aux véhicules électriques.
La technologie liée aux batteries évolue rapidement et la position dominante de Tesla n’est aucunement assurée. A l’heure actuelle, Tesla est à l’avant-garde dans ce domaine avec des projets de batteries sans cobalt, un composant onéreux et difficile à obtenir. Cependant, la plupart des experts pensent que les batteries à électrolyte solide constituent le nec plus ultra pour les véhicules électriques, car elles détiennent une autonomie supérieure (800 km/500 miles), se rechargent plus rapidement et ont une durée de vie plus longue. Si le développement de ce type de batteries a été difficile jusqu’à présent, des concurrents de Tesla, dont Toyota, QuantumScape et Samsung SDI, estiment qu’ils pourraient démarrer sa production commerciale dans les dix prochaines années.
Attentes élevées pour les services
Même si Tesla atteint ses volumes cibles, son action affiche tout de même une valorisation trop élevée par rapport au potentiel de ses autres activités. En bref, la valeur de l’option intégrée des autres activités de Tesla prend en compte une probabilité quasi certaine de réussite, en dépit des risques susceptibles de freiner la rentabilité.
Mais surtout, ses concurrents pourraient commencer à fournir gratuitement certains des services proposés par Tesla. Les améliorations de performance, frais de suralimentation et packs d’entretien sont des frais qui seront faciles à déstabiliser quand les fabricants d’équipement d’origine vont commencer à commercialiser des véhicules électriques connectés assortis de fonctionnalités similaires.
Tesla Insurance est également menacée. Son concurrent GM prépare sa propre offre d’assurance qui devrait se baser sur les données relatives aux habitudes de conduite de ses clients recueillies dans les véhicules. Quand les autres constructeurs auront conçu leurs véhicules électriques, la collecte de données va rapidement augmenter et les offres d’assurance pourraient suivre.
Conclusion
Il ne fait aucun doute que Tesla a bouleversé le secteur de l’automobile, probablement en bien. Sous son influence, le monde entier commence à tourner la page d’un moteur à combustion interne vieux de 150 ans et ses concurrents ont été contraints de revoir la totalité de l’architecture de leurs véhicules. Tesla a mis en place des capacités de production impressionnantes et ouvert la voie en ce qui concerne la conception de batteries et leur propriété intellectuelle. Ses services et activités annexes présentent également du potentiel.
Même si la situation de Tesla comporte beaucoup d’éléments positifs, sa thèse de croissance comporte trop de risques et sa valorisation est assortie d’une marge de sécurité (presque) inexistante, critère que les investisseurs à long terme considèrent pourtant comme primordial dans leur décision d’investissement.
[1] Harvard Business Review The Half-Truth of First-Mover Advantage, par Fernando F. Suarez et Gianvito Lanzolla